jeudi 31 août 2023

court toujours (169)

– Pourquoi ne parlez-vous que des livres dont tout le monde parle ?

C'est parce que sinon je risquerais de parler tout seul et ça me fait peur.



mercredi 30 août 2023

court toujours (168)

C’est la rentrée ; sortons ! se disent les livres. Tout le monde reprend le travail ; personne n’aura le temps de nous lire : on ne risque rien.




dimanche 27 août 2023

court toujours (167)

L’atrocité de l’assassinat est proportionnelle à l’inadéquation de l’arme du crime.



samedi 26 août 2023

Essaie donc de sortir de la Maison des feuilles.

J’ai aussi lu la Maison des feuilles. C’était en juillet, avant Don Quichotte. Je l’ai lu dans la nouvelle édition remastérisée couleurs de Monsieur Toussaint Louverture, parue il y a tout juste un an – il fallait bien Monsieur Toussaint Louverture pour un aussi bel objet. C’est traduit par Claro et c’est de Mark Z. Danielewski. Je suis encore obligé de vérifier l’orthographe du nom de l’auteur, alors que ça fait des années que je voulais lire ce roman. Je crois bien que l’auteur reste moins célèbre que son livre (ça fait ça parfois quand le livre est vraiment grand, me souffle Cervantès, lequel n’est pas fâché que Don Quichotte le dépasse en notoriété).

Même si je suis bien trop paresseux pour écrire un article sur la Maison des feuilles, quelques mots sur mon impression à la lecture. Forte serait peu dire. L’ambition est énorme, au vrai sens de « énorme » : elle dépasse les normes et elle explose les formes de tant de façons que je renonce à les recenser. J’aurais presque envie de dire que l’ambition devient l’œuvre elle-même (entendez : on est là bien au-delà de la question de la réussite dans les intentions de l’auteur).

On m’avait laissé entendre que la lecture n’était pas facile ; je ne m’en suis pas rendu compte : j’étais passionné – un peu comme je l’ai été quand je suivais Lost ou quand je découvrais le Projet Blairwitch, et la difficulté est passée inaperçue. Car il y a de ça (ça : fantastique, pop culture, travail sur l’effet de réel, point de vue de la caméra…) dans la Maison des feuilles. Il y a de ça et bien d’autres choses dans ce roman, lequel est d’ailleurs plutôt un romans : trois niveaux au moins composent son feuilleté, dans une abyssale mise en abyme – en abîme aussi, car c’est bien de l’abîme qu’il est question, et de comment le lecteur, ultime personnage, en ressort abîmé.






vendredi 25 août 2023

jeudi 24 août 2023

court toujours (165)

Si les gens ont davantage le moral pendant l’été, c’est évidemment parce qu’ils ne mettent pas de chaussettes.




lundi 21 août 2023

à propos de Don Quichotte (et notamment de la 2e partie)

Voilà : j’ai lu Don Quichotte.

Ou plutôt, j’ai lu la deuxième partie de Don Quichotte ; j’avais relu la première l’été dernier. Un an entre ces deux lectures ; j’ai éprouvé quelque scrupule à laisser passer tant de temps, et puis Cervantès m’a donné raison : dix années séparent ces deux publications (1605, 1615). Dix années les séparent et si, du point de vue des événements racontés, la seconde est la suite immédiate de la première, elle s’en démarque sensiblement dans son contenu. En parfait ignorant de la littérature espagnole que je suis, aurai-je l’audace d’en dire quelque chose ?

La folie de Don Quichotte est sans doute un peu contagieuse ; allons-y. Celui-ci cependant, dans cette deuxième partie, paraît plus raisonnable que dans la première : voici qu’il ne prend plus les hôtelleries pour autre chose que des hôtelleries, et gageons que s’il y croisait des moulins à vent (il n’y en a plus), il les prendrait probablement pour des moulins à vent. Le personnage tend d’ailleurs à s’effacer tandis que Sancho gagne en importance, au point de devenir quasiment l’égal de son maître. Cervantès explore sa simplicité authentique, et donne à voir à quel point la simplicité est complexe. Les chapelets de proverbes improbables que Sancho débite à toute occasion – une bonne lecture à haute voix s’impose – combinent l’absurdité burlesque et la sagesse miraculeuse. Quant aux passages où Sancho, victime d’une mystification organisée par un duc et une duchesse anonymes et farceurs qui a pu inspirer le dîner de cons et nous fait regretter que l’immense Jacques Villeret n’ait jamais, à ma connaissance, incarné le personnage de Sancho, se croit gouverneur d’une île, il y fait preuve d’une acuité et d’une sagesse qui laissent pantois les facétieux Grands d’Espagne.




C’est que, par la publication de leurs aventures racontées dans la première partie, Don Quichotte et Sancho Panza sont devenus célèbres, célèbres dans notre réalité mais aussi dans la leur, car les deux se mêlent. En effet, l’essentiel de l’intrigue de cette seconde partie tient au fait que la plupart des personnages importants que croisent nos deux héros connaissent leur histoire tout simplement parce que, comme le lecteur, ils l’ont déjà lue dans un livre imprimé, dans un procédé de mise en abyme rarement employé à ma connaissance – il ne me vient à l’esprit, comme exemple comparable et tout récent, que les Barbares de Jacques Abeille, où la lecture des Jardins statuaires par les personnages jouent un rôle essentiel dans l’intrigue. Non seulement de nombreux personnages ont donc lu les aventures imprimées de Don Quichotte et de Sancho Panza, mais certains en ont même lu une suite apocryphe, dont Don Quichotte choisit délibérément de ne pas suivre l’histoire, en n’allant pas à Alicante comme il l’avait prévu et comme le fait le Don Quichotte de la suite apocryphe, mais de poursuivre jusqu’à Barcelone. Or cette suite apocryphe existe bel et bien, elle est parue en 1614, un an avant celle de Cervantès, signée par un mystérieux Avallaneda. Tout cela est bien venu à une époque où le roman a besoin de passer pour une histoire vraie pour être pris au sérieux.




C’est peut-être pour éviter que son personnage soit réutilisé par un autre auteur peu scrupuleux que Cervantès le fait mourir à la fin. Mais il me semble que Don Quichotte est aussi l’histoire d’un nom, l’histoire d’une identité fictive qui donne son titre au roman. Car Don Quichotte ne s’appelle pas Don Quichotte. L’histoire de l’ingénieux hidalgo don Quichotte de la Manche n’est pas l’histoire d’une vie. Un personnage se donne un nom, « Don Quichotte » : il devient le personnage de sa propre fiction que nous appelons folie, et c’est ce qui lance l’histoire. Quelque mille pages plus loin, il renonce à ce nom, et à son statut de personnage : le roman s’arrête – sa mort ne fait qu’enfoncer le clou de la fin. Un roman sur la haine de la lecture (où le personnage doit sa perte à ses lectures), comme quelques siècles plus tard Madame Bovary – c’est dans les deux cas le prix du « réalisme ». Là aussi le titre est un nom, mais au lieu d’être choisi par le personnage, celui-ci le porte comme un fardeau – à ce titre (dans tous les sens du terme), Madame Bovary sera une sorte d’anti-don Quichotte.

Voilà. Je n’ai pas lu grand-chose à propos Don Quichotte, je parle du texte même, sur Internet, ni même dans la préface de mon édition de poche ; alors j’ai eu envie d’en écrire un peu.



samedi 19 août 2023

Merde, Pierre Alferi est mort.

Je ne comptais pas rouvrir ce blog avant la rentrée mais merde, Pierre Alferi est mort. De sa main, je n’ai dû lire, outre un peu de poésie, que les Jumelles, Après vous, Kiwi et Hors sol ; n’empêche, c’était assez pour qu’il ait sa place dans mon panthéon personnel qui est, sachez-le, le seul qui vaille. Je n’avais jamais eu l’occasion de le rencontrer sauf par hasard à la terrasse d’un café ; il était assis à la table à côté ; nous avions un peu parlé de Hors sol, ce récit à la durée arrêtée – je n’en connais pas d’autre dans toute l’histoire de la littérature ; il m’avait dit que cette idée était là avant même qu’il sache lui même de quoi ce roman allait parler. (Il y a quelques liens ci-dessus vers d’autres billets, si ça vous dit.) Je ne lui avais pas avoué que « Pierre Alferi » me servait – me sert encore – d’argument pour dire en peu de mots à quel point la représentation de la littérature est en panne : voici un auteur majeur, qui publie depuis plus de trente ans, chez un éditeur puissant et reconnu (POL), accessoirement bien né puisque fils de Jacques Derrida – le cru est excellent mais ne crachons pas non plus sur le millésime : 1963 – et qui, malgré tout ça, n’obtient qu’une reconnaissance discrète. Si seulement la mort pouvait se rendre utile, pour une fois, cette garce, nous lui en serions reconnaissants.