Il
avait encore plus de mal avec le problème de ceux de ses personnages
qui se mettaient en tête d’écrire.
Sans compter Madame Cherbonnier, qui, Dieu merci, renonçait vite à
son projet de roman autobiographique, il y avait deux candidats sérieux à
l’écriture : au premier étage à droite le docteur
Ménétrier et, au rez-de-chaussée, le neveu des deux vieilles
demoiselles Bornichet. Ils écrivaient, tous les deux, longuement,
quoique non sans mal. Mais comment leurs écrits avaient-ils pu être
connus de lui et par lui révélés ? Escrivant s’embrouillait
indéfiniment dans ce problème : il pensait à des préfaces ou à des
postfaces, des avertissements, des notes de l’éditeur ou
autres épiceries de même farine. Ces procédés, il le savait très
bien, étaient connus et pratiqués de longue date. Mais il lisait avec
méfiance les textes qui en faisaient usage et craignait pour
son roman la même réaction. D’autant qu’il aurait fallu un
avertissement séparé pour chacun des deux écrits ! Il prit parti pour
deux solutions opposées, aussi arbitraires que brutales.
Pour le docteur Ménétrier, il supprima tout bonnement ses écrits,
n’en laissant subsister que les commentaires. Pour le neveu, il les
présenta tels quels, sans souffler mot de la façon dont ils
lui étaient parvenus. Et puis, était-ce vraiment ce qu’il avait
écrit ? Avait-il seulement écrit, ce débile de Bornichet ? N’avait-il
pas seulement cru qu’il écrivait, comme un homme
qui rêve assis près de sa lampe ?
REZ-DE-CHAUSSÉE
J’aime bien lire le journal. Je m’achète France Soir
deux fois par semaine, chez le marchand de journaux
de la station de métro Vallier, où je passe, forcément, quand je
vais au Perpétuel Secours. Le marchand commence à me connaître, à la
longue, et de temps en temps il me donne en plus de
France Soir un exemplaire du France Dimanche ou du Radar de la semaine d’avant, qu’il n’a pas réussi à vendre. France Dimanche ressemble beaucoup à France
Soir, sans Chéri-Bibi ni Juliette de mon cœur, mais avec, de temps en temps, des morceaux de romans en plus, avec des dessins. Mais je n’aime pas les romans, moi. Je
préfère Radar, à cause des grandes photos qui occupent la
première page. C’est dommage qu’elles ne soient pas en couleurs. Mais
même en noir et blanc on comprend tout de suite ce qui est
raconté à l’intérieur : des incendies, des tremblements de terre, et
surtout des histoires horribles d’assassinats ou d’enlèvements. Dans France Soir, il y a moins de photos, mais
il y a, tous les jours, du haut jusqu’au bas de la dernière page, Les aventures de Chéri-Bibi, sur le côté droit, et Juliette de mon cœur,
sur le côté gauche. Chéri-Bibi est bien
affreux, comme il faut, avant de prendre la figure de Maxime du
Touchais. Et Juliette est bien belle. Mais j’aime peut-être encore plus
sa petite sœur, Ève. Elle est un peu folle, c’est sûr, et
elle est trop jalouse de sa grande sœur. Mais elle est moins fière,
elle ne refuse pas tous les amoureux. Peut-être qu’un jour les bonnes
religieuses du Perpétuel Secours me donneront assez
d’argent pour que je puisse acheter France Soir tous les
jours. Mais même sans acheter tous les numéros, je comprends quand même à
peu près tout ce qui arrive à Chéri-Bibi, à la belle
Juliette et à sa jolie petite sœur Ève.
Michel Arrivé, Un bel immeuble, Champ Vallon, 2010.
Le roman de Michel Arrivé est un romans,
l’histoire de Joël Escrivant, marchand de voitures retraité
et écrivain du dimanche qui voit son roman s’autodétruire au
compteur statistique de son traitement de texte ; il était bien pourtant
son Bel immeuble, plein de délicieux commérages
de la cave au grenier – la littérature ne rend pas suffisamment
justice aux commères ; plein aussi d’authentiques prétendants à
l’écriture, comme cet adorable Bornichet du rez-de-chaussée,
autre figure d’écrivain ; allez donc voir ce qu’il y a derrière, ces
gens-là ont forcément quelque chose à cacher, ou quelque chose de
caché.
PS : Et je découvre à l'instant une vraie critique d'Un bel immeuble par Philippe Didion, dans ses
Notules dominicales n° 431 (à vendredi).
Merci de nous préciser que Un bel immeuble est un roman;o)
Dès qu'on utilise le Je, je crois que c'est du vécu! Quelle midinette;o)
Sinon Annocque, arrêtez d'emmerder Loïs, elle n'en peut mais.