Tu es en train de brûler au premier étage du bâtiment Kam Yip. Tout crépite autour de toi. Drogman Baatar est mort. Nous allons
tous vers toi. Nous échangeons nos derniers souffles. Mes souvenirs sont les tiens.
Tu es en train de brûler au premier étage du bâtiment Kam Yip. Tout crépite autour de toi. Drogman Baatar est mort. Je vais à
toi. Nous allons tous vers toi. Nous échangeons nos derniers souffles.
Ta mémoire coule à l’extérieur de tes yeux.
Mes souvenirs sont les tiens.
Tu es en train de brûler au premier étage du bâtiment Kam Yip. Tout crépite autour de toi. Drogman Baatar est mort. Elli Zlank
brûle lui aussi, quelque part au rez-de-chaussée. Maryama Adougaï ne crie plus au secours.
Les
incendies ont fait partie de notre quotidien depuis notre plus tendre
enfance. Les immeubles du camp avaient des
installations électriques défectueuses. Des courts-circuits se
produisaient sans arrêt, souvent bénins, sans conséquence autre que des
pannes et la puanteur du plastique en train de fondre, mais
parfois graves, et alors nous devions en hâte évacuer les locaux, au
milieu des cris, des fumées et de la panique. Il y avait aussi les
bombes larguées du ciel par l’ennemi, toujours accompagnées
de flammes gigantesques et de malheur.
C’est pourquoi, même pendant les périodes calmes, nous avions l’impression que nous étions à la fois des sous-hommes et des
habitants des ruines et du feu.
Je
me rappelle les livres que nous lisions, les histoires que les adultes
nous racontaient. Notre culture allait dans toutes les
directions, mais, dans de nombreux cas, elle reflétait la réalité de
notre routine : une fraternité égalitariste que tout mutilait, un
paysage de cendres, de barrières, d’enfermement, un
ciel lourd, et là-dessus, l’irruption fatale des flammes.
Je vais à toi. En ce moment, nous sommes avec toi. Nous allons tous vers toi. Nous échangeons nos derniers souffles. Ta mémoire
coule à l’extérieur de tes yeux.
Mes souvenirs sont les tiens.
Tu es en train de brûler au premier étage du bâtiment Kam Yip. Tout crépite autour de toi. Drogman Baatar est mort. Elli Zlank
brûle lui aussi, quelque part au rez-de-chaussée. Maryama Adougaï ne crie plus au secours. Elle a peut-être cessé de vivre.
(…)
Manuela Draeger, Onze rêves de suie, « La bolcho pride », L’Olivier, 2010,
p. 15-16.
Je viens juste de finir la lecture de ces Onze rêves de suie et forcément je reviens vers les premières pages,
construction en entrevoûtes oblige (même si le genre n’est pas précisé). En lisant ce livre et ses deux consanguins, je retrouve en moi un lecteur d’autrefois, « en prise
directe ». Volodine est grand et Manuela Draeger est l’un de ses
beaux visages.
"Quand dire, c'est faire", j'ai dû le lire. Un classique il me semble. C'est une névrose connue, qui tend à se répandre en effet dans la classe politique de façon démentielle...
(A une époque j'ai eu une passion fugace pour la pragmatique linguistique. Il m'en reste quelques traces.)