La puissance d’évocation de
l’écriture d’Eugène Savitzkaya me surprend à chaque livre que je lis de lui.
C’est la vie même. Ou plutôt, c’est encore plus la vie que la vie elle-même. Fraudeur,
qui vient tout juste de paraître aux éditions de Minuit, dans une veine proche
de celle de Fou civil ou de Fou trop poli, où le même
« fou » est un « très jeune homme, quatorze ou quinze ans »,
en est un nouvel et magnifique exemple. Entre un père aux mille travaux et une
mère mystérieusement inactive, un frère aîné complice et un autre tout petit
roi des oies, les figures humaines et les lieux – Ukraine ou Belgique –
prennent une dimension quasi mythologique. Le passé est un rêve où l’été n’a
pas de fin comme si le temps lui-même était arrêté. Roman, est-il écrit
comme souvent sur les couvertures de Minuit, mais Fraudeur ne raconte
pas : il évoque et convoque les sens avec vigueur. Jugez plutôt :
Le garçon aux os légers et aux
joues glabres observe tout en marchant des hirondelles décrivant de longues
arabesques à quelques mètres du sol, volant par groupes serrés, dos noirs et
ventres blancs. Les alouettes montent vers le ciel où elles s’égosillent puis
retombent dans le champ de luzerne.
Mesurant chaque pas, il progresse
vers les tombes, vers les tombes du bois, vers le charme Roi, vers le bouleau
Sorcière. Il progresse lentement vers son destin, dans la musique des tuyaux de
paille éraflant ses chaussures en toile noire aux protège-malléoles blancs.
Et la travailleuse, la belle
couturière, se repose dans sa chambre encombrée par l’odeur des bananes trop
mûres qui finiront par noircir et moisir dans le plat apporté par le mineur
polonais, le faucheur, le jardinier, le vidangeur des latrines étonné par la langueur
et les yeux vides de son épouse.
Eugène Savitzkaya, Fraudeur,
Minuit, 2015, p. 118.
On le recopierait sans fin,
plutôt que de le commenter. Je l’ai d’ailleurs déjà fait sous les liens pour
les autres Fous.
En bonus un petit rappel de la rencontre avec Eugène Savitzkaya à la librairie Atout-Livre vendredi 27 février : http://hublots2.blogspot.fr/2015/02/avec-savitzkaya.html
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