mercredi 3 juillet 2024

Le dernier rêve d’Emily Dickinson

« Mais j’étais encore très jeune, presque une enfant, et pour la seule et unique fois de ma vie j’ai louché vers la reconnaissance et la gloire – et plus jamais depuis, je vous le jure. De plus, j’avais grand besoin d’un véritable interlocuteur, j’y aspirais profondément : quelqu’un qui puisse me comprendre et m’aider à progresser. Je ne l’ai pas trouvé ; cela aurait pu être un grand coup, un coup fatal pour quelqu’un comme moi qui avait décidé qu’il n’y a pas d’autre vie, si ce n’est cette unique et (admettons-le enfin) assez affligeante occupation. S’occuper de poésie est un genre de mort et plus vite nous nous en rendons compte, mieux c’est. Moi, je l’ai compris tôt, je crois. »

C’est Emily Dickinson qui parle mais c’est Stamatis Polenakis qui lui donne la parole, dans une traduction (du grec) de Myrto Gondicas. Le dernier rêve d’Emily Dickinson est un minuscule bijou publié l’an dernier par Quidam dans sa collection « Monade » – dont il est, je crois bien, le seul titre à l’heure actuelle.



mardi 2 juillet 2024

La brave bête du coin

Je viens de lire quasi d’une traite La brave bête du coin, de Joao Gilberto Noll et traduit du portugais (portugais du Brésil) par Dominique Nédellec pour les éditions DO. Le livre est paru en 2018, peu après le décès de l’auteur.

C’est juste extraordinaire. De cet extraordinaire qui laisse peu de place au commentaire, comme c’est souvent le cas des livres publiés chez DO. Un récit bref, dont la brièveté même fait sens : le temps y passe si vite que le narrateur même – c’est un récit à la première personne – ne le voit pas passer, sauf à en voir les ravages chez les quelques personnes qu’il côtoie. Il est lui même porté par les événements, bien plus agi qu’acteur, sans prise sur le monde qu’il entoure et quasi sans compréhension, et dans l’acceptation de sa condition. Il faut dire qu’il est chanceux, ou peut-être pas. Mais il vaut mieux le lire. Ça commence comme ça – et déjà le temps passe vite :

« Un jus noir me dégoulinait des mains sous le robinet, je venais de perdre mon boulot, je disais adieu à ce cambouis pas facile à enlever.

Un jus noir qui dégoulinait, trois mois ont passé depuis, et j’ai pris l’habitude de tuer le temps en traînant en ville, léger abattement en me voyant dans le miroir d’une pissotière, mais rien qu’un garçon de dix-neuf ans ne puisse dissiper en marchant encore un peu. »