À
La Chapelle, il est dit parfois qu’on y vit très bien. C’est une ville
qui reste à échelle humaine, pas trop loin de Paris ni trop près. Le
RER s’y arrête, une ligne
qui n’est pas trop sinistrée. Il y a des gens dévoués qui s’en
occupent, tiennent à réparer d’urgence toute dégradation volontaire,
tâchent de prévenir les risques d’affrontement entre
bandes. Les contrôleurs sont costauds psychiquement.
Il y a aussi les faits divers. Hier, du côté de la piscine, deux garçons promenaient un bébé couché sur un
barbecue. Des passants ont appelé les gendarmes.
– On n’a pas de landau, et ce truc-là a des roulettes… Mais il n’y a pas de braises, vous pouvez
vérifier.
– C’est votre frère ?
– Bah oui.
Le bébé rigole. Il n’y a aucun article de loi qui interdise de promener un nourrisson sur un
barbecue.
– Vous avez vos papiers ?
Les deux garçons ont des papiers.
– Ça va pour cette fois.
Tout
de suite après qu’on lui a raconté cette histoire qui sera dans la
presse du lendemain avec photo, Marie est
au Centre social où il y a l’inauguration d’une exposition sur le
Burkina Faso. Marie a le coup de sang : un jeune garçon, d’ailleurs
assez gros et bien portant, porte un T-shirt avec
inscrit en lettres gigantesques :
JE
VEUX
MOURIR
VEUX
MOURIR
JE
VEUX
MOURIR
VEUX
MOURIR
vieux
Jacques Jouet, Une mauvaise maire, POL, 2007, p. 48-50.
Le déplacement d’un i fait de Marie cette maire communiste d’une
commune moyenne de l’Essonne, dont on ne saura qu’à la fin pourquoi elle
est dite « mauvaise ». Un récit sans effets de
manches la suit à hauteur d’épaule et à distance respectueuse, comme
une caméra pudique. (Il lui arrive tout de même parfois de s’attarder
sur les jambes de Marie, supplément d’humanité.) Malgré
ou grâce à cette neutralité quasi documentaire du ton, on se
surprend à l’aimer (tandis qu’on prend plaisir – sans elle – à détester
« Dents-Longues » le deuxième adjoint, arriviste
prêt à tous les transfuges, qui ne tardera pas – nous sommes en 2007
– à faire des émules dans notre si voisine réalité). Il y a une
histoire, aussi, comme on dit, d'amour qui plus est, qui
arrive mine de rien. C’est drôlement bien.
L’avis d’Anthony Dufraisse dans le Matricule des Anges, quelques critiques (notamment celle de Fabrice Gabriel) sur le site de POL, un autre extrait dans la « très Petite Bibliothèque » du Désordre. (Et comme souvent, je ne suis pas du tout à la page : les dernières de Jacques Jouet s’appellent
Bodo.)
Bon, je m'installe là-bas? Prés de la cheminée?