jeudi 30 mai 2024

Un mangeur d’hommes

On pourrait imaginer l’histoire suivante, qui ne serait pas vraiment une histoire puisqu’il ne s’y passerait rien. Il existerait un homme dont la seule activité – laquelle activité serait aussi son moyen de subsistance – consisterait à se nourrir exclusivement de la chair de ses semblables. Ce serait une activité toute tournée vers autrui. Il se sacrifierait pour les autres, et pour que chacun ait bien conscience de ce sacrifice, sa vie serait exposée comme un spectacle. Certaines personnes, bien conscientes de la nécessité du sacrifice, feraient don de leur corps au mangeur de chair humaine. Et on viendrait le voir, à travers la vitre ; on viendrait assister à ses repas. Et on ressortirait de là comme lavé d’un mal commun. On l’appellerait le « mangeur d’hommes » et l’on aurait pitié de lui.


On vous attend demain...


mercredi 29 mai 2024

lundi 27 mai 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 28

Quand Messerschmied retourna chez Brunnen, il avait bien rendez-vous avec Monsieur Witz, et c’était bien pour signer le contrat. Il trouva Monsieur Witz qui l’attendait à l’accueil et qui l’accompagna jusqu’à son bureau – bureau que toutefois Messerschmied n’atteignit pas : quand il reprit ses esprits, il se rappelait juste avoir marché dans le couloir aux côtés de Monsieur Witz ; il ne gardait aucun souvenir de ce qui s’était passé ensuite.

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dimanche 26 mai 2024

Abécédaire du dimanche (proverbial)

À bon chat des éperlans. Faute glorifiée honore Isidore. Joli képi légitime maint nocif officier. Pierre qui roule soulève tout un vieux wagon. Xolipète y zinzinule.


vendredi 24 mai 2024

mardi 21 mai 2024

Une rencontre avec mon stylo, à l’Ours et la Vieille Grille

Même si mon nom ne figure sur aucune des couvertures (il y en a deux) ni sur la quatrième (il n’y en a pas), je serai quand même présent pour donner voix à Avec mon stylo / Sans son stylo, ou peut-être à Sans son stylo / Avec mon stylo, en compagnie d’Olivier Desmettre qui présentera les éditions DO ; ce sera vendredi 31 mai à 19h30 à l’Ours et la Vieille Grille, 9 rue Larrey, Métro Place Monge (rien que le lieu mérite la découverte), à l’aimable invitation de Paul de Brancion.

Nous espérons vous y retrouver et trinquer ensemble, avec mon stylo.



lundi 20 mai 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 27

Personne n’avait invité Messerschmied chez Brunnen, aussi s’y était-il rendu de lui-même, et cela le mettait d’excellente humeur. L’expression de surprise de Monsieur Witz lorsqu’il découvrit Messerschmied installé face à son bureau aussi était cocasse. Tout était cocasse. Vraiment, tout était cocasse, et Messerschmied était d’excellente humeur. Il était chez Brunnen, où il n’avait pas été invité pour signer le contrat ; il était chez Brunnen, société avec laquelle il devait signer un contrat ; il était chez Brunnen où il signerait un contrat mais pas avec Brunnen : il signerait un contrat avec un employé de Brunnen qui faisait cuire sa soupe ; il signerait un contrat pour une recette de soupe ; pourquoi en effet ne signerait-il pas un contrat pour une recette de soupe ? Hein ? Pourquoi pas ? Une recette de soupe ! Cela ne justifiait-il pas l’excellente humeur de Messerschmied ?

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dimanche 19 mai 2024

Abécédaire du dimanche (bibliomaniaque)

Annocque butine ces dos enluminés : Flaubert, Gontcharov, Homère, Ibsen. Joyce, Kafka, Lautréamont me nirvanisent ! Ovide ! Proust ! Quel ravissement, Shakespeare ! Tous unis : Volodine ! Woolf ! X ? Y ? Zut !




vendredi 17 mai 2024

court toujours (261)

Je ne vous vouvoie pas vraiment. C’est juste que je vous parle en entier. Si je ne parlais qu’à votre auriculaire, ou à ce poil de vos sourcils, ou même à votre vésicule, évidemment je les tutoierais.




jeudi 16 mai 2024

En lisant la Colonie migratoire, de Rudefoucauld

Difficile de parler de la Colonie migratoire, récit d’Alain Julien Rudefoucauld récemment paru aux éditions DO, sans en dire trop, vous comprendrez pourquoi en le lisant ; d’autant plus qu’en dire trop revient clairement à n’en dire pas assez : en dire trop serait clairement passer à côté de l’essentiel.

Alors je dirai juste qu’à l’occasion d’un changement de point de vue pratiqué avec une délicatesse toute parabolique, nous sommes amenés à nous interroger sur la pertinence de notre propre regard sur ce qui nous entoure, à savoir la cruauté d’un monde dont personne ne comprend les rouages, une sorte de cruauté qui nous dépasse tant elle est, au fond, inconsciente.

C’est drôle comme la lecture est affaire de circonstances. Comme ces temps-ci je passe le plus clair de mon temps avec Kafka, je n’ai pu m’empêcher d’établir un rapprochement d’abord de titre (avec la Colonie pénitentiaire évidemment) puis avec le Château – l’obstination de l’évasion chez Eisenover, le héros de la Colonie migratoire, est la symétrique inverse des efforts de K pour entrer dans le Château –, et enfin au Terrier – mais dire pourquoi serait peut-être, encore une fois, en dire trop. Et pourtant ce n’est peut-être que de mon point de vue, gauchi par la fréquentation quotidienne de Kafka, que ce rapprochement est pertinent.



mercredi 15 mai 2024

court toujours (260)

C’est très sérieusement que je vous demande de ne pas attendre de moi que je parle sérieusement.




mardi 14 mai 2024

court toujours (259)

Pourquoi dis-tu ça ? Tu le penses vraiment ?

Non, précisément : je le dis pour le penser.




lundi 13 mai 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 26

La voiture principale de Messerschmied était encore au garage, aussi celui-ci avait-il décidé, pour une fois que le temps le permettait, de se rendre à l’invitation de Monsieur Witz, chez Brunnen, dans sa décapotable rouge. Il prendrait juste la précaution de se garer à distance des établissements Brunnen dont le voisinage était décidément trop peu sûr. Il était donc en train de chercher une place quand il entendit un coup de frein brutal à sa gauche. Messerschmied eut juste le temps de se rendre compte qu’un véhicule d’un autre âge était parvenu à s’arrêter de justesse : comme dans un rêve, une masse sombre qui s’avéra être un immense carton se détacha du toit dudit véhicule, prit son envol au dessus de la décapotable et, ses attaches ayant cédé, déversa son contenu hétéroclite sur la personne de Messerschmied, lequel disparut littéralement sous l’amas.

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dimanche 12 mai 2024

Abécédaire du dimanche (aquoiboniste)

Alphabet bien court. D’éphémères fables grossissent hâtivement. Il juge kitsch le moment nécessaire où pièce qui rouille se trouve utile vraiment, Wu Xialin y zappe.


Abécédaires meurtrier, touristique, culinaire, guerrier, floral, zoologique.

vendredi 10 mai 2024

Pas de message

« … C’est l’image, la métaphore qui alimente cette circulation. Nulle part Kafka ne se contente d’illustrer un quelconque "message" – sans même parler de thèses métaphysiques –, il n’est aucun autre écrivain chez qui cette incompréhension du processus créatif induise davantage en erreur. Kafka ne cherche pas l’image : il la suit, et il aime mieux passer côté de son sujet que de désobéir à la logique de son image. Certains de ses premiers lecteurs s’en étaient déjà rendus compte. "Ne vous demandez pas ce que ça veut dire, avertissait par exemple Tucholsky dans la première recension de la Colonie pénitentiaire. Ça ne veut strictement rien dire. Ça ne signifie strictement rien." » écrit Reiner Stach à la page 547 de son volume 2, Kafka, le Temps de la connaissance ; et si je le recopie ici, c’est parce que bien ainsi, depuis mon adolescence, que je lis Kafka (et Beckett aussi) – et que j’aimerais qu’on me lise.



mardi 7 mai 2024

J’avoue : j’ai pivoté (ou « j’aime Apostrophes, je n’aime pas Apostrophes » ad libitum)

Bernard Pivot est mort. Un billet ? Allez : oui. Parce que Bernard Pivot fait partie de ces sujets à travers lesquels je me vois double. Oui : j’ai regardé Apostrophes. Presque tous les vendredis soirs, surtout à la fin des années soixante-dix et au début des années 80. C’était un rendez-vous qui me procurait du plaisir, depuis la musique du générique jusqu’à l’entretien avec Claude-Jean Philippe (là aussi, musique et générique ont compté), suivi du film du Ciné-club, rarement manqué lui aussi. Et puis, c’était une émission littéraire, et je ne rêvais que de devenir écrivain. J’étais adolescent, quoi. Bien sûr que oui : je rêvais d’être invité à Apostrophes. Et puis j’ai été de moins en moins disponible le vendredi soir, et accessoirement je suis devenu de moins en moins adolescent : j’ai moins regardé, j’ai moins rêvé d’Apostrophes. Quand j’ai publié mon premier roman, aux éditions du Seuil, je n’espérais plus grand-chose. D’ailleurs c’est à cette rentrée littéraire-là que Bouillon de culture (que je n’ai jamais suivi) a été remplacé par Campus, dont j’ai regardé le premier numéro ; Nelly Arcan y présentait Putain, l’autre premier roman au Seuil lors de cette rentrée-là (celui sur lequel le Seuil comptait vraiment). L’émission ne m’a guère marqué, sauf une phrase de Guillaume Durand, tellement mémorable que je la cite dans Mon petit DIRELICON : « N’oublions pas que nous sommes dans une émission littéraire. » La conviction que la télévision n’est vraiment pas l’endroit où parler littérature a continué à grandir en moi. Il m’est arrivé de visionner, de temps en temps, d’anciens passages d’Apostrophes. Gros malaise (bien sûr la complaisance face à Gabriel Matzneff, ou le contresens sur Lolita face à Nabokov, mais pas seulement). Je ne regrette pas de n’avoir pas été invité (surtout si ça avait été pour Une affaire de regard, qui se prête bien au contresens). Bref, la littérature, franchement, ça n’était pas vraiment le sujet, sur le plateau d’Apostrophes. Et pourtant, j’ai aimé cette émission. Un jeune moi-même a aimé cette émission. Elle a sans doute contribué à des rêves de gloire qui n’ont pas non plus grand-chose à voir avec la littérature, mais elle a fait partie des vents qui soufflaient sur ma flamme. Alors aujourd’hui, comme ça m’arrive souvent, une chose et son contraire sont vraies à la fois : j’aime Apostrophes, je n’aime pas Apostrophes, j’aime Apostrophes, je n’aime pas Apostrophes, j’aime Apostrophes, je n’aime pas Apostrophes, j’aime Apostrophes, je n’aime pas Apostrophes, j’aime Apostrophes, je n’aime pas Apostrophes



lundi 6 mai 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 25

Était-ce de la provocation ? Messerschmied retourna chez Brunnen. Avait-il pris rendez-vous ? Monsieur Witz n’était pas dans son bureau ; le bureau adjacent aussi était vide. Il y avait là un fauteuil, d’un goût douteux, comme tout ce qui concernait cette société Brunnen. Chez Brunnen, Messerschmied, habituellement plein de certitudes, n’était plus sûr de rien. Il s’assit dans le fauteuil qui, non content d’être laid, était aussi très inconfortable. Comment pouvait-on installer des meubles pareils dans un bureau ? Et tandis que Messerschmied sentait que, comme souvent, il s’emportait dans des supputations énervées, la gravité s’inversa. Il décolla de son siège, littéralement éjecté, et s’écrasa le crâne contre le plafond de la pièce.

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dimanche 5 mai 2024

Abécédaire du dimanche (meurtrier)

Allez : bute Charles ! Descends Eugène ! Flingue Georges, Henri ! Immole Jasper ! Kill Larry ! Liquide Max ! Noie Orson ! Poignarde Quentin ! Refroidis, saigne, trucide Ulrich, Victor, Walter, Xavier, Youssef ! ZIGOUILLE !



jeudi 2 mai 2024

court toujours (258)

Tout le monde pense à peu près la même chose en même temps ; alors, forcément, la chose devient beaucoup moins importante qu’elle devrait l’être.