lundi 26 janvier 2015

Eperdument Braverman



Bleu éperdument est un recueil de nouvelles signé Kate Braverman et édité par Quidam qui avait déjà publié Lithium pour Médée il y a quelques années, de la même Kate Braverman que pour ma part je découvre seulement maintenant. Bleu éperdument est aussi la première nouvelle qui donne son titre au recueil et annonce la couleur, ou les couleurs car tout n’est pas bleu, non, mais tout est éperdu : un état de la couleur au-delà de la couleur qu’on peine à regarder tant tout dans ce livre est sensible. A fleur de peau fine comme pellicule sensible. Les femmes de Bleu éperdument finissent parfois par s’appeler Laurel Sloane, Suzanne Cooper ou Diana Barrington mais la plupart du temps elles peinent à s’incarner simplement dans un nom même quand – et c’est le cas le plus fréquent – elles ne sont pas la narratrice, parce qu’elles sont au bord de. Le gouffre que dessine Kate Braverman juste aux pieds de ses héroïnes peut prendre le nom de l’alcool ou de la drogue ou de celui – le gouffre – qui fait plus que séparer les générations et ne peut se résoudre que par la mort de l’autre, cette mère que l’on vit comme un fardeau, cette poétesse sans lecteurs qui fait honte à sa fille qui aimerait tant être comme les autres filles de Beverly Hills ; ou bien par la mort de l’autre, ce bébé que personne n’avait souhaité et qui n’a pas de nom, dont on ne saura pas même le sexe et qui pourrait si facilement disparaître dans la rivière dans un vertige d’inadvertance. En plus d’un recueil de nouvelles c’est donc une série de variations autour d’elle, et de L.A. aussi en guise de décor, avec plus ou moins d’espoir, ou plutôt avec plus ou moins pas d’espoir, mais bleues quand même, ces variations, d’ailleurs l’une d’elles s’intitule Blues d’hiver, qui n’est pas celle dont je ne résiste pas à vous citer un passage, juste pour vous donner une idée de l’abîme.



— Tu es ravissante, dit Lenny. Tu savais que je viendrais. C’est pour ça que tu t’es peinturluré la figure. T’avais pas mis toute cette daube, hier. Arrête ça, tu veux. Ça sert à rien. Ces pouffiasses de Beverly Hills en ont peut-être besoin. Mais pas toi. T’es prof. Ça me plaît. Assieds-toi.

Il souleva les roses.

— Assieds-toi à côté de moi. T’es contente de me voir ?

— Je ne crois pas.

Elle s’assit. Lenny lui tendit les roses. Elle les posa au sol.

— Mais si, t’es contente de me voir. T’espérais que je me pointerais. Et hop, j’suis là. Tu veux que je te traque ? Je te traquerai. Puis je t’attraperai. Je t’apprendrai ce que c’est que perdre pied.



Kate Braverman, Bleu éperdument, « Tu veux que j’te raconte le Mékong ? », traduit par Morgane Saysana, Quidam éditeur, 2015, p. 48.



Et l’avis de Claro, tiens.


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