Ça s’appelle Claire-voie
et ça se présente comme un abécédaire, série de courts textes dont chaque titre
est une chose quotidienne et plutôt domestique, Arrosoir-Bac-Balustre,
une chose pas sauvage donc, plutôt rassurante apparemment, Banc-Barre-Bibliothèque-Bicyclette,
une chose qui s’offre à la vue, Chambre-Chapeau-Claire-voie, une chose
qui donne à voir aussi : Claire-voie donc, par exemple :
Claire-voie
Au bout d’un fil électrique sous
un abat-jour l’ampoule de la cave envoie une faible lumière circulaire
reproduite en plusieurs exemplaires le long du passage entre les tonneaux et
les casiers à bouteilles, laissant une large part d’obscurité tout autour à
quelqu’un qui voudrait se cacher, par exemple derrière cette porte ouverte près
d’une cloison à claire-voie qui sépare les boxes, abat-jour et ampoules
piquetés de résidus noirâtres d’insectes qui se balancent doucement sous la
voûte avec des variations en intensité, éclairant mal un reste de tas de
charbon à côté d’une chaudière bi-énergie de marque MORVAN, tout en laissant
entrevoir dans la pénombre un escalier à vis aux marches humides, étroites et
glissantes ainsi qu’à faible distance une écuelle emplie de grains d’orge
empoisonnés.
Par un soupirail on devine le
guidon du vélo de femme hollandais noir avec sa sonnette et ses poignées en
caoutchouc rouge.
Par exemple (pris à la page 45).
Qui s’offre à la vue ou qui donne à voir pour voir qu’on ne voit pas forcément
l’essentiel. Les objets s’imposent à notre vue et nous serions tentés dans leur
évidence de croire que ce qui est vu est ce qui existe alors que ce qui est vu
n’est que l’indice de ce qui ne l’est pas. On n’avait pas forcément vu par
exemple que sous son allure d’abécédaire et de collection de choses ce texte
est en réalité un roman. Un roman lacunaire et putatif, un roman qui ne dit pas
ce qui se passe mais qui le donne à imaginer en creux. Le narrateur qui n’en
est pas un puisque le texte entier est descriptif porte sur ces choses un
regard qui n’est pas celui d’un collectionneur de cartes postales mais plutôt
celui du photographe de Blow up ou du dessinateur de The draughtman’s
Contract. Car il y a des personnages aussi. Opaques comme ils le sont sur
une photographie. Opaques comme ils le sont dans la vie quotidienne car même si
heureusement on oublie la question que sait-on de ce qui anime autrui. D’une
jeune fille qui doit être celle de la maison et d’une femme qui doit être sa
mère, on ne perçoit que l’attentive fébrilité comme la queue d’un chat immobile
qui seule bat. Quelque chose est sur le point d’avoir lieu.
Claire-voie, de Michel Gremeaux, vient de paraître aux éditions Le bois d’Orion, accompagné
d’une préface de Luc Louwette.