Tu as continué ton chemin, très inquiet pour ta mère et ta sœur.
Sur le boulevard, au-delà de la gare, les maisons étaient démolies.
Un peu plus loin, cependant, il n’y avait pas eu de dégâts :
ça t’a un peu rassuré. Tu es arrivé dans votre rue, derrière le
Cirque d’Hiver. Là, à nouveau, tu t’es trouvé face à des
maisons démolies.
Tu as trouvé ta mère
et ta sœur dans la cave, avec la voisine du dessus. Milou avait reçu
plein d’éclats de verre sur elle, heureusement sans être blessée.
L’arrière de la maison, côté cour, était en partie démoli. La
nuit suivante a été pénible, dans l’inquiétude.
Le lendemain matin,
toujours avec la voisine, vous avez décidé de partir à pieds, en
exode.
En partant, vous êtes
passés devant le magasin L’Union, dont la vitrine était défoncée.
Tu as voulu prendre du ravitaillement mais la voisine s’y est
opposée en disant que c’était du vol. Tu as quand même pris un
paquet de gaufrettes fourrées, en douce.
Vous avez quitté la
ville en poussant une vieille voiture d’enfant que vous aviez
trouvée à la cave et dans laquelle vous aviez entassé tout ce que
vous aviez pu sauver. Tu avais aussi accroché des sacs à ton vélo
que tu poussais à la main.
Quand vous êtes
arrivés dans la campagne hors d’Amiens, une nouvelle vague de
bombardiers est arrivée à nouveau pour bombarder Amiens. Vous vous
êtes couchés dans les hautes herbes pendant tout le temps du
bombardement. Tu t’es rappelé que tu avais des gaufrettes. Tu as
commencé à en manger et tu as rampé dans l’herbe pour en donner
à ta mère et à ta sœur.
A ce moment-là, tu as
eu un nouveau flash : tu t’es rappelé que trois ans
auparavant, le lendemain de ton rêve sur le bombardement, tu avais
rêvé que tu rampais dans l’herbe sur les coudes pour donner à
manger tantôt à Milou tantôt à Mamie. Tu n’avais jamais fait de
rêves prémonitoires jusque là, tu n’en as jamais refait depuis.
Sans ces souvenirs, tu ne croirais pas la chose possible.