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mercredi 11 septembre 2024

Stach – Kafka : fin

Voilà : j’ai fini la lecture du troisième tome de la biographie de Kafka par Reiner Stach, qui est aussi la première, puisqu’elle correspond aux années de jeunesse. Elle s’arrête en 1911, et je suis bien content qu’il reste encore à Kafka quelques années à vivre ; la fin du tome II était vraiment dure. Je préfère garder l’image de Franz face à l’emplacement vide de la Joconde – Max et lui étaient à Paris au mois d’août – à regarder tous ces visiteurs du Louvre arrêtés face à un mur vide, d’où la Joconde a disparu, volée peut-être par Picasso, qui sait, histoire de faire vraiment de ce tableau davantage que ce qu’il n’est.

J’aurais pu faire la même chose avec bien d’autres passages de ce tome comme des deux précédents-suivants : il y a dans cette biographie de Kafka la tentation d’un autre auteur, Reiner Stach, de souligner quelque chose que j’écrivais aussi dans les Singes rouges : chaque page d’un livre est en même temps la page d’un autre livre.


mardi 10 septembre 2024

un enfant spirituel, encore que pauvre et empoté, de cet écrivain

C’était un livre (l’Éducation sentimentale de Flaubert), avoua plus tard Kafka, « dont j’ai été proche pendant bien des années comme de peut-être deux ou trois personnes ; chaque fois que je l’ai ouvert, peu importe où et quand, il m’a réveillé en sursaut et saisi tout entier, et je me suis toujours senti un enfant spirituel, encore que pauvre et empoté, de cet écrivain. »


C’est dans une lettre à Felice Bauer, citée par Reiner Stach dans Kafka tome 3, les années de jeunesse. Je continue ma lecture pour savoir comment faire quand on se sent l’enfant encore plus pauvre et plus empoté non seulement de l’auteur de l’Éducation sentimentale mais aussi de celui de Description d’un combat – seul texte que Kafka ait à peu près achevé à la page 532 de ce tome 3 de sa biographie, et qui se trouve aussi – par un hasard que j’aime – le premier récit de Kafka qu’un tout jeune lycéen a découvert, alors qu’il était encore en pleine Croissance. (La lecture de Kafka et celle de Flaubert m’ont été personnellement recommandées par mon cher professeur de français de 1ère, Danielle Auby.)



mardi 4 juin 2024

Kafka et moi

Kafka est mort. Évidemment je savais bien que ça arriverait, mais quand même, ça m’a fichu un coup. Pour dire les choses comme elles sont : j’ai pleuré, même si ensuite j’ai ri de mes larmes. Donc oui, certainement, ce deuxième volume de la biographie de Kafka dont – et c’est une coïncidence – j’ai achevé la lecture la veille du centenaire précis de sa mort, est très bon ; mais ne comptez pas sur moi pour vous dire en quoi.

Bien sûr c’est toujours un peu sur soi-même que l’on pleure. Cet auteur définitivement jeune, c’est ma jeunesse. C’est Danielle Auby qui, alors que je suis en classe de première et qu’elle est mon professeur de français, me dit, après voir lu un texte que j’ai osé lui montrer, qu’il faut que je lise Kafka ; c’est bientôt fait, quasi dans sa totalité. C’est Bernard Lortholary, dont, en première année de fac, je suis les cours de littérature allemande et à propos duquel j’apprends qu’une nouvelle traduction du Procès paraît de sa main. C’est le compositeur Vojtech Saudek, côtoyé pendant mes années de théâtre amateur sous la houlette de sa compagne Agnès Delume, dont j’apprends cette année seulement qu’il était le petit-fils d’Ottla Kafka, la chère petite sœur assassinée à Auschwitz – nous n’aurons pas hélas l’occasion d’en parler ensemble. C’est Eric Chevillard qui intitule « Variations kafkaïennes » l’article qu’il consacre à Pas Liev dans le Monde, le jour même où le monde et ma famille sont blessés au Bataclan. C’est Gaston Lagaffe, oui, le Gaston de Franquin, que je découvre à peine plus tôt que que Kafka, et moi qui ne discerne que peu à peu tout ce que l’univers vu par Franquin a en commun avec celui de Kafka – un vieux billet à ce sujet, ici même à travers ces Hublots, reçoit encore de nombreux visiteurs – au point que je finisse par être tenté de réécrire les aventures de Monsieur de Mesmaeker comme s’il était un personnage de Kafka, sans même me rendre compte qu’approchent ensemble non seulement le centenaire de la mort de Kafka mais aussi celui de la naissance de Franquin : resterai-je seul à voir à la fois combien les récits de Kafka peuvent être drôles et à quel point l’univers de Franquin peut être d’une terrible opacité ?

Voilà : Kafka est mort et ça reste quand même un peu la famille. Heureusement, il va renaître : je viens d’acheter à l’instant Kafka, les années de jeunesse, le troisième tome de la biographie de Reiner Stach. Je crois que l’auteur raconte que la raison de ce retour en arrière est dû au fait que certains documents ne lui étaient pas encore disponibles à l’époque où il s’est attaqué à cet énorme projet. Ne le croyez pas : il ne l’a fait que pour moi, pour que Kafka renaisse encore.




vendredi 10 mai 2024

Pas de message

« … C’est l’image, la métaphore qui alimente cette circulation. Nulle part Kafka ne se contente d’illustrer un quelconque "message" – sans même parler de thèses métaphysiques –, il n’est aucun autre écrivain chez qui cette incompréhension du processus créatif induise davantage en erreur. Kafka ne cherche pas l’image : il la suit, et il aime mieux passer côté de son sujet que de désobéir à la logique de son image. Certains de ses premiers lecteurs s’en étaient déjà rendus compte. "Ne vous demandez pas ce que ça veut dire, avertissait par exemple Tucholsky dans la première recension de la Colonie pénitentiaire. Ça ne veut strictement rien dire. Ça ne signifie strictement rien." » écrit Reiner Stach à la page 547 de son volume 2, Kafka, le Temps de la connaissance ; et si je le recopie ici, c’est parce que bien ainsi, depuis mon adolescence, que je lis Kafka (et Beckett aussi) – et que j’aimerais qu’on me lise.



mercredi 6 mars 2024

Avec Kafka

Ça y est, je viens de finir Kafka, le temps des décisions, la monumentale biographie de Reiner Stach, plus de huit cents pages qui pèsent entre les mains. Impression d’être avec Kafka. Impression redoublée car, depuis l’adolescence, j’ai souvent senti la présence de Kafka. C’est troublant, presque gênant parfois, cette intimité. Et pourtant on a envie d’y revenir. Heureusement j’ai déjà dans ma bibliothèque Kafka, le temps de la connaissance – car ce n’est pas fini ; merci Reiner Stach. Ça me prend du temps parce que je lis d’autres livres aussi, et parce que ça prend du temps, cette folie de travailler sur plusieurs textes en même temps. On n’est jamais sûr de terminer vraiment quoi que ce soit. J’ai relu le Verdict, récemment. Là, je viens de reprendre La Colonie pénitentiaire.



mercredi 6 décembre 2023

chercher à « se rattacher »

« (…) Car il ne s’agit pas de simples comparaisons ; et s’il est vrai qu’il a coutume de chercher des réponses dans la vie des autres – on sait Kafka lecteur avide de biographies –, le choix de ces noms-là révèle quelque chose de plus fondamental. Kafka cherche à se rattacher, il se situe dans un contexte, dans un discours, il fait exactement ce que font les grandes communautés en lutte pour leur identité : il se crée une tradition, une lignée, il couple son existence individuelle au système sanguin de l’histoire. Kleist, Grillparzer, Kierkegaard, Flaubert, Dostoïevski : tous des êtres malheureux, tiraillés entre l’écriture et la vie, des hommes qui s’étaient enlisés là où Kafka cherchait encore à parvenir : « dans l’enfer éternel des vrais écrivains » ; et donc pas des exemples, mais des parents ; et Kafka : pas un imitateur, mais un descendant. Question d’identité, ni plus ni moins. »


Reiner Stach, Kafka, le Temps des décisions.


(Oui : Kafka n’est pas seul à chercher « à se rattacher ».)



jeudi 9 novembre 2023

vous ratez mieux que moi

Un extrait de la biographie de Kafka par Reiner Stach, qui donne à penser, et à penser encore :

« Kafka voulait encore plus qu’une clôture du texte sur lui-même, il voulait la « conclusion innée », celle qui s’anime déjà tel un fœtus sous la surface de la toute première phrase et qui affirme peu à peu ses contours. Il est permis de se demander si ses projets de roman admettaient bel et bien la possibilité d’une telle unité intérieure, ou, pour poser la question jusqu’au bout, s’ils pouvaient seulement être achevés, s’ils n’étaient pas plutôt condamnés dès l’abord à rester à l’état de fragments. Après tout, cette incapacité éternelle à atteindre le but qu’on s’est fixé n’est pas seulement ce qui affecte, mais aussi ce que décrit, le romancier Franz Kafka ; le jeune « disparu » s’éloigne du côté sûr de la société américaine à mesure même qu’il en rêve ; le tribunal suprême reste invisible aux yeux de l’accusé Josef K. ; les autorités du château, inaccessibles à l’arpenteur. Ne pourrait-on pas imaginer – même si cette idée n’a sûrement jamais effleuré l’esprit de Kafka – qu’une loi secrète ait amené l’auteur à reproduire l’échec de ses héros ? Qu’il ait atteint une unité esthétique supérieure, qu’il se soit justement rapproché de la perfection rêvée en n’achevant pas ses romans ?

Thèse séduisante, notamment parce qu’elle constitue un paradoxe on ne peut plus « kafkaïen » et que l’auteur – s’il avait eu le plaisir d’assister à un séminaire consacré à son œuvre – aurait même pu la trouver à son goût. Sa faiblesse est qu’elle sous-estime le potentiel du roman moderne, qui vit précisément d’une galvanisation mutuelle de la forme et du contenu. Les romans de Beckett sont sans aucun doute des objets achevés qui témoignent d’une grande confiance formelle – et cependant, ils ne parlent de rien d’autre que de fragmentation, de décomposition et de déchéance. Le babillage redondant de ses personnages, les lambeaux de pensées qui s’allument dans leurs cervelles solipsistes avant de s’effilocher et de disparaître sans laisser de trace – tout cela est le fruit d’un art du verbe extrêmement raffiné. Et on ne gagne rien à objecter qu’il ne s’agit plus de romans. Car Beckett tire les conséquences d’une évolution engagée longtemps avant lui dans le roman européen : la perte de cohérence entre perception interne et externe, le travail de sape qui affecte cette unité douteuse qu’on appelle le « moi ». Et dans ce maëlstrom, où faire passer la limite historique au-delà de laquelle le roman cesse d’être roman ? Dans La Faim de Knut Hamsun ? Dans Le Procès de Kafka ? Dans l’Orlando de Virginia Woolf ?

Un roman qui parle d’échec n’est pas forcé d’échouer, et les moyens dont dispose l’auteur pour réfuter ce simplisme psychologique sont, heureusement, infinis. C’était l’évidence même aux yeux de Kafka – et jamais il ne lui vint à l’esprit que sa mystérieuse inaptitude à terminer ne serait-ce qu’un seul de ses trois grands projets pouvait avoir un lien avec leur sujet ou leur structure. »

(J’imagine Kafka lisant Beckett et lui confiant : « vous ratez mieux que moi ».)

(Tiens, je n’avais pas vu que déjà paraît le second tome de cette formidable biographie alors que j’en suis à peine à la moitié du premier.) 


samedi 23 septembre 2023

C’est encore loin, l’Amérique ?

Il était grand temps (…) de se souvenir du seul enjeu réel : « Je ne peux rien oser pour moi-même tant que je n’ai pas mené à bien un travail d’assez grande ampleur qui me satisfasse totalement. »

De fait, Kafka était maintenant résolu à rassembler ses forces pour s’attaquer à un projet auquel il pouvait s’identifier librement, sans intervention extérieure : le projet Amérique. Comment et quand cette décision eut lieu, c’est une zone d’ombre – on dirait presque que Kafka s’est contraint au silence non seulement vis-à-vis de ses amis, mais vis-à-vis de lui-même, car ni dans le journal, ni dans ses lettres, on ne trouve la moindre trace de ce brusque revirement esthétique (…).


Reiner Stach, Kafka, Le temps des des décisions, Le Cherche-Midi, 2023.