vendredi 22 septembre 2023

- De quoi ça parle ? - De synapses.

Quand on me demande « de quoi ça parle » ou, pire, « qu’est-ce que ça raconte », je suis toujours bien embêté. Comme si, sous prétexte que je l’ai écrit, je serais mieux placé qu’un autre pour savoir de quoi ça parle. La seule chose qui m’intéresse, c’est que ça parle, en fait. Il faut que ça parle. Ce sera peut-être encore plus vrai pour le prochain (qui paraîtra en janvier, ce sera le dix-septième ; je serai bientôt majeur). On me demandera de quoi ça parle, et je serai bien embêté. Mais ça parle, ça parle vraiment. C’est comme quand on me demande ce que ça représente, ce que je dessine. Et puis parfois, pour répondre quelque chose, je réponds « des synapses ».



jeudi 21 septembre 2023

mardi 19 septembre 2023

court toujours (182)

Comme ils avaient trop de pudeur pour s’ouvrir leur cœur, ils se montraient leurs parties génitales.




lundi 18 septembre 2023

En Fraternité avec Luc Dagognet

Fraternité est le premier roman de Luc Dagognet (le même Luc Dagognet qui publie la revue L’Autoroute de sable) et vient de paraître aux éditions DO. C’est un récit qui bifurque, emprunte d’abord une direction – une querelle de voisinage qui tire vers le thriller – on songe un instant à Propriété privée de Julia Deck, sauf que le protagoniste-narrateur est célibataire et sans enfants ; et puis ça part dans un chemin de traverse ; une autre voie s’ouvre, laquelle choisir se demande le lecteur ? Et tiens, justement, nous voici dans un labyrinthe, dont l’issue s’éclaire d’une lumière inattendue. Car pourquoi un roman devrait-il être uni-directionnel ? Le narrateur, un trentenaire plein de craintes, de doutes, de failles, de détestation du bruit et d’un vrai désir de fraternité nous promène dans le wagonnet de sa pensée (il y a aussi un wagonnet dans l’histoire) entre roman social, épouvante, roman psychologique, roman d’amitié (comme on dit « roman d’amour ») et même roman à thèse, car il arrive qu’une thèse en effet s’impose. Et j’ai oublié de dire que, et ce n’est pas la moindre de ses qualités, ce roman parvient à être drôle et tendre à la fois. Avec tout le reste, ça nous fait une belle addition.

Pour une vraie belle lecture approfondie, avec un avis un peu différent du mien sur le dénouement (que personnellement j’appellerais un dénouement à surprise par ricochet), allez donc lire ce qu’en dit Pierre Butic sur En attendant Nadeau.



dimanche 17 septembre 2023

vendredi 15 septembre 2023

L’angoisse de la page noire

« Tout lui donnait aussitôt à écrire » écrit Rainer Stach à propos de Kafka (j’ai à peine entamé cette biographie et vous la recommande déjà), paraphrasant Kafka, lequel aurait écrit un jour « Tout me donne à penser » ; et ce « Tout me donne à penser » (même quand je n’écris pas) me donne tellement à penser que ce « Tout lui donnait à écrire » (car même quand on n’écrit pas, on écrit encore) m’a donné à penser – à écrire – sur l’angoisse de la page noire, et ce que c’est, moi qui ne connais pas la blanche.

Voilà, c’est confus, c’est du moins obscur sinon tout à fait noir ; cette phrase aura de la chance si elle trouve quelqu’un pour la comprendre. On est déjà dans la page noire.

Pourtant, enfant, à l’âge des « rédactions », rien ne me paraissait valoir la peine d’être écrit (surtout qu’écrire était, pour l’essentiel, raconter). Je voulais déjà écrire, pourtant, mais quoi. Et maintenant, tout. Rien ne vaut pas la peine d’être écrit. Pourquoi tant de livres ne valent pas la peine d’être lus, voilà le mystère, puisque tout est passionnant. À titre d’exemple, puisque j’ai celui-ci sous la main : je lis une biographie, celle d’un écrivain dont l’œuvre entière me passionne, depuis l’adolescence. Mais quelle vie ne vaudrait pas une biographie susceptible de me passionner ? Je me passionnerais à écrire toute vie, quelle qu’elle soit. Il suffirait que j’arrête n’importe qui dans la rue, et j’aurais forcément – me semble-t-il –, au prix d’un effort d’attention, la matière d’une biographie extraordinaire. Ou d’autre chose qu’une biographie, pour peu que mon interlocuteur et moi ne parlions pas la même langue. Ou que mon sujet ne soit pas un sujet parlant, comme disent les linguistes : un animal, une plante, un organisme, vivant parce qu’il y a « bio » dans mon exemple et pourquoi donc une biographie devrait-elle se limiter à l’humain ? sans quoi je pourrais prendre n’importe quoi d’autre : le vol de la mouche, la rotation d’Uranus, l’entièreté de la personne, l’érosion lexicale du tonnerre, la formation du silex – tiens, la formation du silex, je n’y connais rien, mais alors absolument rien du tout, comment se fait-il que je n’y connaisse rien ? Comment peut-on vivre sans rien connaître de la formation du silex ? Il y a certainement un roman, un poème, qui sait, une pièce de théâtre à écrire à propos de la formation du silex ! Il y a tant de gens que cela passionnerait ! Non ? Pourvu que ce soit écrit avec passion ! Et je n’ai que moi pour l’écrire ; je n’ai que moi, juste moi, enfermé dans un seul moi pour écrire sur tout ça. Pour écrire, pour écrire beaucoup trop pour mes seules deux mains, mon unique cerveau – quelle chance ont les poulpes ! Pour noircir des pages et des pages d’une encre qui recouvre de l’encre encore. Au point que. Il y a déjà tant de livres qui ne valent pas la peine d’être lus. Comment espérer que tout ce qui se surécrit, s’écrit par-dessus, soit encore lisible. Comment espérer que, dans quelque temps, je sois encore moi-même en mesure de lire ce que j’aurais écrit ?

Alors j’arrête un peu, pour voir. Pour voir si je peux arrêter un peu. Ça fait presque une dizaine de mois que j’ai arrêté, pour laisser la page s’éclaircir un peu. Dans l’espoir de la page blanche. Dans l’espoir de la page claire. La page blanche est un espoir.



mercredi 13 septembre 2023

mardi 12 septembre 2023

court toujours (178)

– Tu peux garder le haut mais tu retires tes bas s’il te plaît.

– C’est à moi que vous parlez ?

Oh non. C’est à la vie.




lundi 11 septembre 2023

En passant par Berlin Alexanderplatz

Et puis j’ai aussi (et enfin) découvert cet été Berlin Alexanderplatz. Il y avait longtemps que le roman d’Alfred Döblin rayonnait sur les rayons de la bibliothèque familiale sans que je l’eusse encore ouvert, et puis comme il se trouva que je me trouvasse à Berlin, il fit le voyage avec moi, sous cette forme jaunie et un peu molle que prennent les Folio acquis dans les années 80. Choc à la lecture néanmoins. Je m’attendais à un grand livre ; c’est encore plus que ça. Mais tout de même, il n’y avait pas que le papier de mon vieux Folio qui avait vieilli : la traduction aussi. De retour en France, j’ai donc acheté illico la nouvelle traduction d’Olivier Le Lay qui rend justice au travail sur l’oralité, la choralité ai-je envie de dire de ce grand roman moderne, qui annonce sans doute, me semble-t-il, l’œuvre de Reinhard Jirgl, que publie Quidam en français.



dimanche 10 septembre 2023

court toujours (177)

Il était à moitié mort. Les recherches continuaient. L’autre moitié manquait encore.




samedi 9 septembre 2023

À propos de lecture et de sensibilité

Petite querelle de rentrée littéraire : Nicolas Mathieu reproche à Kévin Lambert le recours de ce dernier à une « lectrice sensible », pour parler français. Kévin Lambert lui répond ; vous pouvez lire ça ici, sur le site de Télérama. Rien de bien méchant dans cette histoire mais, à lire Kévin Lambert, il n’a fait que se documenter. Pourquoi ne pas appeler cela de la documentation ? Si on veut encore écrire des romans réalistes, on se documente, pour éviter d’écrire des bourdes qui pourraient choquer certaines sensibilités. Pourquoi pas ? Je le confesse, moi-même, il m’est arrivé dans mes lectures d’être choqué par certains détails a priori anodins – et votre manque de sensibilité dans ce domaine vous les ferait sans doute considérer comme tels –, mais à propos desquels pour ma part je suis particulièrement sourcilleux. J’ai carrément arrêté la lecture du roman d’un (vraiment) excellent auteur à cause d’une erreur (terriblement grossière) de botanique. D’un autre roman, lu en entier celui-là, je me rappelle, avant toute autre chose, deux erreurs de botanique encore une fois (concernant pour l’une des cyclamens, pour l’autre des digitales ; ça vous fait deux indices). On ne plaisante pas avec la botanique. On n’écrit pas n’importe quoi sur les fleurs. De même, avant d’écrire sur une espèce animale ou sur un champignon peu connus, on me demande ; c’est plus sûr et je n’ai jamais refusé ce genre de service. On va croire que je me moque dans ce billet de la mode des « sensitivity readers » ; c’est un peu vrai. Mais je m’y moque aussi de moi-même, car tout ce que je viens d’écrire est absolument vrai – et la sensibilité de chacun se place où elle se place, y compris là où on ne l’attend pas. Il y a du boulot.



vendredi 8 septembre 2023

court toujours (176)

À sa forme allongée et à son pronotum muni de deux dents vers l’arrière, on reconnaît immédiatement le cidnope poilu comme un élatéridé.




mercredi 6 septembre 2023

court toujours (174)

– Pourquoi avez-vous décidé d’écrire à la troisième personne ?

Les deux autres ne répondaient pas.




mardi 5 septembre 2023

court toujours (173)

Il arrive que des milliers de personnes lisent le même livre en même temps. C’est comme une vaste partouze, sauf que c’est quand même un peu dégoûtant.




lundi 4 septembre 2023

Pennac au Terminus

Pennac en a donc fini avec la saga Malaussène ; le titre du dernier opus nous l’annonce d’emblée : Terminus Malaussène – même si, les habitués s’en doutent, le titre risque d’être à double-fond. Ça m’a donné envie d’aller voir Malaussène pour me rendre comment il s’en tirait avec sa fin, Pennac. C’est très joli, Malaussène, d’ailleurs, si jamais vous passez dans le coin ; ça ne m’étonne pas que le divisionnaire Coudrier y ait pris sa retraite (non : cette information n’est pas à proprement parler un spoil). Ça m’a donné envie aussi de lire Terminus Malaussène, même si je suis loin d’avoir lu tout le reste de la série ; je n’ai même pas lu le Cas Malaussène, dont Terminus Malaussène est la suite directe. Mais j’ai un souvenir très net de la Fée Carabine, pour l’avoir étudié naguère et même jadis avec mes 3e – souvenir qui m’a permis de deviner très vite qui – mais brisons-là, je risquerais d’en dire trop et ce n’est pas non plus mon propos. J’ai retrouvé le même plaisir à l’intrigue too much ; moi qui n’aime pas les intrigues, autant que l’auteur y aille franchement. De même avec cette voix narrative flottante au gré du récit : on passe sans ambages d’un narrateur extérieur omniscient au je de Benjamin Malaussène, lequel laisse parfois la place à un autre je, celui de Pennac en personne, qui nous met ses amis de la vraie vie dans son roman, comme un signe à distance.

Tiens, presque dans le même ordre d’idée mais pas tout à fait, un petit passage qui m’a amusé. C’est la reine Zabo qui parle, l’éditrice pour laquelle travaille Benjamin Malaussène, à propos du manuscrit d’un de ses auteurs :


« Je lui ai commandé la suite de son premier roman, un point c’est tout. Et sur le même ton ! Quand on capture un si nombreux lectorat avec un premier roman, on ne le déstabilise pas dès le deuxième. On attend au moins dix bouquins pour changer de ton. Alceste veut perdre la moitié de ses lecteurs, ou quoi ? Je ne publierai pas ça. »


Je vous assure que quand le lecteur est auteur lui-même, ça lui parle. Et Pennac qui écrit ça tout en appliquant studieusement les règles éditoriales basiques énoncées par la reine Zabo dans son nouveau Malaussène, cuisiné à la même bonne sauce Malaussène qui a fait ses preuves depuis plus de trente ans ; ça croustille. On compte sur lui pour faire quelques faux pas éditoriaux (c’était déjà un peu le cas avec le Journal d’un corps) ; il a bien de plus de dix titres à succès derrière lui. Avis aux auteurs qui en ont moins. D’autant plus que, on le verra par la suite, intrigue oblige, les propos de la reine Zabo ne sont pas à prendre au pied de la lettre.

Et la fin – car je voulais savoir comment Pennac allait finir. Bien sûr je ne peux pas vous la raconter. Ce que j’aime, c’est que, quelle que soit la façon dont on l’interprète, elle rend toute poursuite du récit impossible. Ou alors, il faudrait vraiment, mais alors vraiment changer de ton, et comment réagiraient les reines Zabo de la réalité ?




L’illustration est non contractuelle.

dimanche 3 septembre 2023

court toujours (172)

– Pourquoi écriviez-vous à l’imparfait ?

– Pour l’encourager à s’améliorer, bien sûr.




jeudi 31 août 2023

court toujours (169)

– Pourquoi ne parlez-vous que des livres dont tout le monde parle ?

C'est parce que sinon je risquerais de parler tout seul et ça me fait peur.



mercredi 30 août 2023

court toujours (168)

C’est la rentrée ; sortons ! se disent les livres. Tout le monde reprend le travail ; personne n’aura le temps de nous lire : on ne risque rien.




dimanche 27 août 2023

court toujours (167)

L’atrocité de l’assassinat est proportionnelle à l’inadéquation de l’arme du crime.



samedi 26 août 2023

Essaie donc de sortir de la Maison des feuilles.

J’ai aussi lu la Maison des feuilles. C’était en juillet, avant Don Quichotte. Je l’ai lu dans la nouvelle édition remastérisée couleurs de Monsieur Toussaint Louverture, parue il y a tout juste un an – il fallait bien Monsieur Toussaint Louverture pour un aussi bel objet. C’est traduit par Claro et c’est de Mark Z. Danielewski. Je suis encore obligé de vérifier l’orthographe du nom de l’auteur, alors que ça fait des années que je voulais lire ce roman. Je crois bien que l’auteur reste moins célèbre que son livre (ça fait ça parfois quand le livre est vraiment grand, me souffle Cervantès, lequel n’est pas fâché que Don Quichotte le dépasse en notoriété).

Même si je suis bien trop paresseux pour écrire un article sur la Maison des feuilles, quelques mots sur mon impression à la lecture. Forte serait peu dire. L’ambition est énorme, au vrai sens de « énorme » : elle dépasse les normes et elle explose les formes de tant de façons que je renonce à les recenser. J’aurais presque envie de dire que l’ambition devient l’œuvre elle-même (entendez : on est là bien au-delà de la question de la réussite dans les intentions de l’auteur).

On m’avait laissé entendre que la lecture n’était pas facile ; je ne m’en suis pas rendu compte : j’étais passionné – un peu comme je l’ai été quand je suivais Lost ou quand je découvrais le Projet Blairwitch, et la difficulté est passée inaperçue. Car il y a de ça (ça : fantastique, pop culture, travail sur l’effet de réel, point de vue de la caméra…) dans la Maison des feuilles. Il y a de ça et bien d’autres choses dans ce roman, lequel est d’ailleurs plutôt un romans : trois niveaux au moins composent son feuilleté, dans une abyssale mise en abyme – en abîme aussi, car c’est bien de l’abîme qu’il est question, et de comment le lecteur, ultime personnage, en ressort abîmé.






vendredi 25 août 2023

jeudi 24 août 2023

court toujours (165)

Si les gens ont davantage le moral pendant l’été, c’est évidemment parce qu’ils ne mettent pas de chaussettes.




lundi 21 août 2023

à propos de Don Quichotte (et notamment de la 2e partie)

Voilà : j’ai lu Don Quichotte.

Ou plutôt, j’ai lu la deuxième partie de Don Quichotte ; j’avais relu la première l’été dernier. Un an entre ces deux lectures ; j’ai éprouvé quelque scrupule à laisser passer tant de temps, et puis Cervantès m’a donné raison : dix années séparent ces deux publications (1605, 1615). Dix années les séparent et si, du point de vue des événements racontés, la seconde est la suite immédiate de la première, elle s’en démarque sensiblement dans son contenu. En parfait ignorant de la littérature espagnole que je suis, aurai-je l’audace d’en dire quelque chose ?

La folie de Don Quichotte est sans doute un peu contagieuse ; allons-y. Celui-ci cependant, dans cette deuxième partie, paraît plus raisonnable que dans la première : voici qu’il ne prend plus les hôtelleries pour autre chose que des hôtelleries, et gageons que s’il y croisait des moulins à vent (il n’y en a plus), il les prendrait probablement pour des moulins à vent. Le personnage tend d’ailleurs à s’effacer tandis que Sancho gagne en importance, au point de devenir quasiment l’égal de son maître. Cervantès explore sa simplicité authentique, et donne à voir à quel point la simplicité est complexe. Les chapelets de proverbes improbables que Sancho débite à toute occasion – une bonne lecture à haute voix s’impose – combinent l’absurdité burlesque et la sagesse miraculeuse. Quant aux passages où Sancho, victime d’une mystification organisée par un duc et une duchesse anonymes et farceurs qui a pu inspirer le dîner de cons et nous fait regretter que l’immense Jacques Villeret n’ait jamais, à ma connaissance, incarné le personnage de Sancho, se croit gouverneur d’une île, il y fait preuve d’une acuité et d’une sagesse qui laissent pantois les facétieux Grands d’Espagne.




C’est que, par la publication de leurs aventures racontées dans la première partie, Don Quichotte et Sancho Panza sont devenus célèbres, célèbres dans notre réalité mais aussi dans la leur, car les deux se mêlent. En effet, l’essentiel de l’intrigue de cette seconde partie tient au fait que la plupart des personnages importants que croisent nos deux héros connaissent leur histoire tout simplement parce que, comme le lecteur, ils l’ont déjà lue dans un livre imprimé, dans un procédé de mise en abyme rarement employé à ma connaissance – il ne me vient à l’esprit, comme exemple comparable et tout récent, que les Barbares de Jacques Abeille, où la lecture des Jardins statuaires par les personnages jouent un rôle essentiel dans l’intrigue. Non seulement de nombreux personnages ont donc lu les aventures imprimées de Don Quichotte et de Sancho Panza, mais certains en ont même lu une suite apocryphe, dont Don Quichotte choisit délibérément de ne pas suivre l’histoire, en n’allant pas à Alicante comme il l’avait prévu et comme le fait le Don Quichotte de la suite apocryphe, mais de poursuivre jusqu’à Barcelone. Or cette suite apocryphe existe bel et bien, elle est parue en 1614, un an avant celle de Cervantès, signée par un mystérieux Avallaneda. Tout cela est bien venu à une époque où le roman a besoin de passer pour une histoire vraie pour être pris au sérieux.




C’est peut-être pour éviter que son personnage soit réutilisé par un autre auteur peu scrupuleux que Cervantès le fait mourir à la fin. Mais il me semble que Don Quichotte est aussi l’histoire d’un nom, l’histoire d’une identité fictive qui donne son titre au roman. Car Don Quichotte ne s’appelle pas Don Quichotte. L’histoire de l’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche n’est pas l’histoire d’une vie. Un personnage se donne un nom, « Don Quichotte » : il devient le personnage de sa propre fiction que nous appelons folie, et c’est ce qui lance l’histoire. Quelque mille pages plus loin, il renonce à ce nom, et à son statut de personnage : le roman s’arrête – sa mort ne fait qu’enfoncer le clou de la fin. Un roman sur la haine de la lecture (où le personnage doit sa perte à ses lectures), comme quelques siècles plus tard Madame Bovary – c’est dans les deux cas le prix du « réalisme ». Là aussi le titre est un nom, mais au lieu d’être choisi par le personnage, celui-ci le porte comme un fardeau – à ce titre (dans tous les sens du terme), Madame Bovary sera une sorte d’anti-don Quichotte.

Voilà. Je n’ai pas lu grand-chose à propos Don Quichotte, je parle du texte même, sur Internet, ni même dans la préface de mon édition de poche ; alors j’ai eu envie d’en écrire un peu.



samedi 19 août 2023

Merde, Pierre Alferi est mort.

Je ne comptais pas rouvrir ce blog avant la rentrée mais merde, Pierre Alferi est mort. De sa main, je n’ai dû lire, outre un peu de poésie, que les Jumelles, Après vous, Kiwi et Hors sol ; n’empêche, c’était assez pour qu’il ait sa place dans mon panthéon personnel qui est, sachez-le, le seul qui vaille. Je n’avais jamais eu l’occasion de le rencontrer sauf par hasard à la terrasse d’un café ; il était assis à la table à côté ; nous avions un peu parlé de Hors sol, ce récit à la durée arrêtée – je n’en connais pas d’autre dans toute l’histoire de la littérature ; il m’avait dit que cette idée était là avant même qu’il sache lui même de quoi ce roman allait parler. (Il y a quelques liens ci-dessus vers d’autres billets, si ça vous dit.) Je ne lui avais pas avoué que « Pierre Alferi » me servait – me sert encore – d’argument pour dire en peu de mots à quel point la représentation de la littérature est en panne : voici un auteur majeur, qui publie depuis plus de trente ans, chez un éditeur puissant et reconnu (POL), accessoirement bien né puisque fils de Jacques Derrida – le cru est excellent mais ne crachons pas non plus sur le millésime : 1963 – et qui, malgré tout ça, n’obtient qu’une reconnaissance discrète. Si seulement la mort pouvait se rendre utile, pour une fois, cette garce, nous lui en serions reconnaissants.



jeudi 6 juillet 2023

Des Notes aux Anges

Un très bel article de Guillaume Contré dans le Matricule des Anges sur mes Nouvelles notes sur les noms de la nature et sur le Tombeau de Jules Renard d'Ivar Ch'Vavar. L'été commence bien !



dimanche 2 juillet 2023

l’inquiétude grandit en chacun de nous

Lorsque Crab perdit l’œil gauche, nul ne remarqua que la lumière soudain avait très légèrement baissé d’intensité. Lorsque Crab devint sourd de l’oreille gauche, nul ne remarqua que le volume sonore soudain avait très légèrement baissé. Lorsque Crab perdit l’usage du bras gauche, nul ne remarqua que le poids des choses soudain avait très légèrement augmenté. Lorsque Crab perdit l’usage de la jambe gauche, nul ne remarqua que la distance entre les choses soudain avait très légèrement augmenté. Mais lorsque Crab perdit l’œil droit, le monde soudain fut plongé dans les ténèbres. Et lorsque Crab devint sourd de l’oreille droite, le monde soudain fut plongé dans le silence. Et lorsque Crab perdit l’usage du bras droit, il fut impossible soudain de saisir et de soulever les choses. Et lorsque Crab perdit l’usage de la jambe droite, il fut impossible soudain d’avancer et de se déplacer entre les choses. Et maintenant que la vie même de Crab est menacée, l’inquiétude grandit en chacun de nous.


Eric Chevillard, Un fantôme, éditions de Minuit, 1995.



samedi 1 juillet 2023

court toujours (162)

Comme il manquait d’interlocuteurs, il décida de parler avec les mots : au moins ceux-là veulent toujours dire quelque chose.




vendredi 30 juin 2023

court toujours (161)

– Mais bien sûr que si on peut rire de tout !

D’accord. On commence par quoi ?




(Et à ce soir chez Liragif pour Nouvelles notes sur les noms de la nature !)


jeudi 29 juin 2023

Au sujet de l’imagination et du hors sujet au brevet 2023

Abondance de hors sujet au brevet cette année pour le sujet d’imagination – et c’est bien l’imagination qui est en question. Il était pourtant fort classique, le sujet : à la suite d’une étude d’un extrait d’Histoire de ma vie de George Sand, où sont évoqués ses jeux d’enfance (une rivière imaginaire tracée à la craie dans la chambre de la narratrice qui devient un lieu formidable d’aventures), et alors même que les questions d’interprétation ont été plutôt bien comprises dans l’ensemble, on demandait aux candidats :

« Il vous est arrivé d’être pris dans un jeu qui vous a entraîné progressivement dans une aventure intense.

Vous raconterez cet épisode à la première personne.

Vous pourrez enrichir votre récit par des descriptions, l’expression des sentiments et des sensations. »

Rien que de très classique, donc ; tout le monde a déjà traité sensiblement ce même sujet (ma mémoire un peu spéciale me signale que, dans mon cas, c’était au début de la classe de cinquième, à l’automne 1975, avec Madame Germain). On imaginait que les candidats rendraient hommage à leur propre imagination, celle qui animait, celle qui anime encore leurs jeux d’enfants, ces jeux qui le plus souvent se jouent avec presque rien sinon, précisément, l’imagination. Et qu’a-t-on lu ? Des résumés plus ou moins maladroits de Jumanji (cette série de films où des ados sont précipités dans une sorte de jeu vidéo dont ils doivent parvenir à s’extraire avec les moyens fournis par le jeu). L’adaptation des jeux vidéo au cinéma donnent rarement quelque chose de bon ; l’adaptation de films en rédaction de troisième non plus. Il vaut toujours mieux travailler avec ce qu’on a en soi. L’imagination, la pratique du jeu vidéo (qu’il m’arrive de partager, les lecteurs de Vie des hauts plateaux le savent – ou le découvrent), pousse à la considérer comme quelque chose d’extérieur à soi, quelque chose qui nous est offert par la technique (on est loin du jeu des enfants pauvres). Dès lors, rien d’étonnant à ce que la phrase « Il vous est arrivé d’être pris dans un jeu qui vous a entraîné progressivement dans une aventure intense », relisons-la telle qu’elle est formulée, puisse être interprétée comme une invitation à raconter une nouvelle version de Jumanji. Hors sujet ? Ou bien sujet formulé par des concepteurs quelque peu coupés des pratiques contemporaines ? Car de l’imagination en rédaction, mes élèves de cette année (certes plus jeunes) ont bien su me montrer qu’ils n’en manquaient pas.





mercredi 28 juin 2023

Nouvelles notes chez Liragif

Vendredi à 19h, la librairie Liragif (15 square de la Mairie, à Gif-sur-Yvette) me fait le plaisir de m’inviter à l’occasion de la parution de mes Nouvelles notes sur les noms de la nature, aux éditions des Grands Champs.



mardi 27 juin 2023

Ma lecture des Grands Singes, de Will Self

Je viens de terminer la lecture des Grands Singes, de Will Self. C’est l’histoire de Simon Dykes, un chimpanzé qui se prend pour un humain. Un artiste de renom, par ailleurs. La première partie est extrêmement déroutante : racontée du point de vue de Simon Dykes, on le suit dan les préparatifs de sa prochaine exposition, dans son histoire d’amour avec Sarah, et surtout lors d’une sortie au Sealink, un bar branché londonien où Simon et ses amis boivent et se droguent. Quoi d’étonnant, me direz-vous ? C’est que tout est raconté comme si les personnages étaient vraiment des humains, comme si le monde entier était peuplé d’humains civilisés et que cela était parfaitement normal, parfaitement dans l’ordre des choses. Ce n’est qu’au bout d’une trentaine de pages, après une nuit d’amour avec sa compagne Sarah – laquelle jusque-là avait toujours été présentée comme une humaine –, qu’à son réveil Simon la voit enfin sous sa forme chimpaine, mais sans pour autant sortir de son délire : il se prend toujours pour un humain, il a des souvenirs de sa vie antérieure sous une forme humaine, il se meut (ou plutôt tente de se mouvoir) comme un humain, il ne comprend plus ce qu’on lui signifie, etc. Le roman est l’histoire du parcours de Simon en quête de sa propre chimpanité, aidé par le docteur Busner. La plongée dans les méandres du délire parfaitement organisé de Simon Dykes amène très finement le lecteur à questionner sa propre chimpanité (davantage encore que dans la Planète des hommes, le roman de Pierre Boulle, auquel il est parfois fait indirectement allusion, par l’intermédiaire de la série de films que ce roman a inspirés). C’est d’ailleurs sous cet angle que je comprends le titre un peu mystérieux choisi par Will Self, les Grands Singes (Great Apes en version originale), lequel sans doute renvoie aussi bien aux hommes qu’aux chimpanzés. Après tout, les hommes ne sont-ils pas nos plus proches parents ?


PS : Coïncidence, qui n’en est pas vraiment une. Je partage avec Will Self un intérêt certain pour l’espèce humaine, et c’est sans doute ce qui nous a tous deux amenés à préfacer un étrange et fascinant roman où les singes n’existent pas et où l’on voit les hommes dans un état, certes encore marqués par la sauvagerie, mais sur le chemin d’en sortir : j’ai nommé Enig Marcheur, de Russell Hoban, chez Monsieur Toussaint Louverture (la préface de Will Self est dans l’édition grand format, la mienne dans l’édition de poche).



lundi 26 juin 2023

94 singes rouges

C’est aujourd’hui l’anniversaire de l’héroïne des Singes rouges, un âge qui s’ajoute à tous ceux qu’elle a déjà eus, et qu’elle a dans le livre : la jeune fille de Martinique, la petite fille de Guyane.

Ma mère est une héroïne que je peux serrer dans mes bras.



jeudi 22 juin 2023

court toujours (160)

– Peut-on rire de tout ?

Bien sûr que non : la vie entière n’y suffirait pas.




mercredi 21 juin 2023