samedi 8 février 2025

Souvenirs de mon père, 26 (bombardements, exode)

A un moment, vous vous êtes arrêtés juste avant d’entrer dans une ville. Pendant ce temps, elle a été bombardée. C’est là que vous avez vu passer un avion avec la cocarde française, tricolore, qui vous a mitraillés. Les balles passaient de tous les côtés. C’était un avion allemand camouflé en français ; il y en a eu d’autres. (A ce moment-là, il n’y avait plus guère d’avions français.)

Vous vous êtes réfugiés dans une grange, dans le foin, pour passer la nuit. Une paysanne qui était restée chez elle et qui avait trait ses vaches vous a apporté du lait encore chaud, fraîchement trait. Toi qui n’aimais pas le lait, tu as bu ce bol avec plaisir. Tu avais faim. Depuis, tu aimes le lait.

Le lendemain matin, vous êtes repartis et vous avez atteint Gisors. Vous aviez fait environ cent vingt kilomètres à pied en un jour et demi. Mamie s’appuyait sur un bâton. Arrivés à Gisors, un centre d’accueil organisé vous a donné des ravitaillements, et vous vous êtes retrouvés séparés de votre voisine, définitivement.

Coïncidence : vous avez rencontré un soldat qui se trouvait être un ancien ouvrier de ton grand-père. Il vous a dit que vous seriez mieux logés dans son ambulance que dans les dortoirs du centre d’accueil. Vous y avez passé la nuit. La nuit, plusieurs alertes ont retenti. A chaque fois vous voyiez les officiers entrer les premiers dans les abris, bousculant les gens sans ménagement, suivis par les soldats, enfin par les civils, s’il y avait encore de la place. C’était « l’esprit de 40 ».


Cette dernière remarque a plus de sens quand on sait que mon père était fils et petit-fils d’officiers.

mercredi 5 février 2025

Mon classique du mercredi : Jacques le Fataliste, de Diderot (premières pages)

Puisque je viens de le relire, autant que je vous en relise un morceau. C’est le début. C’est pratique : c’est le moyen pour moi de vous dire deux ou trois chose avec un surcroît de crédit accordé par mon ami Denis (sans oublier Jacques, son maître, et les imaginaires auteur et lecteur de leurs aventures qui n’en sont pas).



mardi 4 février 2025

Jacques le Fataliste et son (re)lecteur

Il paraîtrait qu’il y aurait un âge pour relire et il semblerait que j’y sois parvenu car, de plus en plus, j’ai envie de relire. Se relire, c’est se relier, ai-je écrit dans je ne sais plus quel livre (peut-être bien dans les Singes rouges) mais relire tout court, relire autrui, c’est peut-être aussi se relier.

Quand j’ai décidé de relire Jacques le Fataliste (que je n’avais pas relu depuis le lycée, je crois bien), il me semble que je cherchais juste à vérifier que mon enthousiasme de l’époque restait le même aujourd’hui. C’est le cas ; je m’en doutais. Mais est-ce par hasard si mon choix s’est porté sur Jacques et non sur un autre engouement de jeunesse ? Mon immédiate jubilation a su me dire quoi. Diderot joue à malmener le lecteur en moi, ce lecteur habitué au confort que trop souvent la lecture lui apporte. Il ne faut pas caresser le lecteur. Il faut le faire s’envoler comme le pigeon devant la course du petit enfant. Il doit se sentir en faute, le lecteur. Il doit se sentir perdu. Il doit se sentir en danger. C’est ce vers quoi je voudrais tendre, avec mon stylo. Alors raconter ceci plutôt que cela, sachant que de toute façon ça n’est jamais vraiment possible, l’auteur ne parviendra pas à raconter ce qu’il veut raconter, avec la meilleure volonté du monde, avec ou sans son stylo, alors autant faire mine de vouloir raconter les amours de Jacques (comme d’autres font mine d’organiser un dîner où l’on pourra goûter au charme discret de la bourgeoisie), quelle importance ? Autant faire mine de raconter, on aura toujours un tiroir à ouvrir pour raconter autre chose qu’on ne racontera pas vraiment, ou peut-être que si. Peut-être qu’il tombera juste, qu’il écrira juste ce que le roman doit être.

Je crois que c’est pour ça que j’ai relu Jacques aujourd’hui, et non pas il y a deux ou trois ans : il me dit ce que je fais, avec ou sans mon stylo. Jacques et son maître, c’est Diderot et son lecteur. Il l’aime et il s’en joue.



lundi 3 février 2025

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 56

Pour mémoire, le Contrat est une adaptation des mésaventures de Monsieur de Mesmaeker, personnage récurrent dans les albums de Gaston Lagaffe de Franquin, à travers le prisme Kafka. Car Kafka est un prisme, et de Franquin à Kafka, il n’y a qu’un pas.


Quand Messerschmied retourna chez Brunnen, il fit savoir qu’il souhaitait traiter avec Monsieur Abakus ; il préférait encore les manières à l’ancienne mode de ce dernier. Confortablement assis dans un fauteuil du salon de réception, Messerschmied fumait son cigare ; il avait toujours eu un faible pour le cigare. Il venait de le déposer dans le cendrier afin de consulter encore une fois les termes du contrat que Monsieur Abakus avait disposé devant lui sur la table basse, lorsqu’il fut alerté par un bruit léger qu’il ne put identifier. Il se retourna, non sans une certaine inquiétude ; tout était normal. Il ne put toutefois mettre la main sur son cigare, qu’il avait pourtant, lui semblait-il bien, déposé dans le cendrier quelques secondes auparavant. Il en fut contrarié, mais comme il ne savait quoi en penser, il préféra s’atteler à la signature du contrat ; et c’est avec un soulagement qu’il ne parvint pas à dissimuler que, quelques instants plus tard, il tendait à Monsieur Abakus la liasse dûment paraphée qui, au moment même où Monsieur Abakus allait la saisir, disparut, aspirée par le cendrier, lequel devait être relié à toute une machinerie sans doute complexe, dont la motivation lui échappait. Un instant, la pensée le traversa que le monde, chez Brunnen, obéissait à d’autres lois que celui dans lequel il était né.

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samedi 1 février 2025

Souvenirs de mon père, 25

Exode et bombardements, mai 1940


Puis vous êtes repartis. Vous avez marché des kilomètres. Quand vous arriviez dans un village, il n’y avait plus de pain, à cause des précédents réfugiés (vous vous étiez retrouvés dans un convoi de réfugiés.) Alors tu as déposé à terre les sacs qui étaient accrochés au guidon de ton vélo, et tu as dépassé le convoi à vélo pour arriver le premier au village suivant et avoir du pain.

Tu es arrivé à un embranchement de deux routes importantes. Juste à ce moment-là, des avions sont arrivés pour bombarder ce point précis. Devant toi, il y avait des paysans réfugiés avec des chariots tirés par des chevaux. Quand les premières bombes sont tombées, tu as sauté directement de la selle depuis ton vélo dans le fossé, sans mettre les pieds à terre.

En levant la tête, tu voyais au-dessus de toi l’éclat métallique des bombes qui brillaient au soleil dans leur chute. Tu avais l’impression qu’elles étaient juste au-dessus de toi. Elles sont tombées dans le champ de l’autre côté du carrefour et se sont enfouies dans la terre meuble avant d’exploser.

Quand tu es ressorti du fossé, après le départ des avions, tu as vu les deux paysans hébétés, debout, indemnes, qui tenaient les brides des deux chevaux morts, couchés sur la route. Tu n’as pas continué ta route, tant pis pour le pain. Tu es retourné vers Mamie et Milou pour les rassurer. Elles avaient vu le bombardement de loin et pensaient qu’en effet tu devais te trouver en dessous. Vous avez continué votre route, entrecoupée de bombardements.

vendredi 31 janvier 2025

court toujours (317)

Comment ça « La physique quantique n’est pas l’antique Physique d’Aristote révisée par Kant » ?




jeudi 30 janvier 2025

court toujours (316)

Le Pont Neuf n’est le Pont Neuf que si le Pont de l’Alma est le Pont Un (ce qui permet accessoirement au Pont Alexandre III d’être en effet le Pont Alexandre Trois).




mercredi 29 janvier 2025

Mon classique du mercredi : les Chimères, de Nerval (Erythréa)

Pendant l’adolescence encore, un autre lecteur en moi se trouva fasciné par l’œuvre de Nerval, notamment Aurélia et les Chimères. L’assurance de ne jamais comprendre me rassurait : je comprenais que je n’étais pas là pour comprendre. J’étais là pour voir, et pour sentir.




lundi 27 janvier 2025

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 55

La rencontre suivante entre Messerschmied et Monsieur Schlehe eut lieu tout à fait par hasard, et dans la rue. Mais Monsieur Schlehe avait à peine eu le temps de faire ses politesses habituelles qu’un autre individu arriva et interrompit l’entrevue ; il tenait à tout prix à montrer on ne savait quoi à Monsieur Schlehe ou même à Messerschmied dont ce dernier n’avait cure. L’affaire encore une fois tourna mal et il semble bien que Messerschmied soit sorti de ses gonds ; on comprendra qu’il préféra oublier cette histoire.

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samedi 25 janvier 2025

Souvenirs de mon père, 24

Tu as continué ton chemin, très inquiet pour ta mère et ta sœur. Sur le boulevard, au-delà de la gare, les maisons étaient démolies. Un peu plus loin, cependant, il n’y avait pas eu de dégâts : ça t’a un peu rassuré. Tu es arrivé dans votre rue, derrière le Cirque d’Hiver. Là, à nouveau, tu t’es trouvé face à des maisons démolies.

Tu as trouvé ta mère et ta sœur dans la cave, avec la voisine du dessus. Milou avait reçu plein d’éclats de verre sur elle, heureusement sans être blessée. L’arrière de la maison, côté cour, était en partie démoli. La nuit suivante a été pénible, dans l’inquiétude.

Le lendemain matin, toujours avec la voisine, vous avez décidé de partir à pieds, en exode.

En partant, vous êtes passés devant le magasin L’Union, dont la vitrine était défoncée. Tu as voulu prendre du ravitaillement mais la voisine s’y est opposée en disant que c’était du vol. Tu as quand même pris un paquet de gaufrettes fourrées, en douce.

Vous avez quitté la ville en poussant une vieille voiture d’enfant que vous aviez trouvée à la cave et dans laquelle vous aviez entassé tout ce que vous aviez pu sauver. Tu avais aussi accroché des sacs à ton vélo que tu poussais à la main.

Quand vous êtes arrivés dans la campagne hors d’Amiens, une nouvelle vague de bombardiers est arrivée à nouveau pour bombarder Amiens. Vous vous êtes couchés dans les hautes herbes pendant tout le temps du bombardement. Tu t’es rappelé que tu avais des gaufrettes. Tu as commencé à en manger et tu as rampé dans l’herbe pour en donner à ta mère et à ta sœur.

A ce moment-là, tu as eu un nouveau flash : tu t’es rappelé que trois ans auparavant, le lendemain de ton rêve sur le bombardement, tu avais rêvé que tu rampais dans l’herbe sur les coudes pour donner à manger tantôt à Milou tantôt à Mamie. Tu n’avais jamais fait de rêves prémonitoires jusque là, tu n’en as jamais refait depuis. Sans ces souvenirs, tu ne croirais pas la chose possible.

mercredi 22 janvier 2025

Mon classique du mercredi : Fin de partie, de Beckett

J’aime la lecture orale, et le partage. C’est donc une nouvelle série : tous les mercredis, je me propose de lire un texte que j’ai aimé tout jeune, et qui compte encore pour moi aujourd’hui. Mais par quoi commencer ? Beckett s’imposait un peu. Et s’il s’imposait face à Kafka, Flaubert, Nerval, Coleridge et beaucoup d’autres, c’était d’abord sur un plan chronologique. Alors, chronologie oblige, autant commencer par mon premier Beckett, étudié en classe, grâce à ma chère Danielle Auby.



mardi 21 janvier 2025

court toujours (313)

Janvier. Jean vit. J’envie Jean. J’envie les gens. J’envie les gens en vie. En janvier j’envie les gens en vie et j’en vis.




lundi 20 janvier 2025

Le Contrat, par Franquin et Kafka, épisode 54

Pour mémoire, le Contrat est une adaptation des mésaventures de Monsieur de Mesmaeker, personnage récurrent dans les albums de Gaston Lagaffe de Franquin, à travers le prisme Kafka. Car Kafka est un prisme, et de Franquin à Kafka, il n’y a qu’un pas.


Messerschmied n’avait pas vraiment de raisons de ne pas retourner chez Brunnen, aussi y retourna-t-il. Mais il n’était pas à son aise. Il avait beau se raisonner, il ne parvenait pas à se défaire d’un excès de nervosité. Il était attendu par Monsieur Schlehe qui, au lieu de son bureau, l’accueillit dans le grand salon de réception. Messerschmied, tout en appréciant l’intention, était comme empêché de se sentir à l’aise ; d’ailleurs Monsieur Schlehe lui-même n’avait pas l’air dans son assiette ; même son élocution s’en ressentait. Comme il tardait à sortir le contrat, Messerschmied insista un peu vivement – pourtant lui-même avait bien du mal à penser au contrat : son regard était irrésistiblement attiré par le mur de droite du salon, lequel à l’évidence avait été fraîchement repeint. C’était maintenant Monsieur Schlehe qui insistait, indiquant fébrilement à Messerschmied l’emplacement où ce dernier devait apposer sa signature ; et Messerschmied ne put s’empêcher de remarquer que, tout en lui parlant, Monsieur Schlehe mettait sa main à côté de son œil, comme pour s’empêcher de voir le mur fraîchement repeint. C’était difficile de résister à la tentation, c’était vraiment très difficile, c’était carrément impossible. Messerschmied regarda de nouveau le mur de droite et, sans pouvoir donner la moindre explication ni à son geste ni à Monsieur Schlehe, se rua hors de la pièce.

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dimanche 19 janvier 2025

Abécédaire du dimanche (hygiénique)

Ânes bâtés ! Crétins dégénérés ! Enflures ! Fumiers ! Glandus ! Heureux imbéciles ! Joyeux kikous lobotomisés ! Merdeux ! Noobs ! Orchidoclastes ! P.Q répugnants ! Sociaux-traîtres usagés ! Vendus ! Watermaniaques ! Xéropineurs yankees ! Zguègues !



Abécédaires ornithophilecompétitif, mycologiquemusicalapocalyptiquepicturalbrigandsoûlographiquebibliophiliquesubaquatiquecomportementalinjonctifpolythéisteévénementielchômeurphotographiqueforestierarmécommissionnairemixologiquealphabébêtiqueabécédarophileconversationnelprésidentielonomatopéiquefaunophoniqueproverbialbibliomaniaqueaquoibonistemeurtriertouristiqueculinaireguerrierfloralzoologique)