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mardi 4 juin 2024

Kafka et moi

Kafka est mort. Évidemment je savais bien que ça arriverait, mais quand même, ça m’a fichu un coup. Pour dire les choses comme elles sont : j’ai pleuré, même si ensuite j’ai ri de mes larmes. Donc oui, certainement, ce deuxième volume de la biographie de Kafka dont – et c’est une coïncidence – j’ai achevé la lecture la veille du centenaire précis de sa mort, est très bon ; mais ne comptez pas sur moi pour vous dire en quoi.

Bien sûr c’est toujours un peu sur soi-même que l’on pleure. Cet auteur définitivement jeune, c’est ma jeunesse. C’est Danielle Auby qui, alors que je suis en classe de première et qu’elle est mon professeur de français, me dit, après voir lu un texte que j’ai osé lui montrer, qu’il faut que je lise Kafka ; c’est bientôt fait, quasi dans sa totalité. C’est Bernard Lortholary, dont, en première année de fac, je suis les cours de littérature allemande et à propos duquel j’apprends qu’une nouvelle traduction du Procès paraît de sa main. C’est le compositeur Vojtech Saudek, côtoyé pendant mes années de théâtre amateur sous la houlette de sa compagne Agnès Delume, dont j’apprends cette année seulement qu’il était le petit-fils d’Ottla Kafka, la chère petite sœur assassinée à Auschwitz – nous n’aurons pas hélas l’occasion d’en parler ensemble. C’est Eric Chevillard qui intitule « Variations kafkaïennes » l’article qu’il consacre à Pas Liev dans le Monde, le jour même où le monde et ma famille sont blessés au Bataclan. C’est Gaston Lagaffe, oui, le Gaston de Franquin, que je découvre à peine plus tôt que que Kafka, et moi qui ne discerne que peu à peu tout ce que l’univers vu par Franquin a en commun avec celui de Kafka – un vieux billet à ce sujet, ici même à travers ces Hublots, reçoit encore de nombreux visiteurs – au point que je finisse par être tenté de réécrire les aventures de Monsieur de Mesmaeker comme s’il était un personnage de Kafka, sans même me rendre compte qu’approchent ensemble non seulement le centenaire de la mort de Kafka mais aussi celui de la naissance de Franquin : resterai-je seul à voir à la fois combien les récits de Kafka peuvent être drôles et à quel point l’univers de Franquin peut être d’une terrible opacité ?

Voilà : Kafka est mort et ça reste quand même un peu la famille. Heureusement, il va renaître : je viens d’acheter à l’instant Kafka, les années de jeunesse, le troisième tome de la biographie de Reiner Stach. Je crois que l’auteur raconte que la raison de ce retour en arrière est dû au fait que certains documents ne lui étaient pas encore disponibles à l’époque où il s’est attaqué à cet énorme projet. Ne le croyez pas : il ne l’a fait que pour moi, pour que Kafka renaisse encore.




mercredi 24 avril 2024

croisements de vies

Au début des années 80, sur le conseil de Danielle Auby, mon professeur de français, je découvre Kafka. Je lis à peu près tout. Je commence par le recueil disponible en Folio rassemblé autour de La Muraille de Chine. Le texte qui me marque le plus, au point qu’aujourd’hui, alors que je ne l’ai pas encore relu (c’est pour demain ou après-demain), je m’en souviens encore bien, c’est Recherches d’un chien.

Une dizaine d’années plus tard, je reprends le théâtre en amateur, au théâtre-école de Pantin, sous la direction d’Agnès Delume. L’art de la mise en scène avec presque rien. J’ai la chance de jouer des textes extraordinaires : Scènes de la vie conjugale, la Mouette, le Tartuffe, Peer Gynt, l’Opéra de quat’sous. Souvent, la musique est composée par Vojtech Saudek, le compagnon d’Agnès. C’est un vrai musicien. Je me rappelle son piano, qui prend toute la place dans leur séjour. C’est fou comme la pratique d’un art peut prendre de la place dans une vie. Celle de Vojtech, hélas, s’arrête trop tôt, en 2003 ; il a cinquante-deux ans.

Entre temps, en 1993, je découvre Prague. En écrivant cette phrase, je revois la ruelle d’Or, où Kafka écrivit, notamment, la Muraille de Chine.

Plus récemment, je reviens progressivement à Kafka, d’abord pour relire le Château, et vérifier que Pas Liev n’en est pas qu’une pâle copie. Puis le Terrier, juste pour le plaisir. L’an dernier paraît en France le premier tome de la biographie de Kafka par Reiner Stach. Je m’y plonge, et l’interromps souvent – notamment pour relire le Verdict, la Métamorphose, la Colonie pénitentiaire, Chacals et Arabes, Un croisement, Rapport pour une académie, Le Coup à la porte du domaine, la Muraille de Chine… Entre temps je suis passé au second tome de la biographie de Stach : Kafka, le Temps de la connaissance. Je compte relire Recherches d’un chien, mais j’attends que la vie de Kafka m’y mène – c’est l’un de ses derniers textes. Pour le moment, il est à la ruelle d’Or ; c’est Ottla, sa petite sœur, qui lui offre ce havre. Ottla qui, des années plus tard, fera partie de toutes ces personnes qu’on a assassinées à Auschwitz.

Il y a une dizaine de jours, je reçois un message d’Agnès, qui me parle de mon Stylo – j’aime qu’elle ait aimé – et m’annonce que le centre tchèque organise un concert-hommage à Vojtech. C’était dimanche dernier. Au programme, des pièces et variations pour piano, son Quatuor n°2, une Elégie, et enfin une réalisation pour violon et dispositif électronique : Recherches d’un chien, d’après un conte de Kafka.

J’apprends que Vojtech est le petit-fils d’Ottla.