Et le livre créa le lecteur. A son image il le créa. Bon ou mauvais il le créa.
dimanche 30 juin 2013
samedi 29 juin 2013
Mon jeune grand-père (11)
Le 13 janvier 19167 - Mes chers parents - Comme
sur la carte du 9 janvier le 6 est surchargé d’un 7 – vite lu on
dirait un 4 mais c’est bien sûr un 7 : mon jeune grand-père avait du mal
à se rappeler que l’année était nouvelle, les choses
restant en l’état. Mais cette fois le 6 n’est pas barré à l’encre,
il a dû se corriger tout de suite et non à l’occasion d’une relecture
ultérieure.
D’ailleurs après vérification – c’est pour marquer ce temps que je vais à la ligne –, sur la carte du 4 janvier aussi le 6
était raturé d’un 7, mais plus discrètement ; je n’y avais pas fait attention.
« Mes
chers parents » est encadré de traits d’union, ou de tirets. Un espace
suit le dernier tiret : on va à
la ligne. Le reste est tout d’un bloc, de l’habituelle petite
écriture serrée, économe de place. Le crayon à papier est bien taillé.
J’ai reçu les cartes de papa des 28, 29 30, 31 et la lettre de maman (le mot est coupé entre les deux syllabes, il n’y a pas la place pour le trait d’union) du
1er (er est souligné) et aussi une carte de ma tante Maria (cette fois il n’y a pas de doute : c’est bien
"Maria" et non "Marie") du 12 déc (le c est quasi inexistant au
bord de la carte) et
une lettre de Lucie du 29. Cette brave tante est toujours en bonne
santé et ne souffre pas trop pour l’instant. La
carte est très brève. Lucie m’a écrit une gentille lettre où elle me
présente ses vœux de bonne année. Elle me parle d’une lettre qu’elle
m’a écrite pour Noël, je ne l’ai pas reçue mais j’ai reçu
les paquets, dites-lui que je la remercie bien et que je l’embrasse
bien fort ainsi que sa mère et Louise. Il me semble qu’il s’en paie des
vacances l’abbé ; je commence à trouver le temps
long pour ce qu’il doit ns transmettre. (Ce passage est assez mystérieux. Et il y a une trace de gomme par-dessus laquelle mon jeune
grand-père a réécrit « doit ns ».) J’espère encore cependant. (Bien
sûr je suppose que ce style elliptique est dû au lecteur indésirable
et obligatoire. Un instant je pense à un autre lecteur encore, dont il
ne pouvait être question, et la question de ma
légitimité à recopier ces cartes me traverse. Et puis je balaie
cette idée parce qu’il faut que je continue, ou quelque chose comme ça,
sans me poser de question, ou quelque chose comme
ça.) Comme
colis j’ai reçu les n° 9 13 16. Je vous ai dit brièvement l’autre jour
ce que je faisais. Voici un peu de détail. Je me lève à
8 ou 8h ½ - à 9h appel. Après et jusqu’à 10h promenade - de 10 à 12
le cours d’anglais sauf le dimanche où nous nous réunissons à la
chapelle. Après je vais aux colis si j’en ai et je lis le
journal. Une semaine (là aussi quelque chose a été gommé avant d’écrire « une semaine ») nous mangeons à 12, une autre à 12. (A moins qu’il ait écrit à 14, ce serait plus cohérent ; mais j’ai bien l’impression qu’il a écrit 12.) Nous
alternons avec les Russes. Après je fais le café, puis je refais un
peu d’anglais. De 2 ½ à 3 ½ je fais un peu d’allemand avec un camarade
qui débute, à 3 ½ je prends le thé, à 4 moins ¼ c’est
l’appel, puis la distribution des lettres, 4 fois par semaine de 4 ½
à 5 ½ j’assiste à 1 cours d’allemand fait par un interprète - de 5 ½ à 6
½ je travaille Histoire Physique ou Géographie
pendant que Daussy fait la cuisine, ns mangeons à 6h ½ puis nous
faisons une partie d’échecs. Après (deux mots courts que je n’arrive
pas à lire) travaille jusqu’à 8h ½ , de 8 ½ à 10 ½ nous jouons au bridge avec 2 capitaines (je
retourne un instant la carte pour voir que mon jeune grand-père, lui,
est sous-lieutenant ; c’est pour ça qu’il est prisonnier dans un
Offiziergefangenenlager ; officier comme son père qui lui écrit tous
les jours ; nous descendons d’une lignée d’officiers, une lignée qui
s’est arrêtée là, d’officiers catholiques
pratiquants, même moi doux mécréant qui pense autrement, sans pour
autant qu’il y ait là la moindre rébellion ; d’ailleurs tout cela est
tellement loin, pas seulement en temps mais par ce
que ma famille a vécu depuis), après je lis, puis nous nous couchons à 11h ½. (Encore quelque chose de gommé, sous « après je lis puis nous ».) Vous voyez que mes
journées sont bien remplies. Mon cuisinier me dit de vs demander du lard gras salé pour faire sa tambouille. Ça
sent le direct. Daussy
doit être en train de faire bouillir les patates au moment où mon
jeune grand-père écrit, c’est sûrement de lui que vient la blague, qui
passe de la cellule à la famille, et arrive jusqu’à
moi. Je vs quitte mes chers parents en vs embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis (Geneviève
et Louis : les deux seules personnes mentionnées dans ces cartes que
j’ai embrassées aussi, même si je ne m’en souviens plus très
bien) et toute la famille. Votre fils qui vs aime de tt son cœur. E.
jeudi 27 juin 2013
L’épreuve de français du brevet fait ses adieux à la grammaire.
Alors voilà : ce matin c’était l’épreuve de français du DNB (Diplôme National du Brevet)
2013 parce qu’on ne dit plus Brevet des Collèges depuis le Paléocène et BEPC depuis le Jurassique. D’ailleurs cette épreuve a fait peau neuve, nous autres
professeurs bien sûr le savions bien mais tout de même, ce sujet-ci est le premier de cette nouvelle mouture.
Dans l’Académie de Versailles, il s’agissait d’un extrait du Soleil des Scorta de Laurent
Gaudé qui va bientôt faire concurrence à Maupassant – un
extrait du même roman était tombé me semble-t-il en 2006. Mais enfin
après tout le texte n’est pas si mal ; vous le
trouverez vite sur le Net s’il n’y est déjà, j’ai la flemme de
scanner. Bien sûr on pourrait chipoter sur la pertinence de l’emploi
d’un subjonctif après « espérer » dans un sujet de
brevet : « espérant, dans des rêves étranges, que tout là-bas soit
différent » – c’est mon mauvais esprit qui souligne ; en effet les
personnages « sont entrés
dans la baie de New York », ce qui accessoirement justifie la
première question que d’aucuns trouveront peut-être un peu trop
géographique : De quel continent
s’agit-il ?
Si
la géographie fait son entrée discrète dans l’épreuve de français,
c’est sans doute pour compenser le départ cette fois-ci
officiel de la grammaire. Vous me direz que j’exagère, et vous
n’aurez pas tort : il y a quand même une question et demie de grammaire
dans ce sujet. Or, une question et demie, c’est
carrément le quart du sujet, qui en comporte six – pour plus d’une
heure d’épreuve (naguère dans le même temps on en comptait de dix à
quinze). Allez, pour le plaisir, je vous les recopie. Alors,
question 4 : « Le paquebot se dirigeait lentement vers la
petite île d’Ellis Island. La joie de ce jour, don Salvatore, je ne
l’oublierai jamais. Nous dansions et
criions. » : identifiez les deux temps utilisés et justifiez
l’emploi de chacun. Voilà. Justifier l’emploi des temps, c’est
souvent intéressant. Ici notamment, celui du futur
simple est en relation avec la situation d’énonciation, cette
adresse à Don Salvatore… qui ne fait malheureusement l’objet d’aucune
autre question ; du coup je me demande bien ce que nos
élèves sans aiguillage vont bien pouvoir trouver. Quant à l’emploi
de l’imparfait qui l’accompagne, si vous trouvez quelque chose
d’intéressant à dire dessus, faites-le moi savoir (car j’ai la
faiblesse de penser qu’un sujet doit pousser le candidat à formuler
des réponses que lui-même au premier chef trouvera intéressantes). On se
rattrapera donc sur la question 5 a :
« Miséreux d’Europe au regard affamé. Familles entières ou gamins
esseulés. » Quelle remarque grammaticale pouvez-vous faire sur la
construction de ces deux phrases ? Avec la b,
Quel effet produisent-elles sur le lecteur ?, j’avoue que je n’ai rien à y redire.
Je
n’ai rien à redire sauf que c’est tout pour la grammaire. Or vous savez
bien qu’après le collège, la grammaire, c’est
fini : nos élèves sont supposés la connaître. Comment justifier à
leurs yeux la nécessité de l’apprendre s’ils ne sont même plus
interrogés dessus au brevet ? D’autant plus que parmi
nos élèves les plus méritants, ceux qui ont vraiment du mal en
français mais qui s’accrochent parce qu’ils portent en eux le sens de
l’effort et le désir de progresser, ces élèves-là trouvaient
souvent dans cette approche plus scientifique de la discipline des
occasions de réussite d’autant plus productives que le travail personnel
et les révisions y étaient particulièrement
efficaces.
En
limitant les questions à l’interprétation toute littérale du texte, on
court le risque d’égarer nos élèves les plus sérieux
(sérieux mais pas nécessairement toujours bons lecteurs) tout en
confortant les autres dans leur absence de travail : à quoi bon réviser
quand on ne sait pas sur quel texte on sera
interrogé ? Le message envoyé est clair : les révisions ne servent à
rien. Ou plutôt : entraînez-vous donc à la dictée. Parce que la dictée,
en revanche (un extrait
d’Ellis Island de Georges Perec, assortie d’une recommandation à la noix aux surveillants de salle : noter au tableau le titre et le nom de
l’auteur après avoir procédé à la dictée et avant la relecture alors que les mots Ellis Island
figurent dans le corps même de la dictée), la dictée, disais-je, est
plutôt du
genre costaud. On ne s’en tirera qu’en jouant sur le barème et les
tolérances (dont heureusement certaines s’imposent). Cette dictée, c’est
bien sûr un message pour l’opinion publique : vous
voyez, nous restons exigeants sur l’orthographe. Mouais. J’ai un peu
de mal avec les généralités sous-jacentes. Sans doute, le niveau
général en orthographe baisse. N’empêche, il y a aussi des
élèves, très mauvais lecteurs, qui s’en tirent honorablement en
orthographe tant que le vocabulaire n’est pas trop complexe, parce
qu’ils connaissent quelques règles… de grammaire, et qui se
réjouissent quand le prof annonce une dictée (alors que bien sûr
d’autres au contraire…).
Bref. L’autre nouveauté, c’est qu’il y a deux sujets de rédaction, dont un d’argumentation. Et ça c’est bien. « Le
monde d’aujourd’hui laisse-t-il encore place, selon vous, à un ailleurs qui fasse rêver ? » Comme ce n’est pas à moi d’y répondre je crois que je vais rester ici encore un
peu.
mercredi 26 juin 2013
un sonnet plat de Frédéric Forte
et
si le mystérieux recèle · le moindre attrait · le moindre attrait · est
dans le voile / de toi que je voudrais lever ·
lentement si possible · prenant le temps pour cible · et jamais
achevé / envisager de loin · le point · de ton corps / ne pas faire
moins · être le témoin · le décor
Frédéric Forte, 33 sonnets plats, éditions de l’Attente, 2013.
Un entretien avec Frédéric Forte sur Soli Loci à propos de ses
33 sonnets plats.
Un extrait de sa Discographie sur Hublots – rappelez-vous.
Et figurez-vous que Frédéric, à son insu, n’est pas pour rien dans le projet que j’évoquais avant-hier – mais nous en reparlerons.
dimanche 23 juin 2013
télé
…
Et puis, à la télévision, des instances éclairées comprirent qu’on
aurait tout à gagner à se passer de l’image et du son. Lors
des débats politiques, les adversaires s’exprimaient à l’écrit, le
texte de leurs messages apparaissait progressivement à l’écran, avec
parfois des repentirs qui suscitaient l’émotion des
téléspectateurs, leur soulagement ou leur indignation. Le silence du
poste autorisait tous les commentaires au salon : querelle
politico-sentimentale chez les Lefèvre, exégèse contradictoire
chez les Dubosc, pédagogie rhétorique chez les Martinez.
Indiscutablement, les émissions durant le temps nécessaire pour que les
participants aient pu développer leur pensée, les échanges
gagnaient en hauteur de vue. La télé-réalité cependant conservait
ses adeptes. Lors de la dernière saison de Fatales Rivales,
Alison et Rachida avaient ému la France entière par la
rapidité de leurs progrès en orthographe. On les soupçonnait
désormais de choisir leurs fautes, il ne restait que les plus sexy…
samedi 22 juin 2013
le jour et la nuit
Quand je suis éveillé
mes yeux
sont plus souvent ouverts que fermés
et ma bouche
est plus souvent fermée qu’ouverte.
Quand je dors
c’est le contraire.
vendredi 21 juin 2013
Pas tout à fait un rhume
Je peux
Encore
Sentir
Sur mes bras
Sur mes mains
Mon visage
Je peux encore
Sentir
Sur moi le soleil
Encore sur moi
Le vent
Sur moi
Encore une o-
Deur
De briques sèches
Sentir en-
Core une
Bouffée de bananes
Mûres
Et dire qu’un jour
J’aurai
Un rhume
Infini
Francesco Pittau, Une maison vide dans
l’estomac, Editions Les Carnets du Dessert de Lune, 2013, p. 30.
jeudi 20 juin 2013
pour mémoire
Les écrivains surestimés bénéficient de la conception normative qu’ont leurs lecteurs de la littérature. Enfin, il me
semble.
lundi 17 juin 2013
dimanche 16 juin 2013
bon appétit
Il faut tuer pour vivre, se disait-il à chaque bouchée.
Même la salade avait un goût amer.
samedi 15 juin 2013
ce petit résidu de vétilles empoisonnantes qu’on appelle le monde - par paresse
Le
jour suivant il pleuvait et je me croyais tranquille, mais je me
trompais. Je lui demandai s’il était dans ses projets de
venir me déranger tous les soirs. Je vous dérange. ? dit-elle. Elle
me regardait sans doute. Elle ne devait pas voir grand-chose. Deux
paupières peut-être, et un peu de nez et de front,
obscurément, à cause de l’obscurité. Je croyais que nous étions
bien, dit-elle. Vous me dérangez, dis-je, je ne peux pas m’allonger
quand vous êtes là. Je parlais dans le col de mon manteau et
elle m’entendait quand même. Vous tenez tant que ça à vous
allonger ? dit-elle. Le tort qu’on a, c’est d’adresser la parole aux
gens. Vous n’avez qu’à poser vos pieds sur mes genoux,
dit-elle. Je ne me fis pas prier. Je sentais sous mes pauvres
mollets ses cuisses rebondies. Elle se mit à caresser mes chevilles. Si
je lui envoyais un coup de talon dans le con, me dis-je. On
parle d’allongement aux gens et ils voient tout de suite un corps
étendu. La chose qui m’intéressait moi, roi sans sujets, celle dont la
disposition de ma carcasse n’était que le plus lointain et
futile des reflets, c’était la supination cérébrale,
l’assoupissement de l’idée de moi et de l’idée de ce petit résidu de
vétilles empoisonnantes qu’on appelle le non-moi, et même le monde, par
paresse. Mais à vingt-cinq ans il bande adore, l’homme moderne,
physiquement aussi, de temps en temps, c'est le lot de chacun, moi-même
je n’y coupais pas, si on peut appeler cela bander. Elle
s’en aperçut naturellement, les femmes flairent un phallus en l’air à
plus de dix kilomètres et se demandent, Comment a-t-il pu me voir,
celui-là ?
Samuel Beckett, Premier amour, Minuit, p. 20-21.
J’ai relu Premier amour.
En ce moment j’ai envie de relire des textes lus il y a trente ans. Par
curiosité. C’est
étonnant comme celui-ci n’a pas changé. Moi non plus, donc.
Peut-être que « l’assoupissement de l’idée de moi et de l’idée de ce
petit résidu de vétilles empoisonnantes qu’on appelle le
non-moi, et même le monde, par paresse » résonne encore plus fort,
quand même.
Commentaires
Il est rude quand même Beckett :)
Je pense à un autre "premier amour" (guillemets de précaution car il n'est pas évoqué ainsi) :
Estelle une fois - amour de jeunesse, fiction plutôt d'un amour de jeunesse - [...] Estelle était destinée à demeurer une interrogation, cela même était inscrit dans son prénom, c'était une bonne raison de se faire une raison.
Je pense à un autre "premier amour" (guillemets de précaution car il n'est pas évoqué ainsi) :
Estelle une fois - amour de jeunesse, fiction plutôt d'un amour de jeunesse - [...] Estelle était destinée à demeurer une interrogation, cela même était inscrit dans son prénom, c'était une bonne raison de se faire une raison.
Commentaire n°2
posté par
Michèle P
le 16/06/2013 à 10h38
Terrible. (Beckett, hein ; même si l'autre n'est pas mal non plus.)
Réponse de
PhA
le 16/06/2013 à 15h53
vendredi 14 juin 2013
L’Académie était déshonorée…
Les trente-neuf ! Le sort en était jeté. On disait maintenant : Les trente-neuf !
Il n’y avait plus que trente-neuf académiciens !
Nul ne se présentait pour faire le quarantième.
Depuis les derniers événements, plusieurs mois s’étaient écoulés pendant lesquels aucune candidature n’avait été posée au
Fauteuil hanté.
L’Académie était déshonorée…
…
Et quand, par hasard, l’illustre Assemblée se voyait dans la nécessité
de désigner quelques collègues qui devaient, suivant
l’usage, relever l’éclat d’une cérémonie publique, généralement
funèbre, par leur présence en uniforme, c’était tout un drame.
C’était à qui inventerait une maladie ou dénicherait, au fond d’une province éloignée, quelque parent à l’agonie, pour ne point
revêtir en public l’habit à feuilles de chêne et suspendre à son côté l’épée à poignée de nacre.
Ah ! les temps étaient tristes !
Et l’Immortalité était bien malade.
On ne parlait plus d’elle qu’avec un sourire.
Gaston Leroux, le Fauteuil hanté.
Heureusement, Xavier Darcos est arrivé et s’est vu dans le chêne immortalisé.
jeudi 13 juin 2013
mise au point
Quelle audace éhontée de mettre un point final.
Je proposerais volontiers l’expression « point d’arrêt ». Car il n’y a point d’arrêt vraiment final : il suffit
de se relire pour n’en plus douter.
mercredi 12 juin 2013
affirmation de soi-même
Il y a des phrases qui disent le contraire de ce qu’elles veulent dire. Par exemple : Je suis écrivain.
L’affirmation de soi-même m’étonnera toujours.
mardi 11 juin 2013
lundi 10 juin 2013
Mon jeune grand-père (10)
Le 9 janvier 19167 (Le
6 est raturé d’un 7 à
l’encre noire qui tranche sur le crayon à papier. Correction
ultérieure. L’encre me laisse supposer que c’est mon jeune grand-père
lui-même, plus tard, après la guerre donc, qui a corrigé cette
date ; ce qui signifierait qu’il aurait éprouvé la nécessité ou
l’envie de relire ces cartes. A moins que ce 7 à l’encre soit de la main
du destinataire, mon arrière-grand-père.)
_ Mes chers parents. (Comme
sur la carte du 4 janvier l’écriture est un peu moins
serrée que l’été précédent. La première ligne que je viens de
reproduire est d’une écriture encore un peu plus grosse que la suite :
elle arrive presque au bord de la carte – qui ne
fait que 9,1 cm de largeur. Il reste toutefois un léger espace,
suffisant pour écrire l’article "La" qui commence la ligne suivante. C’est pourquoi j’ai envie quand même pour une fois
d’aller à la ligne.)
La
correspondance et les paquets ont repris une allure à peu près normale.
J’ai reçu la lettre de Geneviève du 21
les cartes de papa du 22-23-25-26-27 la lettre de maman du 24. J’ai
reçu les colis postes 10.11.12.14. et les 3 et 4ème colis de Noël de
Lucie – que je remercie de tout cœur. Les colis bien qu’en
retard sont arrivés en bon état. J’ai aussi reçu le colis gare (gare ?) n°11
et 1 colis de pain de 1 kg du 22 déc. Merci à Geneviève de ses bons
souhaits. Je ne dis jamais rien sur les envois parce qu’ils sont très
bien et qu’il
n’y a rien à dire. (Il n’y a rien à dire.) Toutefois
vous pouvez diminuer les
biscuits et le chocolat car j’en ai un petit stock d’avance ; mais
en revanche la provision de sucre est presque épuisée. Les boîtes de
viande sont superbes et très bonnes ; c’est
meilleur et plus avantageux que celles toutes faites. Les bouquets
sont très bons et très pratiques pour le petit déjeuner. (Je
dois
mal lire, c’est sûrement autre chose que les « bouquets ». Ça
pourrait être les « longuets », mais je ne sais pas ce que c’est.) (… …
…) (Près de cent ans après l’écriture de
cette carte, le petit-fils de son auteur n’a plus à quitter son
siège pour ouvrir son dictionnaire – le TLF – et copie-colle sans
vergogne la définition : « Produit de boulangerie en
forme de cylindre étroit et régulier, cuit dans un moule puis
déshydraté au cours du ressuage ». Donc je corrige : Les longuets
sont très bons et très pratiques pour le petit déjeuner. Je suis bien content que (Je ne comprends pas la suite. Je lis
« Je suis bien content que Ta soiblit fin à G. »
Je le recopie quand
même parce que peut-être qu’en me relisant je comprendrai. Souvent
ce n’est que plus tard qu’on comprend. Qu’on n’aille pas croire que mon
jeune grand-père écrivait mal. J’écris mal, mon père
écrit mal (mais son écriture est plus élégante que la mienne) mais
mon jeune grand-père, lui, écrit plutôt bien. C’est le crayon à papier
qui est si pâle sur cette carte beige, et son écriture si
petite pour en mettre le plus possible sur cette petite surface, et
tout cela qui s’efface, pas seulement l’écriture mais le sens des
phrases aussi, avec tous ces gens que je ne connais
pas.) J’avais
bien peur qu’il n’y aille pas. Vs avez dû lui en poser des questions.
Le temps s’est mis au froid, il gèle depuis quelques
jours mais c’est supportable. Mon temps se passe en 2 h d’anglais, 1
h ou 2 d’allemand 1 h ou 2 d’histoire géographie ou physique. Avec la
promenade dans le parc, la partie d’échecs la partie de
bridge et la lecture, (Je crois bien que plus personne dans la famille ne sait jouer au bridge.) j’ai
mes journées très occupées. Je vs quitte mes chers parents en vous
embrassant bien fort ts les deux ainsi que Geneviève et Louis et toute
la famille.
Votre fils qui vous aime de tout son cœur
Edmond
dimanche 9 juin 2013
tous mes lecteurs perdus
« Je n’ai rien choisi du tout. » (Quoi ? Mais oui, c’est Marcel Cohen, qui répond à Thierry Guichard dans le Matricule de juin. Là c’est à propos de la forme – la forme qu’il n’a pas choisie, donc. Vous savez : les Faits.)
« Comme
beaucoup d’écrivains, je crois que l’essentiel s’écrit dans les marges,
et avec la complicité active du lecteur.
Lorsque l’exigence critique de celui-ci s’ajoute à celle de
l’auteur, aucun rapport d’homme à homme ne peut prétendre à plus de
consistance, ni de sérieux.
Personnellement,
quelque chose d’autre me gêne dans le roman : l’impression d’être pris
pour un petit garçon que l’on
emmène à l’école en le tenant par la main. Le romancier exige que
l’on s’en remette obscurément à lui sans sauter une ligne. Les poètes
n’ont pas du tout cette exigence. Personnellement, j’aime
qu’un livre soit un lieu d’aventure, pas seulement celui où l’on
raconte une histoire. A l’exemple de Michaux, je revendique donc "une
liberté de circulation". C’est aussi ce que j’aimerais
offrir au lecteur. »
C’est
étonnant comme souvent ce que je lis répond à ce que j’écris. Parce
qu’après tel texte qui n’est plus du roman ou tel
autre qui très différemment ne l’est plus non plus et que vous lirez
ou non parce que « l’écrivain persiste à écrire, quand bien même il ne
trouve aucun lecteur, et souvent aucun
éditeur » (Marcel Cohen toujours), après plusieurs projets je
reviendrai – je reviens déjà vers le roman, ce genre que je trouve idiot et dont j’apprécie l’idiotie : ce sera
l’occasion de prendre le lecteur pour un petit garçon, de le prendre par la main en feignant (fiction donc) de l’emmener à l’école pour plutôt le perdre dans les bois, ou ailleurs
encore.
samedi 8 juin 2013
(le romancier s’échauffe de l’intérieur avant l’épreuve)
Comment peut-on écrire des romans et en même temps continuer à vanter les mérites de ce genre idiot ?
– Parce que l’idiotie précisément fait partie de ses principaux mérites.
(Le romancier s’échauffe de l’intérieur avant l’épreuve.)
jeudi 6 juin 2013
le marché de la première ligne
En première ligne,
il y en a qui abordent des territoires inconnus. Qui prennent des
risques. Dont le présent ressemble
à notre avenir. La première ligne est parfois un vers. D’ailleurs le
poète se cache dans le prophète, c’est pour ça que ses chiffres de
vente d’aujourd’hui sont ceux du romancier de demain. Car
la poésie est un drôle de marché. Ça n’empêche pas le Marché de la Poésie . En plus il
fait beau.
mercredi 5 juin 2013
quoi lire, quoi
Le Matricule des Anges, c’est ce mensuel qui consacre son dossier de juin à Marcel Cohen, l’un des plus importants parmi nos auteurs confirmés, et qui parmi ses pages publie un très bel
article sur Irène, Nestor et la vérité de Catherine Ysmal, « un livre surtout qui
signe la naissance d’un véritable écrivain ». Voilà.
mardi 4 juin 2013
bon sang bon dos
2 : Bon sang
Au bout des mares à boire isocèles
tes jambes indécrottables rompent
parfois mais ne plient pas parfois
bagage à propos de pli s’allume
dans le cerveau (des lions) bagage plions
et tout le poids de tout le sang de tout
ton toi tendu vers l’eau se grute
si tu vois ce que veux dire.
4 : Bon dos
Cette fermeture qu’éclaire là-haut
quand on dézippe ta robe ton corps
de gaze court court jusqu’à (bon dos)
la queue chasse mouche et coche
pique-bœuf hé-oh vigie ne rien venir ?
picore picore je te dirai quoi
qu’elle note pourtant elle prend sur elle
si tu vois ce que veux dire.
Sébastien Smirou, Beau voir, Bestiaire, « La girafe », p. 24 et 26, P.O.L, 2008.
dimanche 2 juin 2013
j’ai rien vu
Des
fois, je me dis : tu es encore vert de bois vert. Autant que le morveux
que mon père menait à la trique, j’avais le
cuir épais. Solide. Je n’ai pas grandi. Tu as grandi, toi ? Tu as
quoi ? Dans les quarante ans, non ? Tu me fais l’effet d’en avoir
douze. C’est drôle que la vie passe sans
passer. Pourtant, je suis encore en forme. Regarde-moi. Sans me
vanter : je soulève mon billot tout seul, facile. Je cavale derrière les
chevrettes comme un jeunot. Mieux même : je suis
moins bête, je ne m’époumone pas. Je m’économise. Faut connaître son
souffle. Mais la vie passe. Comme les nuages. Toi, tu te marres, tu ne
vois que des nuages. Moi, ça m’intrigue. Je me
dis : ils sont quand même bien quelque part, puisqu’ils sont sur les
photos. Or je n’en ai jamais vu de pareils. Je n’ai pas dû bien
regarder. Ou alors, je n’étais pas là au bon moment.
C’est quand même pas de pot. J’aurais dû en croiser au moins un,
rien qu’un. Ces photos ne me rappellent rien, aucun souvenir. Ou ce sont
des photos trafiquées, ou bien je suis un vrai con. J’ai
rien vu. Voilà.
Anne-Marie Garat, Tranquille, éditions In 8, Collection Alter & Ego, 2013, p. 35-36.
Là
c’est un père qui parle à son fils – plus qu’il n’en jamais dit :
vivant sa vie dans la plus grande distance possible au
monde (« chevrette » ci-dessus est à lire au sens propre), au plus
loin de la montagne, et dès la tombée du jour calfeutré dans sa bicoque
tapissée de photos des nuages qu’il n’a jamais
vus. Le fils, le narrateur, est porteur d’une nouvelle – mais une
nouvelle, c’est le monde encore. « Merde à la compagnie. »
On peut dire aussi, autrement, que c’est le récit d’une belle journée.
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