Le 27 août 1917. Mes chers
parents
Après être resté plusieurs sans
lettres, j’en reçu beaucoup d’un seul. Quand
les lettres manquent, les mots aussi. Ce sont les cartes de Papa des
7, 8, 9, 11, 13, 14 et la lettre de maman du 12. J’ai aussi reçu une lettre de
Geneviève du 10 et une carte de la tante Jeanne du 18 août. Je suis bien
heureux de savoir tout le monde en bonne santé. Quel ennui que l’oncle ? et
la tante J ne puissent aller vous retrouver, cela aurait été plus gai pour
vous. J’ai beaucoup de mal à
déchiffrer. On dirait vraiment un point d’interrogation après
« l’oncle » mais c’est sûrement une lettre. Ça ne ressemble guère
qu’à un S à l’envers. Si la cousine Ducrot peut y aller, ce sera
déjà quelque chose. Edmond a déjà
fait mention de la cousine Ducrot dans la carte du 10 avril 1917. Je n’en sais
pas plus. Je comprends, mes chers parents, que vous soyez bien seuls
en ce moment. Je pense souvent à vous C’est
vraiment très difficile à déchiffrer. Recopier est plus difficile qu’écrire.
Plusieurs mots m’échappent. content que la liaison soit faite pour
les colis. J’espère les recevoir bientôt. Tout
ce que je recopie, je l’ânonne à haute voix avant de l’écrire. Sans ce passage
par l’oral, trop de lignes me resteraient inintelligibles. Mes
arrière-grands-parents devaient se mettre à deux, sans doute, pour lire ces
cartes, et à haute voix sûrement, en se faisant l’un à l’autre la lecture, même
si bien sûr elles n’étaient pas encore jaunies par le temps. Je n’aurai manqué de rien, mais
ç’aura été tout juste, surtout pour la graisse. C’est vrai que cet été 17 il y avait eu des restrictions,
Edmond les évoque dans ses cartes précédentes. Je crois que j’ai
bien fait de vous demander dans ma carte précédente de m’envoyer de quoi
remonter mes réserves (si je lis
bien, je ne suis sûr de rien) car j’ai vu dans les journaux qu’on
parlait de fermer la frontière pour un mois. Vous avez bien fait de m’envoyer
le pain rôti, car j’ai reçu le colis 15, qui bien que séché est arrivé
complètement moisi. J’ai reçu aussi comme colis le plumcake 3 en bon état. Mon imagination compense avec peut-être un
peu trop de fantaisie. Ou peut-être pas. Pour le papier d’emballage
il n’y a rien à faire car depuis plusieurs mois le contenant de nos colis nous
est confisqué, le contenu seul nous est remis. Ma petite indisposition dont je
vous parlais dans ma dernière carte est complètement passée et pour l’instant
je me porte de nouveau à ravir. J’ai
eu du mal à lire « à ravir ». Je vous quitte mes chers
parents en vous embrassant bien bien
fort tous les deux et en vous chargeant de mes meilleurs baisers pour
Geneviève et Louis, Madeleine et Jean et toute la famille. Edmond
Durcissement des conditions de détention. Les deux mots "à ravir", presque précieux, tranchent sur le reste de la carte. Sans doute un "mensonge pieux", petit coup de baguette magique pour enchanter la famille.
RépondreSupprimerVous avez terriblement raison. Pendant sa captivité Edmond a contracté une maladie non clairement identifiée, sans doute dû à l'alimentation, qui a fini par l'emporter dix ans plus tard. C'est pour ça aussi que j'ai du mal à lire "à ravir".
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