vendredi 6 février 2015

Mon jeune grand-père (69)



Le 26 juillet 1916. Mon cher Papa
Depuis ma carte du 24, j’ai reçu tes 2 cartes des 13 et 15. 24 est bien lisible. Pourtant la dernière carte d’Edmond est datée du 22. J’ai reçu aujourd’hui le paquet n°1. Cette fois en revanche le « 1 » me paraît douteux. J’ai reçu aussi un premier envoi de Je suppose que c’est « provisions » mais cette carte-ci est décidément difficile à déchiffrer, il y a quelque chose ensuite qui m’échappe, puis qui étaient en bon état. Le 24 je t’ai envoyé une carte représentant une vue du château. Voilà, c’est donc la carte du 24 : une carte postale illustrée. Je ne sais pas où elle est. Je suppose qu’en voyant le château on ne pense pas à un camp de prisonniers. Ce n’est pas la même chose, « château » et « camp de prisonnier ». Ou parfois si. Nous avons le droit d’envoyer de cette façon des photographies sans rien écrire dessus, et cela ne compte pas dans le nombre de cartes. Tu ne m’annonces des colis de (je crois lire « 5 ki ». 5 kilos ?) que tous les 10 ou 15 jours. Je me permets de vous dire que ce n’est pas tout à fait suffisant. Pour recopier une phrase comme celle-ci, je vais me placer juste sous la lampe et je la déchiffre à haute voix, sans ça je crois que je n’y arriverais pas. Les deux lignes suivantes ont été gommées puis surchargées, on dirait du crayon de couleur violet. La censure ressemble à une grosse rature d’enfant. Le temps est très bizarre ici, il ne se passe pas une journée sans qu’il fasse de l’orage. Est-ce la même chose par-là ? Ce serait bien malheureux pour ce qui se passe en ce moment. Dans des phrases comme celle-ci je sens avec Edmond par-dessus son épaule le regard de celui chargé de le lire. La présence du non-destinataire. Cette pauvre madame Beauger doit commencer à désespérer. Il était question de Beauger et de madame Beauger dans la carte du 21 avril 1916, que j’ai recopiée il y a longtemps à cause d’un désordre dans le paquet. Elle a écrit à Madame Gudin (c’est la première fois que je rencontre ce nom), à Daussy. Dans la ligne qui suit je ne lis que Elle s’est et plus loin de Lyon écrit à l’un de nous. Nous ne pouvons que répéter ce que l’on a déjà dit, bien que cela semble extraordinaire il ne faut pas qu’elle désespère complètement. Dans notre chambre il y a un sous-lieutenant qui a été blessé et dont la famille n’a été rassurée que 2 mois ½ après, et chose plus extraordinaire son chef de bataillon qu’il croyait tué a donné des nouvelles à sa famille 8 mois après sa disparition ! J’avais bien l’intention de me faire photographier, mais j’attendais d’avoir reçu ma tenue, mais je crois que je ne l’attendrai plus maintenant. J’attends avec impatience des bouquins pour essayer de travailler un peu bien que cela semble difficile, on s’embête et on n’a pas le courage de faire quelque chose. Mais enfin on a bon espoir. Nous avons avec nous un aumônier qui est père jésuite, il a commencé à nous faire des conférences assez intéressantes. Cela fait encore passer un moment. J’espère que vous êtes toujours en bonne santé et je t’embrasse bien fort ainsi que maman et toute la famille. Tout cela est tellement pâle, tellement serré sur la carte brunie par le temps que je me demande comment je le déchiffre. Ce sont toutes les cartes déjà lues qui m’éclairent. Mais je n’arrive quand même pas à lire la dernière ligne, sauf la signature : Edmond.


2 commentaires:

  1. À chaque fois que je lis une de vos transcriptions de ces cartes de guerre, je regarde d'abord la date, espérant, pas par ennui mais pour Edmond, qu'on va s'approcher de la fin et être soulagé pour lui. Mais non, ça piétine, j'ai l'impression que la date est toujours la même.

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    1. C'est de ma faute assumée : je n'ai pas pris la peine de remettre le paquet dans l'ordre avant de lire ces cartes, je l'ai pris tel quel. Du coup, alors que nous étions arrivés au 17 août 1917 ( http://hublots2.blogspot.fr/2014/10/mon-jeune-grand-pere-56.html ), toutes les cartes suivantes, à partir de la 59 du 21 mai 1916 ( http://hublots2.blogspot.fr/2014/11/mon-jeune-grand-pere-59.html ) qui est sa toute première carte, sont celles du début de sa captivité.
      Je me doutais bien qu'il y avait quelque chose à faire de cette lecture en désordre à laquelle je n'ai pas remédié, et vous me le confirmez : ça donne l'impression que ça n'en finit pas - ce qui est très certainement l'impression qu'Edmond devait ressentir.

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