La langue française n’est pas sans défaut, reconnaît le professeur de français à l’annonce de la prochaine réforme. Par exemple, le mot « ministre » commence où le mot « ennemi » finit, alors que ce devrait logiquement être l’inverse.
mercredi 31 janvier 2024
mardi 30 janvier 2024
Avant mon stylo
C’était le 27 mars 2023. Je ne m’étais pas encore avisé que je pourrais proposer Avec mon stylo / Sans son stylo aux excellentes éditions DO (l’idée ne m’en est venue qu’en juillet et tout s’est enchaîné très vite). Et comme j’aime la lecture orale, et que Avec mon stylo s’y prête vraiment, j’ai commencé ce petit feuilleton. Je me suis arrêté au 15e épisode ; il y en aurait beaucoup à lire encore, sans compter Sans son stylo.
lundi 29 janvier 2024
Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 5
Assurément, c’était une malédiction – mais Messerschmied avait les pieds sur Terre ; il ne croyait pas aux malédictions. C’est peut-être pour se le prouver à lui-même que, dès qu’il fut rétabli, il prit sa voiture pour se rendre derechef chez Brunnen, afin de signer ce contrat une bonne fois pour toutes, qu’on n’en parle plus. Il n’avait pas que ça à faire ; il avait bien d’autres préoccupations autrement plus importantes dans sa vie. En garant sa voiture devant les locaux de Brunnen, Messerschmied remarqua un individu qui transportait une pancarte ; son visage lui était vaguement familier. Mais oui : c’était un employé de Brunnen, il avait dû l’apercevoir déjà dans un couloir. Ce dernier avait posé sa pancarte debout, au bord du trottoir ; il reprenait son souffle ; en tout cas il prenait son temps. C’est alors qu’un policier aborda Messerschmied et lui fit remarquer que son véhicule stationnait juste à côté d’un panneau d’interdiction de stationner. Ça lui avait tout l’air d’une provocation ; Messerschmied se croyait-il tout permis ? Il avait certainement besoin d’un petit rappel à la loi. C’est à ce moment-là que Messerschmied comprit la raison pour laquelle il n’avait pas remarqué le panneau : c’était la pancarte de l’employé de Brunnen qui la lui avait masquée. Celui-ci l’avait reprise à l’instant sous son bras et l’emportait de son pas tranquille, laissant la belle voiture de Messerschmied garée en évidence, comme une provocation en effet, juste sous le panneau d’interdiction.
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dimanche 28 janvier 2024
Commencer par échouer
Chante l’échec, déesse, du fils de Pélée…
Quand échouerons-nous de nouveau
Dans le tonnerre, les éclairs ou la pluie ?
La magnificence et l’échec n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri second.
Nous échouions à l’étude quand le proviseur entra.
Quelqu’un devait avoir calomnié Joseph K, car, sans qu’il eût échoué en quoi que ce soit, il fut arrêté un matin.
L’échec de Mercier et Camier, je peux le raconter si je veux, car j’échouais avec eux tout le temps.
Vous échouerez à trouver ces citations aux pages 55-56 du livre de Claro L’échec Comment échouer mieux. Elles y sont pourtant. Vous en trouverez même d’autres.
vendredi 26 janvier 2024
On ne badine pas avec le douglas
Avec Jules Vipaldo, les mots parlent presque tout seuls. Que ce soit dans On ne badine pas avec ou La DeuXième Année d’AriThmétrique / d’Aride MéTRIQUE qui paraît chez Tinbad ou Pour qui sonne le Douglas paru à peine plus tôt au Dernier Télégramme, ce sont eux qui décident de ce qui s’y dit – ou plutôt ne décident pas : souvent plusieurs versions, homophoniques ou presque les unes avec les autres, coexistent. L’auteur y est moins auteur qu’acteur – il y suffit comme vous le voyez d’en basculer l’u ; surtout dans Pour qui sonne le douglas ? où « Jules Vipaldo » est plutôt personnage, atteint comme il le dit lui-même du syndrome d’Idéfix : il ne supporte pas de voir abattre un arbre. Car il y a une vraie déclaration d’amour dans celui-là, quasi dendrophilique nous suggère l’homonymie assumée du sapin en titre avec l’un des sex-symbols masculins les plus fameux du cinéma hollywoodien de l’entre-deux-guerres, mais c’est aussi un amour engagé : d’aucuns ne voient dans le bois (notamment celui du douglas) qu’une source de revenus. Si pour Jules Vipaldo « l’heure est propice (and love) à faire le clown (du spectacle) » (On ne badine pas avec, p. 69), ses mots sont propices à la variation des interprétations.
jeudi 25 janvier 2024
Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 4
Messerschmied n’aurait pas dû y retourner ; c’est ce qu’il se disait déjà dans l’ascenseur des locaux de Brunnen – mais il était déjà dans les locaux de Brunnen : il y était quand même retourné ; il s’était vêtu avec élégance, comme à l’accoutumée, et il serrait sous son bras droit sa serviette qui contenait le contrat, et déjà le voici qui, méfiant tout de même, sortait de l’ascenseur, à l’étage indiqué. C’est là, tout de suite, malgré sa méfiance et avant même qu’il eût rencontré qui que ce soit, qu’eut lieu l’accident. Un accident stupide : il était entré en collision avec une chaise à roulettes. Que faisait une chaise à roulettes dans le couloir ? En vérité il n’eut même pas le temps de se rendre compte si quelqu’un l’avait placée là intentionnellement : la chaise roulait bien, trop bien, et Messerschmied fut emporté dans l’escalier qu’il dévala, se fracturant un os du pied. Heureusement Monsieur Witz vint lui rendre visite à l’hôpital afin de lui présenter ses plus plates excuses ; cela donna à Messerchmied l’occasion de hurler toute sa rage enfouie, enfouie dans son cœur et comme enfouie dans le plâtre qui protégeait son métatarse : ce ne serait pas encore cette fois qu’il signerait le contrat.
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mercredi 24 janvier 2024
Un tesson de Baudelaire
N’ayant jamais lu la moindre ligne de Sylvain Tesson (même si j’éprouve une affection profonde pour la panthère des neiges, que personnellement je préfère appeler once, ça prête moins à confusion), me fichant presque autant du Printemps des Poètes (même si, de la poésie, il m’arrive d’en écrire, voire d’en publier) et n’ayant lu que le titre de l’article du Figaro que je reproduis ci-dessous et qui m’inspire le titre pitoyable de ce billet, je me dois de donner mon avis sur ce sujet brûlant (la pétition contre, la pétition pour, etc.) Car c’est ainsi que ça fonctionne aujourd’hui : moins on s’y connaît, plus la parole est légitime. Pour les raisons ci-dessus, je n’ai pas signé la pétition (la première) en question. Que Tesson soit de droite ou d’extrême-droite, peu me chaut ; ça ne me fera ni le lire ni ne pas le lire. Si je cherche les raisons pour lesquelles je ne l’ai pas encore lu et qui sont ailleurs, je devine qu’il doit y avoir sa popularité : j’ai de façon générale peu en commun avec les écrivains populaires – à commencer bien sûr par la popularité. Il y a aussi les arguments en sa faveur, cette aura de voyageur, voire d’aventurier, qui nourrit ses textes. À mes yeux, toute vie est voyage, toute vie est aventure, et il n’y a pas de bons ou de mauvais sujets – sauf quand le sujet devient un argument de vente, ce qui me paraît le cas ici. Il y a aussi le fait que ce soit un héritier. Il y a beaucoup trop d’héritiers. Ils ne sont pas forcément de droite, d’ailleurs. Mais vraiment : il y a beaucoup trop d’héritiers ; on se croirait sous l’Ancien Régime. (Cela dit, j’en aime quand même quelques-uns, je l’avoue.) Ce que révèle, à mes yeux, cette polémique, c’est d’abord l’inculture crasse des personnes en vue qui la dénoncent. Je ne vise pas tellement Rachida Dati, qui n’est Ministre de la Culture que par hasard. Mais de la part de personnes supposément cultivées (certains journalistes, par exemple), on aurait pu s’attendre à ce que soit notée la qualité du travail des auteurs et éditeurs signataires de la pétition : cette liste est à elle seule un excellent catalogue (ça me fait presque regretter de ne l’avoir pas signée). Quant à l’article du Figaro prétexte à ce billet (petite goutte qui a fait déborder le vase), c’est Eric Naulleau qui, en en faisant la louange sur Twitter (« imparable tribune », etc.) a attiré mon attention dessus. Bon, je m’en suis arrêté au titre : « Les pétitionnaires savent-ils que Baudelaire était plus réactionnaire que Tesson ? » auquel je ne peux m’empêcher de répondre « Les réactionnaires savent-ils qu’une comparaison entre Baudelaire et Tesson n’est pas à l’avantage de ce dernier ? » Car, plus sérieusement, en poésie, Baudelaire marque. Il marque, au sens où désormais, il y a un « avant Baudelaire » et un « après Baudelaire ». Si on se pose la même question pour Tesson, n’en vient-on à se rendre compte qu’il y a dans la démarche de ce dernier quelque chose de profondément conservateur ? Quelle différence y aura-t-il entre l’avant-Tesson et l’après-Tesson ? Et ne vous y trompez pas : en écrivant cela, j’attaque moins cet auteur (qu’encore une fois je n’ai pas lu) que je ne le défends de ses défenseurs maladroits.
mardi 23 janvier 2024
Contre la littérature politique
- Beaucoup d’intentions, assez peu de crimes.
- D’un côté l’intention (politique), de l’autre le crime (littéraire). Non seulement la partition est classique mais elle écrabouille tout ; pourtant elle est active.
- Il faudrait qu’au terme d’une négociation, d’un compromis social et romanesque, le partage soit égal : 50 % de politique, 50 % de littérature. Si trop de politique, le littéraire s’avachit ; si trop de littérature, le politique se dissipe.
- Ou alors (…)
Jette au feu. L’or, l’argent, le bronze, l’étain.
Comme l’illustre Boiteux, jette au feu.
Les métaux de toutes sortes, jette.
Les médailles, les pierres fines, les albums de famille, jette aussi.
Comme le divin Bancal, accomplis les gestes.
Pose l’enclume, écrase.
Saisis le marteau, frappe.
Cher Redresseur de Torts,
L’heure de ta retraite enfin sonne. Ta crinière savamment dérangée se clairsème, et tu n’oses plus défaire le deuxième bouton de ta chemise blanche à mille euros. Ton noble destrier est à la peine. Ta dernière croisade, soldée par une guerre civile sans fin, a peut-être été celle de trop. Hélas je ne pourrai pas me réjouir de voir ton visage s’effacer des écrans et ta voix libérer les ondes.
tu as un accent épouvantable
tu peux traduire ?
Je déteste quand on fait comme si l’autre comprenait toutes les langues étrangères
spécialement l’anglais
soi-disant langue mondiale de l’époque
Première anecdote : un ami qui sortait récemment d’une salle de théâtre où l’on venait de jouer Samuel Beckett me raconte qu’il a surpris la discussion de deux spectatrices dont l’une, manifestement agacée, disait à l’autre : « oh moi un écrivain qui s’intéresse aux mots comme ça, je trouve ça suspect ». La phrase fait sourire, en même temps qu’elle dit beaucoup de l’air d’un temps, le nôtre, où la littérarité, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, n’a pas bonne presse.
Bubor Schnulff se sentait un peu perdu, et, comme il ne voulait pas se faire remarquer au milieu de la foule, il emboîta le pas d’un groupe d’une centaine de personnes qui avançaient en direction de la place du Théâtre.
Il tombait une pluie très fine dont on ne voyait pas les gouttes, la température avait baissé. Sans frissonner, Schnulff rentra la tête dans les épaules. Il regrettait de ne pas avoir de cache-nez autour du cou.
En dehors de considérations météorologiques – l’automne précoce, la brouillasse, la chute du thermomètre – et vestimentaires – sa tenue d’ouvrier le protégeait mal –, Schnulff ne remuait pas de pensées très précises.
Il suivait le cortège.
Nathalie Quintane, Louisa Yousfi, Pierre Alferi, Leslie Kaplan, Tanguy Viel, Antoine Volodine, Contre la littérature politique, La fabrique éditions, 2024
lundi 22 janvier 2024
Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 3
Messerschmied n’aurait pas dû y retourner, c’est ce qu’il s’était dit à lui-même, très fort, puis moins fort, puis de moins en moins fort, puis plus du tout. Il retourna chez Brunnen. De toute façon, il fallait signer le contrat. Il fallait bien signer le contrat. Chez Brunnen, dans le bureau de Monsieur Witz, le petit homme blond et frêle, les murs étaient peints en vert, on les avait donc probablement repeints ; ce vert paraissait vaguement incongru à Messerschmied, mais il n’y prêta pas davantage d’attention. Pourquoi se préoccuper de la couleur des murs ? Il ne les remarqua même pas vraiment, pour tout dire. Peut-être cependant cela aurait-il dû l’alerter ? Au moment où, après que Messerschmied eut sollicité la discrétion de la maison Brunnen sur le contrat qu’ils étaient sur le point de signer et que Monsieur Witz, avec sa courtoisie coutumière et son langage fleuri l’assurait du secret, la tête d’une vache apparut dans l’entrebâillement de la porte, qui fixait Messerchmied de son regard bovin. Encore une fois c’était plus que les nerfs de Messerschmied ne pouvaient en supporter : il entra dans une rage qu’il ne put contrôler et se mit à déchirer le contrat. Il fallait qu’il sorte au plus tôt de cet asile, pour n’y jamais revenir.
V7
dimanche 21 janvier 2024
Vivre dans le feu avec Antoine Volodine
Voilà : c’est le dernier livre signé « Antoine Volodine ». On approche de la fin.
Enfant, je me souviens que je me disais souvent que le temps qui me séparait de ma mort serait toujours divisible à l’infini.
Je pourrai toujours lire les Volodine que je n’ai pas encore lus, et les Manuela Draeger de l’école des loisirs, et les autres Eli Kronauer, puisque j’ai lu tous les Lutz Bassmann. Et puis je les relirai, tous.
L’instant qui nous sépare de la fin est le sujet même de Vivre dans le feu. Le brave soldat Sam voit déferler vers lui la nappe de napalm à laquelle il n’échappera pas. « Au jugé », il « dispose d’une seconde ». Il a donc tout son temps : « autant composer un roman ». Vivre dans le feu est ce roman, « hurlé en accéléré, à toute vitesse ». Et Vivre dans le feu est aussi le programme, dans ce roman hurlé à toute vitesse, auquel est assigné le jeune Sam (je dis « jeune » car ce sont ses nombreuses grand-mères et tantes qui se chargent de son apprentissage ; en réalité Sam doit avoir environ entre huit ans et trois cents ans). Vivre dans le feu est d’ailleurs le titre du livre que, depuis l’intérieur du feu, grand-père Iakoub a hurlé à son épouse, grand-mère Rebecca, qui le fait lire à Sam, car à lui aussi, son destin est de Vivre dans le feu.
N’ayez pas peur du feu, tel est le conseil que, après côtoyé toutes ces tantes et ces grand-mères, je donnerais au lecteur qui ne connaîtrait ni l’univers du feu, ni celui de Volodine, ni celui du post-exotisme qui consume dans ce livre ses antépénultièmes pages. C’est un roman tout à fait facile d’accès, et de manière presque ironique, une excellente entrée dans l’univers de Volodine. Je l’ai même trouvé – oserais-je le dire ? – plein de douceur. Le feu, on s’y fait.
samedi 20 janvier 2024
jeudi 18 janvier 2024
Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 2
Peut-être après tout ce petit homme blond et frêle n’avait-il pas vraiment eu l’intention de se moquer de Messerschmied. Il avait l’air sincèrement désolé, sincèrement surpris aussi. Il y avait peut-être une explication, même si elle échappait à Messerschmied. Après tout, il ne s’était rien passé de grave, rien en tout cas qui justifiât de renoncer à la signature du contrat. Messerschmied pouvait bien redonner une chance à Monsieur Witz – c’était ainsi que se nommait le petit homme blond. Alors il était là de nouveau, dans les locaux de l’entreprise, devant le bureau de Monsieur Witz. Un individu stationnait là aussi, près de la porte. Messerschmied lui demanda de bien vouloir informer Monsieur Witz de sa présence ; il était là pour la signature du contrat. Le quidam ne réagit pas. Il restait immobile, les yeux dans le vague, complètement amorphe. C’était comme si la personne qui prenait la peine de s’adresser à lui n’existait pas. Messerschmied était venu, il s’était déplacé exprès pour signer le contrat, et on faisait comme s’il n’existait pas. Comme s’il n’existait pas. C’était scandaleux, c’était proprement inacceptable. Il ne pouvait accepter un tel affront. Il fallait sortir au plus tôt de cet asile. C’est ce qu’il fit aussitôt, tandis que Monsieur Witz sortait enfin de son bureau en balbutiant d’incompréhensibles excuses.
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mercredi 17 janvier 2024
mardi 16 janvier 2024
dos de do, do de dos
Ceci est un dos de do, mais ceci est aussi un do de dos.
Si vous voulez voir ce do de face, allez donc voir chez do, où vous verrez ce do de faces, car si ce do n’a qu’un dos, ce do a bien deux faces.
lundi 15 janvier 2024
Le Contrat, par Kafka et Franquin, épisode 1
Messerschmied n’était là que pour signer le contrat. On l’avait fait entrer, on l’avait fait s’asseoir face à un bureau ; c’était là que devait se signer le contrat. Derrière le bureau, le petit homme blond et obséquieux vantait la société pour laquelle il travaillait. Il traitait Messerschmied comme si ce dernier était quelqu’un de vraiment important, et c’était vrai qu’il était vraiment important : c’était pour ça qu’on l’avait fait venir, c’était pour ça qu’on l’avait fait asseoir dans ce bureau, face à ce petit homme blond et frêle, qui lui parlait avec obséquiosité : c’était pour signer le contrat. Messerschmied était quelqu’un d’important. L’obséquiosité du petit homme blond n’était-elle pas toutefois un peu exagérée ? N’y avait-il pas une légère moquerie à son égard dans toutes ces circonlocutions, dans tout ce bavardage laudatif sur sa propre société, où il n’occupait visiblement qu’une place subalterne ? Messerschmied relut une dernière fois le contrat, au cas où il s’y serait dissimulé une clause cachée, et lorsqu’il releva les yeux, le petit homme blond arborait toujours le même sourire impeccable ; il n’y aurait rien eu à redire à quoi que ce soit, sauf que derrière la tête au sourire impeccable apparaissait, scandaleuse et incongrue, une auréole de sainteté en matière plastique. C’en était trop, il était clair qu’on se moquait de lui ; sans aucun doute, on se moquait de lui ! C’était plus qu’il ne pouvait se permettre d’en supporter, alors Messerschmied se leva et partit en claquant la porte ; il eut juste le temps de voir l’expression d’incompréhension, laquelle certes était interprétée à la perfection, qu’arborait à présent le petit homme blond, comme s’il ne savait pas lui-même à quel point, à quel point inacceptable il se moquait du monde.
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dimanche 14 janvier 2024
court toujours (234)
Quand on compare mon lectorat à celui de tel autre auteur à succès, force est de constater que la qualité du mien l’emporte sur la quantité de l’autre.
samedi 13 janvier 2024
court toujours (233)
– Je n’aime pas quand je ne suis pas sûr de tout comprendre.
– J’aime bien quand je ne suis pas sûr de tout comprendre.
vendredi 12 janvier 2024
Le Contrat, par Franquin et Kafka : avant-première
Il y a un moment que ces Hublots n’ont pas hébergé de réel feuilleton. Or voilà que je m’avise que cet an 24 marque la fin et le commencement de deux artistes qui non seulement me sont chers depuis l’adolescence sans que cette affection ait jamais faibli, mais qui présentent à mes yeux des affinités frappantes – frappantes à mes yeux mais pas nécessairement à ceux du commun des mortels, qui redoute les coquards : il s’agit de Franz Kafka qui décéda l’année où naquit André Franquin. Figurez-vous que ça m’a donné l’idée de faire lire l’ami André à l’ami Franz ; au début Franz a été un peu surpris du rapprochement, mais finalement il est plutôt de mon avis, et il a bien ri : le rire est l’expression de notre commune inquiétude. Ça lui a même donné l’idée d’un récit fragmentaire dont il a promis l’exclusivité à mes Hublots : ça s’appellera Le Contrat. Je pense en poster deux épisodes, très brefs, par semaine : Franquin et Kafka ensemble, vous pensez ! Ce sera le lundi et le jeudi, par exemple, sauf impossibilité. À lundi donc, avec André et Franz aux commandes de ces Hublots.
jeudi 11 janvier 2024
Un stylo pour l’Humanité
C’est donc aujourd’hui la parution de Sans son stylo / Avec mon stylo, et je suis fier et heureux que ce livre si peu (ou bien trop ?) humain soit accueilli dans les pages de l’Humanité grâce à la plume d’Alain Nicolas.
mercredi 10 janvier 2024
Il n’y aura pas le nom de l’auteur.
Demain paraît Avec mon stylo. Demain paraît Sans son stylo. À moins que ce ne soit l’inverse. Dans tous les cas, c’est aux éditions DO. Et c’est un diptyque, présenté tête-bêche, afin qu’il n’y ait pas un texte qui suive ou un texte qui précède : c’est la lecture qui décidera.
Il n’y a donc pas de quatrième de couverture, mais il n’y a pas non plus le nom de l’auteur, ni sur la couverture, ni à l’intérieur. On va sûrement me demander pourquoi, puisque, au moins sur un plan juridique, j’en suis bien l’auteur, et que je ne prends pas la peine de m’en cacher. Les raisons principales de cette omission, je ne les dirai pas : le livre les dira très bien sans moi, je crois. D’ailleurs je crois qu’il y a plein de raisons de ne pas mettre le nom de l’auteur sur une couverture. De nombreux livres gagneraient à paraître sans nom d’auteur. Tous, peut-être. L’auteur, c’est rien du tout. Je crois très peu à son autorité. Le livre est souvent au moins autant l’auteur de son auteur que son auteur n’est l’auteur du livre. Relisez ça. Et, en tant que lecteur – je suis aussi lecteur –, il me semble que le nom de l’auteur, très souvent, pollue ma lecture.
Je n’aime pas tellement les développements sociologiques, aussi vais-je essayer de m’en abstenir, mais il me semble aussi que notre époque aurait tout à gagner dans l’effacement du nom, l’effacement de la personne, au profit de l’œuvre, artistique ou non, au profit des idées.
Comment ça, je « nage contre le sens du courant » ?
mardi 9 janvier 2024
court toujours (232)
Mon prochain livre est tellement bon que j’ai peur de le gâter en mettant mon nom sur la couverture.
lundi 8 janvier 2024
Chabrier malgré lui, Mavel avec nous
Et tandis qu’en cette rentrée d’hiver Claro publie un manuel pour échouer mieux, ça donne envie, Didier da Silva évoque, ou plutôt convoque la figure d’un qui bien avant l’auteur de Worstward ho sut merveilleusement échouer même s’il n’était pas écrivain : Emmanuel Chabrier, compositeur aussi connu que méconnu, qui dut composer avec la chance et surtout la malchance, pour nous laisser une Musique adorable, selon les mots du jeune Edmond Rostand (ce sont les premiers d’une cantate écrite pour Chabrier), qui sont aussi ceux que Didier da Silva a fait apparaître sur la couverture diaphane de son livre, un objet délicat publié aux éditions MF et qui paraît le 11 janvier – je vous prête mon stylo pour noter cette date fameuse et imminente. Moins musicien – c’est une litote – que mon ami Didier (cliquez pour l’écouter jouer la Habanera de Chabrier), j’avoue que je connaissais mal Emmanuel Chabrier, et encore moins Mavel, puisque c’est ainsi que, avec Nanine (sa mère de substitution), l’auteur a choisi de nommer notre héros. Et de fait, rares sont les défunts qu’on a su ramener à une aussi vivante vie – certes Didier da Silva n’en est pas à sa première réanimation ; et Chabrier était tellement plein de vie de son vivant qu’il lui en est resté après sa mort, à écouter sa musique c’est juste une évidence. Une vie heureuse et catastrophique, nous dit la quatrième ; on ne saurait mieux dire : les deux sont vrais en même temps. Didier da Silva est un artiste du sort, c’est là son ironie ; et sa lecture console ceux qui dans ce monde s’y trouvent malchanceux.