jeudi 19 février 2015

Mon jeune grand-père (71)



Le 27 août 1917. Mes chers parents
Après être resté plusieurs sans lettres, j’en reçu beaucoup d’un seul. Quand les lettres manquent, les mots aussi. Ce sont les cartes de Papa des 7, 8, 9, 11, 13, 14 et la lettre de maman du 12. J’ai aussi reçu une lettre de Geneviève du 10 et une carte de la tante Jeanne du 18 août. Je suis bien heureux de savoir tout le monde en bonne santé. Quel ennui que l’oncle ? et la tante J ne puissent aller vous retrouver, cela aurait été plus gai pour vous. J’ai beaucoup de mal à déchiffrer. On dirait vraiment un point d’interrogation après « l’oncle » mais c’est sûrement une lettre. Ça ne ressemble guère qu’à un S à l’envers. Si la cousine Ducrot peut y aller, ce sera déjà quelque chose. Edmond a déjà fait mention de la cousine Ducrot dans la carte du 10 avril 1917. Je n’en sais pas plus. Je comprends, mes chers parents, que vous soyez bien seuls en ce moment. Je pense souvent à vous C’est vraiment très difficile à déchiffrer. Recopier est plus difficile qu’écrire. Plusieurs mots m’échappent. content que la liaison soit faite pour les colis. J’espère les recevoir bientôt. Tout ce que je recopie, je l’ânonne à haute voix avant de l’écrire. Sans ce passage par l’oral, trop de lignes me resteraient inintelligibles. Mes arrière-grands-parents devaient se mettre à deux, sans doute, pour lire ces cartes, et à haute voix sûrement, en se faisant l’un à l’autre la lecture, même si bien sûr elles n’étaient pas encore jaunies par le temps. Je n’aurai manqué de rien, mais ç’aura été tout juste, surtout pour la graisse. C’est vrai que cet été 17 il y avait eu des restrictions, Edmond les évoque dans ses cartes précédentes. Je crois que j’ai bien fait de vous demander dans ma carte précédente de m’envoyer de quoi remonter mes réserves (si je lis bien, je ne suis sûr de rien) car j’ai vu dans les journaux qu’on parlait de fermer la frontière pour un mois. Vous avez bien fait de m’envoyer le pain rôti, car j’ai reçu le colis 15, qui bien que séché est arrivé complètement moisi. J’ai reçu aussi comme colis le plumcake 3 en bon état. Mon imagination compense avec peut-être un peu trop de fantaisie. Ou peut-être pas. Pour le papier d’emballage il n’y a rien à faire car depuis plusieurs mois le contenant de nos colis nous est confisqué, le contenu seul nous est remis. Ma petite indisposition dont je vous parlais dans ma dernière carte est complètement passée et pour l’instant je me porte de nouveau à ravir. J’ai eu du mal à lire « à ravir ». Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien bien  fort tous les deux et en vous chargeant de mes meilleurs baisers pour Geneviève et Louis, Madeleine et Jean et toute la famille. Edmond


2 commentaires:

  1. Durcissement des conditions de détention. Les deux mots "à ravir", presque précieux, tranchent sur le reste de la carte. Sans doute un "mensonge pieux", petit coup de baguette magique pour enchanter la famille.

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    1. Vous avez terriblement raison. Pendant sa captivité Edmond a contracté une maladie non clairement identifiée, sans doute dû à l'alimentation, qui a fini par l'emporter dix ans plus tard. C'est pour ça aussi que j'ai du mal à lire "à ravir".

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