dimanche 28 novembre 2010

au sujet de – Retour aux mots sauvages

Ça y est, j’ai enfin lu le dernier roman de Thierry Beinstingel, Retour aux mots sauvages ; l’histoire d’un homme qu’on défait de son identité et qui tente de s’en reconstruire une. N’est-ce pas le sujet ? Le sujet, n’est-ce pas aussi, dans ce qu’est devenu le monde du travail aujourd’hui, dans une sorte de grand silence feutré, la disparition de l’humanité ? « Il faut remettre de l’humain dans les rouages », la phrase est dite, ressassée par des professionnels sans visage, comme s’il suffisait de dire pour faire. L’humain, le héros anonyme de Retour aux mots sauvages, le pseudonymé Eric parce que c’est la règle quand le métier consiste à répondre au téléphone, ira le chercher hors des rouages, justement ; l’humain, ce sera lui-même, et plutôt que l’huile il est comme un grain de sable dans le rouage de la grande entreprise quand il décide de s’occuper vraiment du client, d’un client – « il faut se mettre à la place du client », répète à l’envi sa collègue Maryse, et cette phrase sincère et toute faite sonne comme une provocation lancée à l’entreprise.
Y a-t-il à la littérature d’autres sujets que la disparition de l’humanité – à l’autre extrémité du spectre de mes goûts littéraires l’expression va aussi bien à Volodine –, d’autres sujets que la défaite de l’identité (et là je ne citerai personne) ? Si j’insiste lourdement sur cette question rebattue du sujet (il m’arrive même d’en faire des blagues), au fond c’est plutôt pour l’évacuer. Retour aux mots sauvages est un livre de Thierry Beinstingel, pas besoin du nom de l’auteur sur la couverture, on n’est pas loin de CV Roman, et même aussi de Bestiaire domestique, et je l’aime à la même hauteur. Haute, la hauteur, si ça n’est pas dit assez clairement. Le livre a eu du succès, il a même fait partie de la sélection du Goncourt, réjouissons-nous. Que penser du fait que le précédent, par exemple, ait eu à l’évidence beaucoup moins d’échos ? Une affaire de circonstances, entre temps l’entreprise en question a fait tristement la une des journaux, on ne parlait plus que de ça, de la mort de ses employés plus que de leur vie. Alors bien sûr ça aussi c’est un sujet, celui dont les journaux s’emparent, et la critique littéraire c’est aussi du journalisme. Il ne faudrait que ce ne soit que ça : oui, Retour aux mots sauvages est un livre fort, il y en a eu d’autres avant, il y en aura d’autres après, « du même auteur » comme on dit.


Commentaires

et oui, je viens aussi de le lire, et oui je l'ai aimé, et oui pas uniquement (un peu aussi) pour le sujet dans l'air du temps auquel je le vois limité dans toutes les critiques lues ensuite. Et je retrouve ici un peu de ma lecture 
Commentaire n°1 posté par brigitte Celerier le 28/11/2010 à 15h04
Ce qui est agaçant, c'est que même dans le succès de très bons livres comme celui-ci, il y a des raisons qui n'ont rien à voir avec la littérature. La critique journalistique reste trop souvent une critique du sujet - il faut dire aussi que le rapport au sujet n'est pas le même en journalisme et en littérature.
Réponse de PhA le 28/11/2010 à 15h38
Le "danger" des livres qui possèdent un vrai sujet - une histoire. J'imagine l'auteur lisant ces critiques. 
"Quand dire, c'est faire", j'ai dû le lire. Un classique il me semble. C'est une névrose connue, qui tend à se répandre en effet dans la classe politique de façon démentielle...
 
Commentaire n°2 posté par Depluloin le 28/11/2010 à 17h05
En fait il n'y a presque pas d'histoire dans ce livre, ou plutôt une si minuscule que justement elle en mérite d'être dite. ça devrait suffire à ne pas limiter son sujet aux drames chez France Télécom - mais reconnaître le "vrai sujet" d'un livre, pour peu que ça ait un sens, demande d'aller au-delà des évidences. A quoi un bon livre doit-il sa visibilité ? à autre chose que lui-même, et ça c'est quand même dommage.
(A une époque j'ai eu une passion fugace pour la pragmatique linguistique. Il m'en reste quelques traces.)
Réponse de PhA le 28/11/2010 à 18h00
Bon, je demande à Loïs de le noter...
Commentaire n°3 posté par Anna de Sandre le 28/11/2010 à 17h08
Ah ! ça me manquait de ne plus emmerder Loïs !
Réponse de PhA le 28/11/2010 à 18h01
Soupir...
Commentaire n°4 posté par Anna de Sandre le 28/11/2010 à 18h02
J'adore faire soupirer les femmes, enfin, parfois...
Réponse de PhA le 28/11/2010 à 18h11
Les Goncourt avaient sans doute déjà  un coup dans l'aile quand ils ont mis ce livre dans leur sélection : Houellebecq ferait mieux l'affaire, ce n'était pas le sujet, tous ces mots télécommunicants.
Commentaire n°5 posté par Dominique Hasselmann le 29/11/2010 à 07h18
Bah, le Goncourt, même avec un coup dans le nez...
Réponse de PhA le 01/12/2010 à 14h29

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