Son auteur ayant rendez-vous avec les étudiants en master de création littéraire du Havre, ce blog s'accorde une petite pause.
mardi 21 mars 2023
lundi 20 mars 2023
court toujours (120)
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dimanche 19 mars 2023
Monsieur de Mesmaeker dans le Château de Kafka ou : la mouche et la fenêtre, un hommage à Fran(z)(quin)
Oui, j’ai relu récemment tout Gaston Lagaffe. J’avais souligné naguère les affinités, profondes à mes yeux, que l’œuvre de Franquin entretient avec celle de Kafka, auquel elle emprunte même certains de ses gags ; rappelez-vous.
Monsieur de Mesmaeker est l’un des personnages récurrents les plus anciens de l’univers de Gaston Lagaffe. Il apparaît dès le premier album (encore anonymement) et j’ai renoncé à compter ses héroïques tentatives pour signer d’improbables contrats avec les éditions Dupuis (voir ci-dessous ses première et dernière apparitions), d’abord avec Fantasio, puis avec Prunelle – des sous-fifres, donc. Jamais avec Dupuis lui-même, car Dupuis, dans Gaston Lagaffe, c’est Klamm dans le Château de Kafka : il n’apparaît jamais. Jamais non plus Monsieur de Mesmaeker ne renonce, tel la mouche aux prises avec la fenêtre fermée.
Face à la fenêtre, la mouche en effet reçoit de ses sens deux informations strictement contradictoires. La mouche ne voit pas la vitre ; donc à ses yeux la vitre n’existe pas : elle fonce. Mais elle se cogne, et se pose sur la vitre. À ses pattes en effet, la vitre existe ; pour preuve : on peut marcher dessus. La vitre existe et n’existe pas en même temps. Alors la mouche rebondit entre ses deux informations contradictoires : elle fonce, se cogne, marche, s’envole, fonce de nouveau, se cogne de nouveau (j’avais déjà essayé d’exprimer ça ici même).
C’est le même combat pour Monsieur de Mesmaeker. Et quid desdits contrats ? Jamais on n’en connaîtra le contenu, puisque de contenu il n’y a pas. Il n’y a pas plus de contenu dans les contrats qu’il n’y a de crime commis par Joseph K dans le Procès. Mais l’absence de crime commis par Joseph K n’empêche pas Joseph K d’être coupable et de devoir payer non pas pour son crime inexistant, mais pour sa culpabilité.
Dans un univers parallèle, Franz Kafka n’est pas mort si jeune, il a continué à écrire et au nombre de ses écrits figure une nouvelle, le Contrat, qui raconte l’histoire d’un homme trop plein du sentiment de sa propre importance et qui tente, encore et toujours, de signer un contrat dont on ne connaît pas le contenu, avec un homme qu’il ne rencontre jamais.
samedi 18 mars 2023
vendredi 17 mars 2023
La disparition du mammouth
Pourquoi nous avons préféré prendre cette route – ce chemin de terre, plutôt – je ne m’en souviens plus ; mais je crois que cela avait rapport avec l’agrément. C’était joli, par-là, et il faisait beau.
Quand on conduit, on doit regarder devant soi, c’est pour ça que quand j’ai vu ce mammouth à gauche, du coin de l’œil, je n’étais pas absolument sûr. Je n’étais pas absolument sûr mais presque, et évidemment assez excité à cette idée. Heureusement le chemin tournait à gauche, et c’est par là que j’avais vu le mammouth, gigantesque, avec ses grandes et belles défenses.
Mais je ne l’ai pas vu tout de suite, alors que des yeux je ne cherchais que lui, jusqu’à ce que je le voie enfin.
On ne voit pas vraiment ce qu’on voit. Je ne sais si vous voyez ce que je veux dire.
Ce que j’ai vu n’était plus, à proprement parler, un mammouth. Je ne dis pas que ça n’avait jamais été un mammouth : juste que ça n’en était plus un. C’est juste le pied, me suis-je dit, d’un mammouth (alors que tout à l’heure dans l’autre sens j’avais bien aperçu ses deux défenses). Ce n’était plus que le pied, mais alors un pied énorme, un énorme pied. Il avait la taille, et même la forme, du tronc d’un très gros arbre. C’était un très gros arbre, un très gros pin, ou plutôt, maintenant que j’y repense, un très gros sequoia, un énorme tronc de sequoia roux, debout, bien planté, bien enraciné dans la terre ; mais quand j’ai levé les yeux pour voir les frondaisons de l’arbre, celles-ci manquaient, arrachées. Il ne ne restait que l’énorme tronc roux, au milieu de la route.
On ne pouvait pas passer. C’était énorme. C’était énorme et roux, au milieu de la route, vertical mais pas tout à fait, un peu penché quand même ; ça pourrait tomber, un jour, pas aujourd’hui mais un jour. C’était énorme et roux, au milieu de la route, vertical mais pas tout à fait, un peu penché quand même ; ça pourrait tomber, un jour, pas aujourd’hui mais un jour, puisque très certainement c’était tombé déjà, de là-haut, à droite de la route, du haut de ces magnifiques rochers roux.
C’est un site d’escalade réputé. Heureusement que personne n’était là au moment où ce monolithe est tombé. Car comment appeler autrement cet énorme rocher roux, tombé verticalement en plein milieu de la route au point de s’y tenir planté, un peu penché quand même, un peu oblique ?
C’est fascinant, tout de même, cet énorme monolithe vertical, presque vertical, dont la rousseur tranche sur le bleu du ciel.
On comprend que le site ait du succès. Mais comment passer ? Victor pourra peut-être nous aider. Tout le monde aime bien Victor, même si les bonbons qu’il a laissés traîner ont tendance à rester sur l’estomac, nous dit une de ses collègues. Ils doivent être guides d’escalade, ou quelque chose comme ça. Victor n’est pas là mais on continue à le charrier gentiment sur ses bonbons indigestes.
On est presque arrivés, de toute façon ; c’est à pied sans doute qu’on a gagné les lieux ; c’était si court que je ne m’en souviens plus. C’est un endroit agréable : les quelques personnes rassemblées là sont chaleureuses, et ces petites constructions basses entourant une grande place ronde ne manquent pas de charme.
Je constate qu’ils ont ouvert la route, de l’autre côté. On me le confirme, c’est bien sûr pour que les voitures puissent repartir par-là, puisque l’autre route est bloquée par le monolithe. D’ailleurs c’est par là que nous allons repartir nous aussi. C’est ce que nous nous disons avant que je me fasse la remarque que non : ça n’est ni possible ni nécessaire, puisque notre voiture est arrêtée avant le monolithe. Il nous suffira de faire demi-tour.
jeudi 16 mars 2023
court toujours (118)
La preuve que la littérature n’est qu’une vaste entreprise commerciale, c’est qu’aucun écrivain n’a osé publier un roman où le lecteur meurt à la fin.
mercredi 15 mars 2023
Ouvrez la chambre à brouillard
C’est Chevillard presque tout entier et dans l’ordre qu’on découvre dans sa récente Chambre à brouillard – il n’y manque que le v, omis certainement dans le but d’obtenir ce très joli brabrou dont on a plein la bouche, à moins que ce ne fût en effet le nom que donna Charles Wilson à son invention alors qu’il travaillait sur les spectres de Brocken (encore un br) et conçut jadis ladite chambre. Mais baste, car de Wilson ni de sa chambre il n’est vraiment question au fond du livre de Chevillard : là n’est pas le sujet.
Le sujet ? me demanderez-vous ; eh bien je viens de le dire, suivez donc. Le sujet c’est : « là n’est pas le sujet ».
Rappelez-vous Monotobio. Notre auteur y entreprenait de raconter dix années de sa vie, mais en moins de deux-cents pages. La nécessité du genre imposant des coupes considérables, l’auteur lambda choisit en général de ne pas raconter ce qui, selon lui, « ne fait pas sens ». Mais qui est-il, l’auteur, pour être en mesure de juger de ce qui fait sens ou pas ? de déterminer ce qui mérite où non d’être le « sujet » ? Lorsqu’il s’appelle Chevillard et qu’il raconte sa vie, l’autobiographe scrupuleux le fait en toute conscience de cette faille et assume l’arbitraire du choix (et c’est ainsi qu’on se rend compte qu’une autobiographie vraiment honnête est nécessairement drôle) (avis à mes collègues enseignants de lettres : tout groupement de textes sur l’autobiographie devrait comporter au moins un extrait de Monotobio, rien que pour les questions que ce livre pose sur ce genre).
Le sujet, si l’on en croit, non plus le titre du dernier Chevillard paru, mais sa première partie, serait quasi policier : on y apprend comment Oleg contracte une dette envers l’auteur, pardon, le narrateur, or Oleg a de l’honneur (et de l’humour aussi, pense-t-il, mais là non plus le sujet). Voici donc Chevillard dans le polar ? Vous n’y êtes pas ; d’ailleurs la première partie est déjà terminée – page 26 – et nous voici dans autre chose (que du polar, ce qui n’empêchera pas Oleg d’être rappelé en temps voulu puisqu’il a une dette – tout personnage solidement campé par son auteur a une dette envers le lecteur, or campé, Oleg l’est sur ses deux jambes).
Car le narrateur, lui, a un sujet, et même un sujet d’étude, et ce sujet, forcément protéiforme comme ils le sont puisqu’ils sont tous bons, ou puisqu’ils se valent tous, ce sujet, disais-je, lui échappe. Or le nôtre, je veux dire celui de la Chambre à brouillard, c’est précisément l’échappement de ce sujet – il pourrait lui arriver en effet, à l’occasion, de faire de la fumée ou de sentir mauvais ; n’ouvrons cette chambre à brouillard qu’avec toutes les précautions requises.
Car au fond, est-il d’autres sujets en littérature que l’échappement d’icelui ? Qu’est-ce qui rend possible la littérature sinon son incapacité à rendre compte à coup sûr de ce dont elle prétend parler ? (À ce sujet la peinture m’a toujours paru moins bête – mais là encore est-ce vraiment le sujet ?)
On pourrait croire à me lire que je rends compte ici de quelque essai brillant, voire d’un exercice de style réussi. Il n’en est rien. Le coup de force de notre auteur, c’est précisément, avec ce sujet en fuite, de nous fourbir tout un authentique roman, dont l’une des réussites – romanesques celle-ci, est bien de donner la parole à un narrateur peu fiable, délicieusement odieux dès qu’il s’agit de son prochain, qu’il s’agisse de sa tendre épouse Nine, de son fils Victor ou de Gorius, son supposé confrère, un narrateur qui promène sa logorrhée aux confins de la folie : c’est le risque qu’on court à se frotter de près à la question du sujet – à moins que ce grain ne soit la condition nécessaire à son étude.
Avec sa Chambre à brouillard, non seulement Chevillard a écrit le roman du sujet, mais aussi le roman du sujet du sujet ; il y fallait bien un détecteur de particules.
mardi 14 mars 2023
lundi 13 mars 2023
dimanche 12 mars 2023
49 vociférations d’Antoine Volodine par Marc Giai-Miniet
Voilà un livre dont je n’ai pas écrit le texte (il est d’Antoine Volodine), ni peint les aquarelles (elles sont de Marc-Giai Miniet), dont je n’ai eu connaissance qu’alors qu’il était déjà réalisé, et dont pourtant je suis fier presque comme si j’en étais l’auteur.
Il y a quelques années, un peu plus de treize pour être précis, je découvrais, fasciné, le travail d’emboîteur de Marc Giai-Miniet (cliquez pour être fasciné à votre tour). Nous avons eu l’occasion de faire connaissance et, comme il l’indique en préambule, je lui ai recommandé la lecture de l’œuvre d’Antoine Volodine, avec laquelle celle de Marc Giai-Miniet présente des affinités très fortes. Des années plus tard, j’ai eu la bonne surprise de voir, lors d’une exposition Giai-Miniet à la galerie Rauchfeld, ceci (cliquez donc pour comprendre à quel point j’étais radieux).
Entre temps, Marc avait lancé une petite structure éditoriale, les éditions du Nain qui tousse, pour laquelle j’ai eu le plaisir de commettre ceci ; jolie coïncidence : c’était juste au moment où Volodine recevait le Prix Médicis.
Or voici que Marc Giai-Miniet, après la lecture de Frères sorcières (j’ai écrit ici même quelques mots maladroits à propos de ce livre), a éprouvé le besoin de réaliser une série d’aquarelles en écho à 49 des 343 « vociférations » qui constituent la clé de voûte de ces « entrevoûtes ».
Le livre vient de paraître hors commerce aux éditions du Nain qui tousse et c’est beau !
samedi 11 mars 2023
vendredi 10 mars 2023
court toujours (114)
Je vous remercie de ne m’avoir pas demandé ce que j’en pense : ça m’aurait obligé à me demander ce que j’en pense.
jeudi 9 mars 2023
mercredi 8 mars 2023
mardi 7 mars 2023
lundi 6 mars 2023
dimanche 5 mars 2023
Crepuscule with Jean-Pierre Martinet : l’ombre des forêts
Résumer un roman de Jean-Pierre Martinet, c’est un peu comme photographier une peinture de Soulages : on risque de n’y voir que du noir. Mais voici que je viens de traverser l’Ombre des forêts, tout récemment et très joliment réédité par les jeunes éditions de l’Atteinte (avec une postface d’Eric Dussert), en compagnie de Monsieur, de Céleste, de Rose Poussière et du duc de Reschwig – rien que ces noms évanescents, déjà ; ce serait dommage de ne pas tenter d’en dire deux mots. C’est caniculaire et noir, d’une noirceur rare. Une sorte de transcendance du désespoir, qui touche à ce qu’on appelle communément folie, et qui n’est peut-être pas autre chose que le doute de sa propre existence, la conscience aiguë de la solitude et de sa fatalité, dans la lumière crue d’une ampoule nue déifiée-détestée par Monsieur sous le nom de « Globe sale », ou bien dans un hôtel miteux, borgne comme son barman, ou encore dans les rues arpentées d’une province fantasmée où le souvenir de toute musique s’est effacé, fût-ce l’air de Crepuscule with Nellie jouée sur le piano de Thelonious Monk – d’ailleurs il est mort. Vous n’avez pas le moral ? Lisez l’Ombre des forêts, on se sent moins seul dans toute cette solitude partagée.
samedi 4 mars 2023
vendredi 3 mars 2023
De la parution quasi concomitante de La Chambre fantôme et de Lisière à brouillard
Or voici que le lendemain de la sortie du nouveau roman de l’auteur par lequel, il y a un peu plus de vingt ans, je suis revenu à la lecture après plusieurs années d’empêchement (la Chambre à brouillard d’Eric Chevillard) paraît le nouveau roman de l’auteur dont la lecture du premier m’a convaincu de proposer mon travail à Quidam (Lisière fantôme de Jérôme Lafargue). (Pour les curieux, les deux autres titres en question sont respectivement les Absences du Capitaine Cook et l’Ami Butler.)
jeudi 2 mars 2023
court toujours (108)
– Tout ça n’a aucun sens.
– Ah voilà ! Je me demandais bien aussi pourquoi je trouvais ça tellement passionnant.
mercredi 1 mars 2023
lundi 27 février 2023
Mon fils est épatant.
Mon fils est épatant. Il trouve des astuces pour tout. Il y avait un nid d’insectes qui infestaient la haie. Il a placé à l’intérieur de la haie un dispositif de son invention. Nous le voyions faire à distance. Je n’ai d’ailleurs pas tout de suite compris ce qu’il faisait. Ce que j’ai d’abord vu, c’est un cylindre de lumière diminuée, parfaitement vertical et rectiligne, d’un diamètre d’une quinzaine de centimètres tout au plus, qui s’élevait depuis la haie jusque vers le ciel. Ce n’est qu’en m’approchant que j’ai pu constater que c’était un nuage de minuscules insectes chassés de la haie et empêchés par quelque force mystérieuse de sortir de cet immatériel cylindre.
dimanche 26 février 2023
Je ne vais pas bien du tout.
Je ne vais pas bien du tout.
À la fenêtre, le drap blanc de nuages qui s’avance sur le ciel bleu de février ferait pourtant plaisir à l’œil.
Je ne vais pas bien du tout. D’ailleurs je ne vais pas du tout, tout court : je suis assis.
L’homme, pour aller, marche. C’est sa manière de fonctionner. Un homme qui marche, c’est un homme qui fonctionne. Un homme qui va, c’est un homme qui marche.
C’est pour ça que l’homme s’est fait ami avec le chien. Le chien aussi, marche. Tous les deux, ils ont de l’endurance. Regarde les jambes de l’homme. C’est le seul primate à avoir des jambes pareilles. Des jambes pour marcher. Car marcher, pour l’homme, c’est fonctionner.
Je ne vais pas bien du tout. D’ailleurs c’est lui qui me l’a dit. Il ne me l’a pas dit comme ça, mais enfin, il m’a dit : « Je me demande si tu vas bien. » Ça veut dire que je ne vais pas bien. À ses yeux, je ne vais pas bien. Pourtant je peux marcher, je peux encore marcher, je peux encore marcher beaucoup plus que la plupart des hommes, au moins des hommes de mon âge, mais peut-être même des hommes tout court. Je peux très bien marcher, si je veux. Même si là je suis assis.
De toute façon je n’ai pas de chien. Je ne me suis pas fait ami avec le chien.
On peut très bien marcher sans chien. On peut très bien marcher sans rien. On peut marcher. Ça ne demande rien, de marcher. On n’a même pas besoin d’aller, pour marcher. Aller suppose d’aller quelque part, ou bien d’aller comment, bien ou mal.
Ça va ? Hein ? Comment ça va ?
Alors que marcher, au moins, ne nécessite aucun but. J’ai même l’impression qu’on marche mieux sans but. On a une meilleure qualité de marche. On se sent fonctionner, quand on marche sans but. L’homme fonctionne mieux pour rien.
Sans but. Le but, c’est une fin. Une fin, c’est une mort. Quand tu fais quelque chose avec un but, c’est pour ta mort. Tu le fais, et quand tu as fini, tu es satisfait. Quand tu as fini, quand tu touches à la fin, tu es satisfait. Tu es satisfait de toucher à la mort.
Le but, c’est un bout. La vie a deux bouts. Mais un seul sens. La vie à sens unique. La vie a sens unique. C’est pour ça qu’on va, au lieu de juste marcher sans aller. On va vers le but qui est le bout avec un grand trou rond en forme de o dans lequel on tombe au bout. C’est pour ça qu’on demande comment tu vas mais pas où. Où on le sait bien. On le sait bien où tu vas. Tu vas mourir. Ça ne sert à rien de demander ça. Par contre, tu peux y aller bien ou mal, à ta mort. Il y a deux possibilités, deux manières d’aller mourir. Bien ou mal.
Je ne vais pas bien mourir. Voilà. Je ne vais pas bien, ça veut dire : je ne vais pas bien mourir. Je ne vais pas du tout bien mourir. Je vais mourir, mais pas du tout bien. Qu’on ne compte pas sur moi pour aller bien mourir. Je vais prendre mon temps. Je vais prendre des rallongements. Je vais marcher longtemps. Ceux qui me connaissent savent que je peux marcher longtemps, très longtemps. Je vais marcher. Je vais marcher longtemps. Je fonctionne.
Je fonctionne bien.
samedi 25 février 2023
vendredi 24 février 2023
jeudi 23 février 2023
court toujours (104)
Les idées blanches ne sont pas visibles pas sur le blanc de la page, c’est pour ça que tu n’en as jamais entendu parler.
mercredi 22 février 2023
lundi 20 février 2023
Claro abat son jeu
Voici que je tombe sur le passage suivant, extrait d’Abattre son jeu, de Claro, paru tout récemment chez l’Arbre vengeur :
« […] Ainsi, le personnage. L’avoir créé confère à l’auteur (son papa ou sa maman, en quelque sorte), une espèce de responsabilité, un devoir (ou un droit) parental que tout bon journaliste cherchera à sonder. Du genre : Mais vous lui en faites faire des choses ! Vous l’avez rendu bien laid, dites donc ! Il y a un peu de vous dans cet hermaphrodite paraplégique qui mange des topinambours en fredonnant du Wagner à l’envers, non ? Bref, tout le monde s’amuse bien. Parce que tout le monde l’a compris : le personnage est l’émissaire du romancier. Sa bonniche, son ambassadeur, son repré chéri, son… son… son porteur de parole ?
Chaque année, ils sont des dizaines à succomber à ce virus. Et personne n’ose leur dire que ces marottes d’encre et de papier n’existent que dans leur imagination. La médecine semble avoir abdiqué […] »
Je souffre de la même urticaire (que Claro – c’est d’ailleurs sûrement pour me sentir moins seul que j’ai acheté son bouquin). Ça démange trop. D’ailleurs je me gratte moi-même sur le même sujet dans Mon petit DIRELICON (petit DIctionnaire des Idées REçues sur la LIttérature CONtemporaine etc.) :
« Personnages :
Passent le temps à échapper à leur auteur, à en croire ce dernier. Ceux qui sont restés prisonniers de son roman sont donc les moins véloces. Contrairement aux spermatozoïdes, doivent posséder une psychologie. (Voir Psychologie) »
C’est aussi que Claro, non content d’être écrivain, est aussi traducteur (à moins que ce ne soit l’inverse), ce qui revient au même car
« […] tout écrivain est quelque part un traducteur. Il ne cesse de se traduire lui-même, améliorant en permanence la version précédente de son texte, tout comme il traduit, très librement, plus ou moins consciemment, les auteurs qui l’inspirent […] »
Car l’écriture en effet n’est jamais qu’une grande affaire d’entre-traduction – aussi ne prétends-je pas déroger à la règle avec ce billet-ci.
vendredi 17 février 2023
jeudi 16 février 2023
court toujours (101)
Quelque part entre l’île mystérieuse de Jules Verne et l’étoile noire de George Lucas, un jeune garçon et un petit chien blanc se demandent bien ce qu’ils font là – à moins que ce ne soit entre l’étoile noire et l’île mystérieuse.
mercredi 15 février 2023
Mon étoile mystérieuse / Souvenirs d’un lecteur de bandes dessinées (2)
L’étoile mystérieuse, encore. J’en connaissais des répliques par cœur. Tout le début, en tout cas. Encore maintenant, je n’ai pas besoin d’aller chercher l’album pour que Tintin dise à Milou « Regarde cette grosse étoile » et entendre Milou, qui vient de se cogner contre un réverbère, lui demander laquelle. J’ai tellement le souvenir de cette voix d’enfant que je m’entends encore lire « Qui, ça sent le hareng », au lieu de « oui » (c’est Milou encore, le double prosaïque et terrestre de Tintin qui hume l’air du large). Je ne distinguais pas le Q majuscule du O. Ça ne me gênait pas. C’était un âge où ne pas tout bien comprendre fait partie de la vie ; ça ne pose pas de problèmes.
L’étoile mystérieuse, c’est le seul album de Tintin qui évoque la fin du monde. Gros plan sur le visage en forme de croissant de lune de « Monsieur l’astronome », les sourcils froncés, qui même alors qu’il n’est plus en train de regarder le bolide qui se précipite vers notre planète ne voit que lui, fasciné, alors que Tintin en arrière-plan n’est qu’épouvanté.
La fin du monde, c’est par là que j’ai commencé à lire. D’ailleurs, un ou deux ans plus tard, ma première lecture non étiquetée « jeunesse » a aussi été post-apocalyptique ; c’était Ville sous globe, un roman d’Edmond Hamilton. C’est aussi ce que j’ai commencé à écrire, au sortir de l’enfance ; on en reparlera.
Je me souviens aussi que je n’avais pas tout de suite compris – il a fallu que je vois Francis en rire – l’humour dans l’explosion de joie de Tintin ainsi formulée : « la fin du monde est remise à une date ultérieure ».
Aujourd’hui, je dois sans doute me situer quelque part à mi-chemin entre Tintin et Hippolyte Calys : si je me réjouis encore que la fin du monde soit remise à une date ultérieure, je ne désespère pas d’y assister pour pouvoir la raconter dans un prochain livre.
mardi 14 février 2023
lundi 13 février 2023
court toujours (99)
Il n’y a pas plus positif que le pessimiste : à ses yeux tout est tellement foutu d’avance que chaque petite bonne chose est un bonheur inespéré.
samedi 11 février 2023
court toujours (98)
« À la même page, il faut séparer le schizophylle commun du charme de Caroline », précise-t-il à son éditeur qui vient de lui envoyer les épreuves de son prochain livre.
vendredi 10 février 2023
jeudi 9 février 2023
mercredi 8 février 2023
court toujours (95)
Quelle idée aussi d’avoir confié les transports ferroviaires à une aristocratie terroriste ! Des privilégiés qui prennent les voyageurs en otage, contre rançon. Dans quel monde vivons-nous ?
mardi 7 février 2023
court toujours (94)
Je vais mettre plus de personnages dans mon prochain roman, quelques centaines de milliers ; et puis je les obligerai à me lire.
lundi 6 février 2023
dimanche 5 février 2023
Mon étoile mystérieuse / Souvenirs d’un lecteur de bandes dessinées (1)
Hier en faisant les courses j’ai vu une pomme, enfin plusieurs pommes mais surtout une ; je n’en avais jamais vu d’aussi grosse. Une pomme énorme, juste énorme ; j’ai failli l’acheter rien que pour la taille, mais je n’en avais pas l’usage. J’ai pensé à Guillaume Tell ; son exploit m’a paru moins extraordinaire. Je n’avais jamais vu une pomme pareille, énorme et rouge. Si une pomme pareille te tombe sur la tête quand tu passes dessous, tu es sûr de comprendre à quel point parfois la gravité, ça peut être vraiment grave.
Je n’avais jamais vu une pomme pareille. Si : j’en ai vu – mais dessinées. Dessinées par Hergé, dans l’étoile mystérieuse. Rappelez-vous, à la fin de l’album, quand Tintin est sur l’aérolithe, en plein océan arctique. Il a campé dessus, et a jeté par-dessus son épaule le trognon de la pomme qu’il vient de manger. Une feuille lui chatouille le cou, c’est le pommier du trognon qui pousse déjà, et qui en quelques minutes se met à donner des pommes énormes – énormes mais à peine plus grosses que la pomme énorme que j’ai vue hier – lesquelles à leur tour donnent naissance à d’autres pommiers, toute une forêt de pommiers gigantesques qui donnent des pommes qui tombent, c’est un vrai bombardement de pommes et voici qu’une pomme, bien sûr, tombe sur la tête de Newton, pardon, de Tintin, la gravité en effet est à l’œuvre dans l’étoile mystérieuse, c’est déjà à cause d’elle si ladite étoile mystérieuse a frôlé la Terre et qu’un petit morceau s’est écrasé dans l’Arctique.
Je connais bien l’étoile mystérieuse. Fut un temps où je crois bien que je connaissais toutes les répliques par cœur. C’est mon premier Tintin. C’est Francis, mon grand frère, qui me l’a offert. Je ne me souviens plus de l’occasion, si c’était mon anniversaire, ou Noël, ou sans occasion particulière. C’était peut-être Noël puisqu’il a aussi offert Vol 714 pour Sydney à mon cousin Jean-Yves. Je me souviens que la couverture avec le volcan en éruption me faisait envie. Sur la couverture de l’étoile mystérieuse, Tintin, chaudement couvert, pose une main effarée sur sa joue face à un champignon géant. Finalement, un champignon géant, pour moi, c’était bien choisi aussi, même si à l’époque je ne savais pas encore la place que les champignons prendraient dans un autre compartiment de ma vie. Je ne savais même pas que ma vie serait compartimentée.
Ça nous renvoie à quelle époque ? Je suis à peu près sûr que c’était encore la fin des années soixante. La toute fin bien sûr, mais les années soixante quand même. Attends, j’ai encore l’album, à côté ; je vais aller voir l’achevé d’imprimer.
1966. Bon, il a dû attendre un peu dans les entrepôts de Casterman avant d’arriver dans ma chambre. Dans ma chambre, il n’a pas dû y arriver avant 1969. 1968 tout au plus. Plutôt 1969. Ou 1968, car je crois bien que Vol 714 pour Sydney venait de paraître et, je viens de vérifier, il est paru en 1968.
vendredi 3 février 2023
autoportrait en internaute
Involution quotidienne
Lorsque je navigue sur internet, les associations se bousculent, mais elles sont de plus en plus fugitives et passent presque aussitôt dans l’oubli. Cette bulle d’amnésie grossit à mesure que je poursuis mes recherches. Peu à peu, ces dernières deviennent sans objet. Je m’approche du vide final. Je ne sais plus ce que je cherche, ni même ce qui m’intéresse. Mes idées, mes représentations rétrécissent, telle une évolution à l’envers des espèces vivantes, où les organismes perdraient leurs membres et leurs articulations pour revenir à l’état originel de protozoaire.
Le paradoxe est que ces centres d’intérêt qui s’étiolent sont méticuleusement archivés par la toile. En moi, leur carrière s’achève, mais dans l’espace numérique, elle commence. À mon insu, ces recherches moribondes orientent mes navigations futures. Elles m’emprisonnent dans une sphère sur mesure dont je suis le captif inconscient.
C’est de Philippe Garnier, c’est dans la Démence du percolateur (dont je commence tout juste la lecture) et ça vient tout juste de paraître aux éditions Premier Parallèle.
jeudi 2 février 2023
court toujours (92)
Tant qu’à raccourcir la durée de la retraite, pourquoi l’amputer de ses deux premières années – les deux meilleures – plutôt que des deux dernières, qui sont rarement les plus heureuses ? (Et c’est ainsi que l’euthanasie lui apparut soudain comme une perspective désirable.)
mercredi 1 février 2023
court toujours (91)
Ce que je n’aime pas dans les romans, c’est qu’ils racontent comment les choses se passent, alors qu’on n’en sait rien.