samedi 1 mars 2025

Souvenirs de mon père, 29 (réfugiés)

Pendant ce temps, depuis Orléans où elle était juste descendue de votre train pour téléphoner à son frère, ta mère avait été embarquée dans un train pour la Bretagne, à Planguenoal. De là-bas, elle lui a écrit (Tonton Léon était toujours à Paris à ce moment-là) et, comme vous aviez aussi écrit à votre oncle de votre côté, vous avez pu avoir des nouvelles de votre mère. On voulait vous faire transférer près d’elle en Bretagne (tu n’avais toujours que quinze ans). Mais vous étiez très bien à Orthez, et comme la fille du maire avait le béguin toi, elle a insisté auprès de son père pour que ce soit votre mère (qui après tout était toute seule et sans bagages) qui soit rapatriée à Orthez. Lorsque ta mère t’a vue l’accueillir à la gare avec « ton beau complet blanc et ton beau sourire » (ce sont ses mots), elle t’a comparé à un ange.

Vous avez changé de logement chez l’habitant à l’arrivée de Mamie. Vous avez emménagé dans une entreprise, une fabrique de chaises. Il y avait des puces du bois qui venaient vous torturer la nuit.


jeudi 27 février 2025

« Pierre Michon » écrit l’Iliade

« Pierre Michon. » En deux mots, tout était dit. Rien que son prénom le prédestinait à la statufication. Quand je voudrai être statufié, je me prénommerai Pierre (sans blague). Mais Michon n’est pas dupe. Estimant avoir suffisamment joué le jeu, le voici qui joue avec. De la statufication à la statufiction, il n’y a qu’une lettre à retirer. Et voici notre auteur vénéré des lettres qui se retire de ces dernières. Iconoclaste de soi-même. Il se réinvente en voyou, en Homère, et c’est peut-être la même chose.

Il avait bien ri de Mon petit direlicon (mon petit dictionnaire des idées reçues sur la littérature contemporaine mais quand même un peu à la manière de Flaubert), et sans doute de l’entrée « Vocabulaire : C’est bien d’en avoir à condition de ne pas en abuser. Parce que Michon j’ai essayé c’est peut-être bien mais on n’y comprend rien ». Les colporteurs d’idées reçues qui m’ont inspiré en resteront pour leurs frais avec ce Michon-là : tout est immédiat.

La question de la « qualité » littéraire (qui m’est une récurrente cause d’éternuements) est évacuée sans ménagements. Homère, Borges ne sont là que parce qu’il ne saurait en être autrement. De Vie de Joseph Roulin à Abbés, de Corps du roi aux Onze (et j’en passe) j’ai admiré tout ce que j’ai lu de Pierre Michon. J’écris l’Iliade m’a passionné.



mercredi 26 février 2025

Mon classique du mercredi : Le grand combat, d’Henri Michaux

Je ne sais plus par quel chemin je suis arrivé à Michaux, ni même par quels textes j’ai commencé la lecture de son œuvre. Ce dont je me souviens, c’est de mon ami Eric Ancel (mon premier complice en écriture) travaillant dessus. Le mémoire de maîtrise n’y était guère qu’un prétexte, c’était bien autre chose qui se jouait là. C’était la vie, c’était la mort. C’est la vie encore.



mardi 25 février 2025

Les temps sont durs, par Éric Pessan

Comme je partage tout ce que dit Eric Pessan dans ce billet, paru sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature, je le partage avec vous.


Les temps sont durs, mettons. L’accroissement global des richesses individuelles et du nombre de milliardaires dément un peu cette affirmation. On nous répète du matin au soir qu’il faut rembourser la dette dont nous sommes responsables avec la même énergie que l’on expliquait à nos dévots ancêtres qu’il fallait courber l’échine pour expier la faute originelle. 

Je ne vais pas m’appesantir sur le sujet pas plus que je ne vais reprendre les arguments mille fois répétés (à juste titre) selon lesquels un euro investi dans la culture génère entre 4 et 6 euros de profits. Tout le monde sait ça. Tout le monde sait que la fortune des plus riches croît comme jamais au long de l’histoire humaine, comme tout le monde sait qu’investir dans la culture produit un rentable retour sur investissement. Tout le monde le sait et ça ne change rien. Passons.

Si on ne l’entend pas, c’est qu’on ne veut pas l’entendre.

Je vais essayer autre chose.

Partout il se dit qu’il faut faire des économies et que la culture pourrait alors représenter une variable d’ajustement. La culture représente, en 2025, 0,6 % des dépenses de l’état (la somme englobe tout, de la création au patrimoine). Je lis ou j’entends qu’il faut supprimer les subventions, que la culture pourrait se consacrer à assurer sa propre rentabilité. Et c’est là-dessus que je voudrais attirer l’attention.

Prenons l’exemple de la Maison des Ecrivains et de la Littérature (la Mél, pour aller plus vite) (je prends cet exemple-là, mais je pourrais choisir d’évoquer une scène nationale, la maison Julien Gracq à Saint-Florent le Vieil ou la Maison de la poésie de Nantes. Les modalités de financements ne sont pas les mêmes, les interlocuteurs ne sont pas les mêmes mais la logique est identique : ce sont des associations subventionnées qui œuvrent dans le champ culturel). La question qui se pose, c’est à quoi servent donc ces subventions ? Autrement dit : où passe l’argent de nos impôts ? (enfin, des vôtres, cela fait 25 ans que je suis écrivain à plein temps, je n’ai pas de problèmes d’impôts puisque – sans spécialement chercher à défiscaliser – je ne gagne pas assez ma vie pour en payer).

L’argent public sert en partie à payer les salaires des travailleurs de ces associations : de la direction au personnel de ménage. Tout comme l’hôpital devrait payer les salaires du personnel de soin, l’éducation nationale les profs, l’assemblée nationales de ses fonctionnaires, la poste de ses facteurs, etc... Tout comme sont payés les élus de la nation.

Ensuite, cet argent sert à mettre en place des actions. Et c’est là que je suis concerné. A plusieurs reprises depuis bientôt vingt ans, la Mél m’a proposé d’animer des ateliers d’écriture en milieu scolaire. J’ai pris ma voiture ou je suis monté dans un train, j’ai rencontré des élèves, j’ai établi avec eux un contact et débuté un travail simple et ambitieux : leur montrer qu’ils ont le droit de s’exprimer, que lire et écrire sont des choses les concernant, qu’avec un peu de temps et d’écoute ils pouvaient s’approprier un projet artistique, s’y investir et produire une chose (un poème, des lettres ouvertes, un texte collectif, un manifeste pour la préservation des océans…) qui n’existait pas avant ma venue. On a partagé un temps de création et d’émancipation, on l’a fait avec la complicité et l’implication des enseignants qui ont pu s’appuyer un peu sur moi durant les quelques séances d’ateliers. Souvent, c’était trop court. Souvent, c’était formidable. Souvent, c’était bouleversant de voir comment certains élèves se révèlent durant ce temps scolaire un peu différent.

Voilà l’usage qu’il est fait des subventions. Voici ce que la libre concurrence ne pourra jamais mettre en place (comme elle ne mettra jamais en place un système de santé égalitaire, une école pour tous, des services publics qui placent le bien être du citoyen au cœur de leur préoccupation). Je touche de l’argent public pour effectuer un travail (souvent en des établissements compliqués, avec des élèves que leurs parents n’inscriront pas à des ateliers payants). C’est une question de liberté, d’égalité, de fraternité (de sororité, bien entendu). C’est la moindre des choses qu’une nation responsable puisse offrir à ses enfants, à ses citoyens : l’ouverture de possibles. C’est à la mise en place de ces possibles-là que les salariés d’associations culturelles comme la Mél travaillent avec les écrivains.

 

20 février 2025 – Eric Pessan

  

Post-scriptum : Et à celles et ceux qui se scandalisent d’imaginer qu’un artiste, un écrivain, puisse recevoir une aide à la création (c’est-à-dire une subvention non liée à la mise en place d’une médiation – elles sont très très rares), je rappelle que les musées comme le répertoire musical ne comportent quasiment que des œuvres d’artistes qui ont été subventionnés : par le roi, par le pacha, par le pape, par le prince, par le puissant, par le mécène, par l’état. Les paléontologues nous apprennent que celles et ceux (plutôt celles, semble-t-il) qui ornaient les parois des cavernes lorsque l’humanité naissait étaient nourris et protégés par ceux qui partaient chasser. Le scandale dure donc depuis que l’humanité est humaine. 

  

Au cœur de l'élan de mobilisation pour La Maison des écrivains et de la littérature, ce texte d’Éric Pessan, est pour nous le point de départ d’une nouvelle mobilisation, nécessaire, plus forte, plus large, plus déterminée. 

Nous le remercions infiniment.  

Nous vous invitons à le diffuser largement, à le faire entendre.

lundi 24 février 2025

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 59

Quand Messerschmied descendit de sa voiture, garée juste devant la porte des établissements Brunnen, où il avait accepté de revenir, il constata qu’un tapis rouge le guidait depuis le trottoir jusqu’à l’intérieur du bâtiment. Un tapis rouge ! N’était-ce pas loufoque ? Qu’avait Messerschmied à faire d’un tapis rouge ? Il venait juste pour signer le contrat, une bonne fois pour toutes. Bien sûr, il était quelqu’un d’important ; mais tout de même, ce tapis rouge ! Il n’osa toutefois pas se poser clairement à lui-même la question : lui était-il destiné ? Il fallait éviter de se poser trop de questions. Il valait mieux avancer, avancer quoi qu’il en coûte. Il avançait, il avançait, et ce fut sa progression même qui, s’enroulant sur elle-même, le ramena à son point de départ.

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Pour mémoire, le Contrat est une adaptation des mésaventures de Monsieur de Mesmaeker, personnage récurrent dans les albums de Gaston Lagaffe de Franquin, à travers le prisme Kafka. Car Kafka est un prisme, et de Franquin à Kafka, il n’y a qu’un pas.

dimanche 23 février 2025

Abécédaire du dimanche (tintinophile)

Alors Bianca Castafiore, diva, entonna Faust (Gounod). Haddock injuria, jura : « Ku-Klux-Klan ! Logarithme ! Macrocéphale ! Nyctalope ! Ophicléide ! Phylloxéra ! Que Rastapopoulos se terre ! Universaliste vivisectionniste ! Wisigoth xylophage ! Yéyé zapotèque ! »



Abécédaires mathématoïde, héroïquelacunaireineffablehygiéniqueornithophilecompétitif, mycologiquemusicalapocalyptiquepicturalbrigandsoûlographiquebibliophiliquesubaquatiquecomportementalinjonctifpolythéisteévénementielchômeurphotographiqueforestierarmécommissionnairemixologiquealphabébêtiqueabécédarophileconversationnelprésidentielonomatopéiquefaunophoniqueproverbialbibliomaniaqueaquoibonistemeurtriertouristiqueculinaireguerrierfloralzoologique)

samedi 22 février 2025

Souvenirs de mon père, 28 (réfugiés)

Le train vous a emmenés jusqu’à Orthez, dans les Basses-Pyrénées. Vous avez débarqué, sales, échevelés, dans un état épouvantable. Les habitants vous ont pris en main. Vous avez pu vous prendre une douche et vous faire coiffer. On vous a donné des vêtements propres et neufs. Tu avais un beau complet blanc, une chemisette blanche, tu étais bien coiffé. Vous avez dormi une nuit au centre d’accueil (c’était les anciennes Nouvelles Galeries), puis vous avez été logés chez l’habitant. Comme vous étiez les premiers arrivés, vous vous êtes tout de suite rendus utiles : ta sœur travaillait aux cuisines ; toi, tu accueillais les réfugiés au réfectoire et tu servais à table.

jeudi 20 février 2025

court toujours (321)

Il a pourtant l’air bien à l’étroit, dans son costume trois pièces à je ne sais combien d’euros le mètre carré.




mercredi 19 février 2025

Mon classique du mercredi : Bouvard et Pécuchet, de Flaubert (premières pages)

En revanche, Bouvard et Pécuchet fut bien mon premier Flaubert. C’était à la fin de mon année de 1ère ; Danielle Auby nous en avait lu un passage, peut-être bien celui-ci, juste pour le plaisir ; ça avait été pour le mien en tout cas.



mardi 18 février 2025

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 58

Il se passa du temps avant que Messerschmied ne retourne chez Brunnen. Il se disait bien que c’était quand même dommage de ne pas signer le contrat, mais il se retenait. Peut-être, à n’avoir plus de nouvelles de lui, peut-être désirerait-on son retour, chez Brunnen ? Mais il n’avait plus de nouvelles. On ne lui téléphonait pas ; on ne lui écrivait pas. Que signifiait ce silence ? Messerschmied se disait que, sans doute, on n’osait plus le déranger, mais qu’en fait, on n’attendait que lui, que c’était à lui de faire le premier pas. Alors, un beau jour, il le fit. Il se rendit chez Brunnen. Il croisa un petit moustachu, à qui il demanda si Monsieur Schlehe était là. Ou Monsieur Abakus. Oui : Monsieur Schlehe était là ; on lui répondit que ce dernier allait être aussitôt averti de la présence de Messerschmied ; et de fait, Monsieur Schlehe arriva quelques instants plus tard. Il avait l’air très heureux de voir Messerschmied, et cela réconforta Messerschmied : il était donc le bienvenu chez Brunnen. En passant dans le couloir, Messerschmied entendit comme une rumeur qui venait d’un bureau fermé. Monsieur Schlehe lui expliqua qu’il s’agissait d’un spectacle de marionnettes, qu’un de leurs collaborateurs avait organisé à l’intention de ses collègues. L’attention parut charmante à Messerschmied ; d’ailleurs depuis l’enfance il avait toujours gardé l’amour des marionnettes. Au mépris de l’indiscrétion, il se permit d’entrouvrir la porte. Et Messerschmied vit, par-dessus les têtes des employés qui s’esclaffaient, une marionnette dans laquelle il ne put s’empêcher de se reconnaître.

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lundi 17 février 2025

Are you listening to « Scarborough Fair » ?

Are you listening to « Scarborough Fair » ?

Parsley, sage, rosemary and thyme,

Donnot beware of one who lives there :

She might be a true love of thine.


Non : ce ne sont pas exactement les paroles de la chanson de Simon and Garfunkel ; je les ai légèrement transformées pour vous, pour vous inviter à Scarborough, petite ville côtière du Yorkshire rendue célèbre par sa foire séculaire, et à Scarborough, le deuxième roman de Luc Dagognet tout récemment paru aux éditions DO. Je pourrais vous le raconter si je le voulais, car j’en sors à l’instant, mais je ne veux pas, et vous non plus. On ne raconte pas les charmes. On les écoute. On n’en sort pas indemne. Parfois, même, on n’en sort pas. Écoutez donc l’histoire d’un qui lut une nouvelle offerte par sa grand-tante sur son lit de mort, qui souhaita s’élever vers la lune mais devint professeur d’anglais, qui écouta une musique moins chantée qu’enchantée, qui suivit sa route et son destin jusqu’à Scarborough…




dimanche 16 février 2025

Abécédaire du dimanche (mathématoïde)

Arithmétique bizarre : cinquante-deux égale facteur grande hypoténuse inégale j, kilométrique longueur, moins numérateur opérationnel, plus quotient restant sous théorème unique vecteur x, y, z.




samedi 15 février 2025

Souvenirs de mon père, 27 (exode)

Le lendemain, on a regroupé tous les réfugiés. On vous a fait monter dans des cars qui vous ont conduits à Chartres. De là, vous avez pris le train vers le sud. Mais ta mère voulait absolument joindre son frère à Paris, lui téléphoner. A Orléans, le train s’est arrêté. Mamie a demandé à un employé si elle avait le temps de téléphoner. Il lui a dit oui. Elle n’avait pas traversé les voies que le train est reparti. Elle s’est retrouvée toute seule avec juste son sac à main et les cinq francs de Tata Simone, sans aucune affaire, sans rien d’autre. Ta sœur et toi, vous êtes restés seuls dans le train, avec quelques affaires mais sans un sou.

jeudi 13 février 2025

court toujours (320)

Je vous remercie de ne m’avoir pas demandé ce que j’en pense, ça m’aurait obligé à me demander ce que j’en pense.




mercredi 12 février 2025

Mon classique du mercredi : le Procès, de Kafka (premières pages)

Le Procès n’est pas le premier texte que j’ai lu de Kafka ; non, le premier, assez chronologiquement même si sans le savoir à l’époque, ce fut Description d’un combat. En revanche, le Procès sera probablement le prochain texte de Kafka que je relirai, peut-être cet été. Je prends des précautions parce que j’essaierai sans doute de le lire en allemand, dans ma vieille édition de poche Fischer audacieusement achetée au début des années 80, sans que j’ose m’y plonger jusqu’à présent – j’emporterai quand même mes deux éditions françaises, la traduction de Vialatte que je lis ici même, dans laquelle j’ai lu le Procès pour la première fois, et celle de Bernard Lortholary, publiée à l’époque où je suivais ses cours à Paris 4 – mais Kafka n’était pas au programme, dommage.



lundi 10 février 2025

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 57

Messerschmied n’aurait pas su dire quelle force l’avait poussé à accepter ; toujours est-il qu’il répondit favorablement à l’invitation que lui fit, cette fois, Monsieur Schlehe. À peine Messerschmied se fut-il annoncé que Monsieur Schlehe se précipita à sa rencontre. La visite de Messerschmied était manifestement inespérée. Messerschmied sentit une nouvelle fois à quel point il était quelqu’un d’important. Monsieur Schlehe trottait à ses côtés ; il tenait fébrilement à la main le dossier contenant le contrat. Le salon était là, à droite après le coude que faisait le couloir. Ils prirent le virage et c’est à ce moment-là que Messerschmied reçut quelque chose comme un jet d’eau fraîche en pleine figure, tandis qu’une voix lançait une insulte, à la fois dégradante et infantile.

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samedi 8 février 2025

Souvenirs de mon père, 26 (bombardements, exode)

A un moment, vous vous êtes arrêtés juste avant d’entrer dans une ville. Pendant ce temps, elle a été bombardée. C’est là que vous avez vu passer un avion avec la cocarde française, tricolore, qui vous a mitraillés. Les balles passaient de tous les côtés. C’était un avion allemand camouflé en français ; il y en a eu d’autres. (A ce moment-là, il n’y avait plus guère d’avions français.)

Vous vous êtes réfugiés dans une grange, dans le foin, pour passer la nuit. Une paysanne qui était restée chez elle et qui avait trait ses vaches vous a apporté du lait encore chaud, fraîchement trait. Toi qui n’aimais pas le lait, tu as bu ce bol avec plaisir. Tu avais faim. Depuis, tu aimes le lait.

Le lendemain matin, vous êtes repartis et vous avez atteint Gisors. Vous aviez fait environ cent vingt kilomètres à pied en un jour et demi. Mamie s’appuyait sur un bâton. Arrivés à Gisors, un centre d’accueil organisé vous a donné des ravitaillements, et vous vous êtes retrouvés séparés de votre voisine, définitivement.

Coïncidence : vous avez rencontré un soldat qui se trouvait être un ancien ouvrier de ton grand-père. Il vous a dit que vous seriez mieux logés dans son ambulance que dans les dortoirs du centre d’accueil. Vous y avez passé la nuit. La nuit, plusieurs alertes ont retenti. A chaque fois vous voyiez les officiers entrer les premiers dans les abris, bousculant les gens sans ménagement, suivis par les soldats, enfin par les civils, s’il y avait encore de la place. C’était « l’esprit de 40 ».


Cette dernière remarque a plus de sens quand on sait que mon père était fils et petit-fils d’officiers.