Très belle soirée hier soir à la
librairie Atout Livre qui organisait une rencontre avec Eugène
Savitzkaya, lequel vient de faire paraître aux éditions de Minuit Fraudeur,
rappelez-vous, et A la cyprine, que je me suis offert pour
l’occasion ; car évidemment je manque de lectures. Formidable lecteur, et
formidable présence de cet auteur que je ne connaissais jusque-là que par
écrit, et dont le discours oral, très digressif (chaque sujet en convoquant un
autre), n’est pas sans rappeler la composition délibérément non chronologique
de ses romans, lesquels sont moins des récits que des polyptiques. Les mots me
manquent, me disais-je en écrivant le précédent billet savitzkayen, à chaque
fois que je cherche à dire combien et surtout pourquoi j’aime cet auteur ;
c’est sans doute pourquoi j’ai été si frappé par sa propre façon d’assumer à
l’oral son incapacité à dire ce qu’il voudrait mais d’une façon telle –
accompagnée d’un geste éloquent – qu’on croirait le voir attraper comme un
pêcheur les mots mêmes de ceux qui sont venus l’écouter. Fraudeur
toutefois, le titre de l’un de ses deux livres juste parus, nous a valu un bel
éloge du mensonge en guise de réponse (ou de non-réponse) à la question sur la
matière autobiographique de l’œuvre – et égoïstement m’a ramené au travail qui
m’occupe à l’instant : la correction des épreuves d’un livre à paraître
qui prétend notamment rassembler mes mémoires (mais lesquels ?).
samedi 28 février 2015
vendredi 27 février 2015
Oui, vous aimez le Fric.
Vous êtes un trader de génie qui
n’a pas de nom et que le narrateur vouvoie pour bien marquer la distance entre
vous et le monde. Cette distance n’est pas un choix de votre part mais c’est
comme ça : vous êtes à côté du monde, comme vous êtes à côté du monde
invité à la fête où vous êtes vous aussi invité parce qu’on vous considère comme
un ami mais où tout le monde a un nom et où vous êtes le seul à rester affalé
dans le divan. Vous êtes à côté du monde et le monde vit autour de vous et
pourtant les choix que vous ferez dans le seul domaine qui donne un sens à
votre vie peuvent changer le monde ou au moins la vie.
La Salle est le deuxième
roman de Joël Baqué qui nous avait déjà donné en 2011 Aire du mouton, où
un professionnel d’une autre sorte puisqu’il était représentant en parfums mais
professionnel aussi et tout du long du récit dans l’exercice de sa
profession comme on dit vivait l’avortement d’une histoire d’amour, ou bien
vivait une histoire d’amour qui n’avait pas lieu. Et cette histoire est aussi
celle que Joël Baqué nous raconte encore sous une forme différente – car la
Salle aussi est une histoire d’amour avorté, avec possiblement le sort du
monde en jeu en valeur ajoutée. Un extrait :
Touché à vif, vous lui aviez
rétorqué sur le même ton glacial que non, vous ne causez de tort à personne,
bien au contraire vous créez de la plus-value pour votre employeur, pour ses
clients et vous-même, c’est ce qu’on appelle être professionnel, et que non,
vous ne disposez pas de manettes cachées pour provoquer séismes et tsunamis,
pas plus que vous n’agitez une lanterne les nuits de tempête pour que des
bateaux s’éventrent sur les rochers. Les catastrophes arrivent sans votre
intervention, les gens meurent sans votre aide. Vous êtes un agent du réel,
voilà tout. Vous assumez votre fonction sans cracher dans la soupe,
contrairement à ceux qui ne refusent pas les dividendes dégagés par leurs SICAV
minables, leurs petits plans d’épargne en actions, leurs pauvres assurances vie
et leurs pathétiques complémentaires retraite. Les hypocrites, aviez-vous
poursuivi, les bien-pensants de la mondialisation joyeuse, ne veulent pas
savoir d’où viennent leurs dividendes, mêmes médiocres, ou, plutôt, ils font
semblant de l’ignorer, ils veulent capter un peu de l’écume dorée du Grand
Fleuve, mais pas voir ni sentir les cadavres qu’Il charrie. Ils veulent le
confort au quotidien sans regarder dans les placards du système, et vous aviez terminé
en hurlant que ce qui vous différencie des faux culs de son espèce à elle,
c’est précisément votre absence d’hypocrisie et votre acceptation fondamentale.
Oui, vous aimez le Fric, vous L’aimez comme on aime quelque chose d’infiniment
plus grand que soi. Vous ne pouviez plus vous arrêter, criant que les gens de
votre espèce à vous sont les derniers vrais marxistes, eux seuls savent
que les petits week-ends à Florence et les escapades en bord de mer des femmes
de son espèce à elle, leur lingerie fine tissée par des gamines de douze
ans et leurs thés rares de chez Mariage Frères cueillis par les parents des
premières, même leurs frottis vaginaux soigneusement examinés en laboratoire, leurs
petites sécrétions intimes confiées aux bons soins de spécialistes bien formés,
que tous ces petits riens sont quelques-unes des enviables superstructures de
ce Fric sur quoi elle et les siens crachent tôt pour préserver leurs
consciences délicates, et parce qu’ils sont infoutus d’en gagner davantage que
pas beaucoup !
Joël Baqué, La Salle,
POL, 2015, p. 32-33.
jeudi 26 février 2015
lit Liquide
mercredi 25 février 2015
Le panorama est splendide.
L’ambiance étant devenue
exécrable à la maison, je suis allé me promener sur la plage, derrière la
maison. C’était le soir et le panorama est splendide. J’ai remarqué toutefois
qu’il commençait à y avoir beaucoup de tombes. Je m’en suis approché et je me suis
rendu compte que la première était la tombe d’Ina. Non loin, il y avait la
tombe de Juliet et, à côté, celle de Frances. Je ne savais même pas qu’elles
étaient mortes. J’ai pleuré sur toutes les tombes de ces femmes que je
n’épouserai jamais.
Vie des hauts plateaux,
éditions Louise Bottu, page 86.
Tout à l’heure je pensais à tous
les livres parus, paraissant ou à paraître que j’ai envie de lire et je me
disais à peu près la même chose que sur la plage aux tombes des femmes. Ci-dessous,
par exemple, ce sont quelques-uns de ceux que j’avais prévu de lire avant la fin de la
semaine parce que j’en ai repéré d’autres qui arrivent très vite. Comme ça
risque de ne pas se passer comme prévu et qu’il n’y a pas de raisons que je
sois tout seul à rester frustré dans mes amours reportées, j’en mets juste un bouquet
pour vous faire envie.
(Bon, je me rends compte que la
photo est floue. Alors comme j’ai la flemme d’en prendre une autre, on y voit, par
ordre alphabétique du nom de l’auteur : Pré ou carré, de Joël
Baqué, chez Eric Pesty ; La Salle, du même Joël Baqué, chez
POL ; Les Morts rigolos, d’Antoine Boute, aux Petits Matins ; Louange
et épuisement d’un jour sans fin, de Didier da Silva, chez Helium ; Salle
des machines, de Jean-Michel Espitallier, chez Flammarion Poésie ; Autres
courants, de Philippe Jaffeux, à l’Atelier de l’agneau ; Tchoôl,
de Christophe Macquet, au grand os et le Parapluie rouge d’Anna de
Sandre chez In-8.)
mardi 24 février 2015
Mon jeune grand-père (72)
Le 1er septembre 1917.
Mes chers parents Sur cette
carte-ci l’écriture est nettement moins serrée que d’habitude. La lecture est
plus facile.
J’ai reçu peu de courrier ces
jours-ci. Ce sont les cartes de Papa des 15, 16 et 18 août, plus une longue
lettre de ma chère cousine Lucie. Lucie
Mangot, souvent citée, précieuse épistolière. Elle est toujours très
emballée et très confiante. Edmond
le disait déjà dans sa carte du 27 avril. Sa lettre est très bien
tournée. Elle me demande de faire mes mémoires, elle me dit que cela me fera du
travail pour l’hiver, mais ce n’est pas le travail qui me manquera. Et puis, je
n’ai rien d’assez intéressant à raconter. « Elle
me demande de faire mes mémoires. » Me voici. Je suis le bras armé de la
vive cousine de mon grand-père, une jeune fille dont je connais à peine
l’existence. Je suis là, Edmond, pour te dire de raconter que tu n’as rien
d’intéressant à raconter. Que c’est le rien d’intéressant à dire qui est
vraiment intéressant, à la fin. J’ai toujours eu ce sentiment, j’ai toujours
vécu dans cette contradiction entre la nécessité de dire et la conscience qu’il
n’y a rien à dire. Un instant je me plais à imaginer que c’est l’héritage d’une
captivité vieille d’un siècle. Louise avait joint un petit mot en
anglais que j’ai très bien compris (quoiqu’il y eût quelques fautes), elle me
demande si j’ai reçu une lettre en anglais qu’elle m’a écrite il y a déjà pas
mal de temps, je croyais en avoir accusé réception. Louise est la sœur de Lucie. Il faut que je consulte, pour
pouvoir l’affirmer. J’imagine que c’est sa cadette. Apparemment les deux sœurs
n’ont pas eu d’enfants. Edmond mentionne un petit mot de Louise en anglais dans
sa carte du 16 février 1917. J’ai reçu le cake (si je lis bien) n°4 et le colis
de vivres n°14. Il a été bienvenu, il va nous permettre d’attendre les autres,
surtout que nous avons trouvé une boîte de végétaline à emprunter. J’ai
parfaitement Mais là à nouveau je
n’arrive pas à lire ce qui suit jusqu’à je suis étonné de ne pas
vous l’avoir dit. J’ai fini le coffret à bijoux pour Geneviève et il est très
joli, j’en suis très content. Je l’ai bien réussi. Il y a longtemps que le Kerbschnitt n’avait pas été évoqué. Ou
alors c’est une impression, parce que ces objets sont à mes yeux tout ce qui
reste, en trois dimensions tout du moins. J’ai commencé un petit
cadre pour Adeline. Je ne sais
toujours pas qui est Adeline. Je vous quitte mes chers parents en
vous embrassant de tout cœur tous les 4. EAnn
lundi 23 février 2015
L'art du rangement selon Ursus Wehrli
C'est Kandinsky rangé par Ursus Wehrli :
C'est à la librairie l'Alinéa, 227 rue de Charenton, que j'ai trouvé Kunst aufräumen, et c'est publié par Kein & Aber.
dimanche 22 février 2015
Un Ka Ta de Céline Minard - et un saule pour pleurer.
NUKI-UCHI
Sous la corolle de l’arbre en
pleurs, je dus faire un immense pas en arrière pour esquiver la lame qui devait
me trancher au milieu du crâne, un pas rompu très fléchi à l’aplomb de l’agenouillement,
un pas dont l’angle réduit par ma jambe droite aussitôt ramenée, dégaina le
sabre sur une parabole atteignant la verticale au moment où me frôlait au
ventre le sifflement de l’arme adverse.
Je dus lui enchaîner un pas en
avant alors que ma main gauche se portait à la poignée de mon sabre brandi au-dessus
de ma tête pour l’abattre au front de l’ennemi et lui appliquer à la ligne ce
qu’il m’avait réservé, une entaille de partage à l’exacte frontière de ses deux
narines.
L’arbre qui nous couvrait avait
tenté de nous séparer. Je dus lancer sèchement la lame sur l’horizontale pour
en détacher le rameau flexible et collant qui avait un instant occulté mon
angle de coupe pendant l’attaque.
Je dus faire un autre pas en
avant pour rengainer. Et lorsque la garde de mon sabre rejoignit la gueule du
fourreau, je me souvins des vers de Chiyo-ni parmi les tentacules délicats de l’arbre
trois fois centenaire, et mes regrets furent liquidés.
Tout en les regardant,
Je les oublie,
Les feuilles du saule pleureur !
Céline Minard, KA TA,
Rivages, 2014, emballé par scomparo.
samedi 21 février 2015
parenthèse dans un livre à venir
(Il arrive en effet, pour peu qu’on y prenne garde, qu’un souvenir d’un coup naisse de rien. Alors que, assurément, il ne s’était jamais rien passé quelques instants plus tôt, on peut ainsi se retrouver tout autre par la découverte impromptue d’un passé nouveau, brusquement surgi de la faille. Le plus souvent cependant, ces passés-là sont éphémères. Ils ne manquent pas de vite retourner au néant qui les a vus naître.)
vendredi 20 février 2015
La vie fraudée de Savitzkaya
La puissance d’évocation de
l’écriture d’Eugène Savitzkaya me surprend à chaque livre que je lis de lui.
C’est la vie même. Ou plutôt, c’est encore plus la vie que la vie elle-même. Fraudeur,
qui vient tout juste de paraître aux éditions de Minuit, dans une veine proche
de celle de Fou civil ou de Fou trop poli, où le même
« fou » est un « très jeune homme, quatorze ou quinze ans »,
en est un nouvel et magnifique exemple. Entre un père aux mille travaux et une
mère mystérieusement inactive, un frère aîné complice et un autre tout petit
roi des oies, les figures humaines et les lieux – Ukraine ou Belgique –
prennent une dimension quasi mythologique. Le passé est un rêve où l’été n’a
pas de fin comme si le temps lui-même était arrêté. Roman, est-il écrit
comme souvent sur les couvertures de Minuit, mais Fraudeur ne raconte
pas : il évoque et convoque les sens avec vigueur. Jugez plutôt :
Le garçon aux os légers et aux
joues glabres observe tout en marchant des hirondelles décrivant de longues
arabesques à quelques mètres du sol, volant par groupes serrés, dos noirs et
ventres blancs. Les alouettes montent vers le ciel où elles s’égosillent puis
retombent dans le champ de luzerne.
Mesurant chaque pas, il progresse
vers les tombes, vers les tombes du bois, vers le charme Roi, vers le bouleau
Sorcière. Il progresse lentement vers son destin, dans la musique des tuyaux de
paille éraflant ses chaussures en toile noire aux protège-malléoles blancs.
Et la travailleuse, la belle
couturière, se repose dans sa chambre encombrée par l’odeur des bananes trop
mûres qui finiront par noircir et moisir dans le plat apporté par le mineur
polonais, le faucheur, le jardinier, le vidangeur des latrines étonné par la langueur
et les yeux vides de son épouse.
Eugène Savitzkaya, Fraudeur,
Minuit, 2015, p. 118.
On le recopierait sans fin,
plutôt que de le commenter. Je l’ai d’ailleurs déjà fait sous les liens pour
les autres Fous.
jeudi 19 février 2015
Mon jeune grand-père (71)
Le 27 août 1917. Mes chers
parents
Après être resté plusieurs sans
lettres, j’en reçu beaucoup d’un seul. Quand
les lettres manquent, les mots aussi. Ce sont les cartes de Papa des
7, 8, 9, 11, 13, 14 et la lettre de maman du 12. J’ai aussi reçu une lettre de
Geneviève du 10 et une carte de la tante Jeanne du 18 août. Je suis bien
heureux de savoir tout le monde en bonne santé. Quel ennui que l’oncle ? et
la tante J ne puissent aller vous retrouver, cela aurait été plus gai pour
vous. J’ai beaucoup de mal à
déchiffrer. On dirait vraiment un point d’interrogation après
« l’oncle » mais c’est sûrement une lettre. Ça ne ressemble guère
qu’à un S à l’envers. Si la cousine Ducrot peut y aller, ce sera
déjà quelque chose. Edmond a déjà
fait mention de la cousine Ducrot dans la carte du 10 avril 1917. Je n’en sais
pas plus. Je comprends, mes chers parents, que vous soyez bien seuls
en ce moment. Je pense souvent à vous C’est
vraiment très difficile à déchiffrer. Recopier est plus difficile qu’écrire.
Plusieurs mots m’échappent. content que la liaison soit faite pour
les colis. J’espère les recevoir bientôt. Tout
ce que je recopie, je l’ânonne à haute voix avant de l’écrire. Sans ce passage
par l’oral, trop de lignes me resteraient inintelligibles. Mes
arrière-grands-parents devaient se mettre à deux, sans doute, pour lire ces
cartes, et à haute voix sûrement, en se faisant l’un à l’autre la lecture, même
si bien sûr elles n’étaient pas encore jaunies par le temps. Je n’aurai manqué de rien, mais
ç’aura été tout juste, surtout pour la graisse. C’est vrai que cet été 17 il y avait eu des restrictions,
Edmond les évoque dans ses cartes précédentes. Je crois que j’ai
bien fait de vous demander dans ma carte précédente de m’envoyer de quoi
remonter mes réserves (si je lis
bien, je ne suis sûr de rien) car j’ai vu dans les journaux qu’on
parlait de fermer la frontière pour un mois. Vous avez bien fait de m’envoyer
le pain rôti, car j’ai reçu le colis 15, qui bien que séché est arrivé
complètement moisi. J’ai reçu aussi comme colis le plumcake 3 en bon état. Mon imagination compense avec peut-être un
peu trop de fantaisie. Ou peut-être pas. Pour le papier d’emballage
il n’y a rien à faire car depuis plusieurs mois le contenant de nos colis nous
est confisqué, le contenu seul nous est remis. Ma petite indisposition dont je
vous parlais dans ma dernière carte est complètement passée et pour l’instant
je me porte de nouveau à ravir. J’ai
eu du mal à lire « à ravir ». Je vous quitte mes chers
parents en vous embrassant bien bien
fort tous les deux et en vous chargeant de mes meilleurs baisers pour
Geneviève et Louis, Madeleine et Jean et toute la famille. Edmond
mercredi 18 février 2015
cet écart où vient se glisser une parole irréductible
Dans la Moitié du fourbi, on peut
lire notamment ces lignes de Frédéric Fiolof, qui me parlent avec force :
« On cherche des clés. (…) Et
puis on oublie de chercher. On se laisse prendre dans l’épaisseur, aussi dérisoire
soit-elle, d’une existence à laquelle l’écriture a donné forme. Existence diminuée,
sans doute, mais celle-ci et pas une autre. Quelque chose ici, au fil des carnets,
au fil des mots microscopiques de Monsieur M., déjoue le savoir comme l’interprétation,
se place ailleurs, dans cet écart où vient se glisser une parole irréductible. Car,
en cartographiant le monde qui l’entoure de cette manière, en le traduisant en
chiffres, en notes anorexiques, Monsieur M. travaille néanmoins, pour reprendre
la formule de Michel de Certeau, à l’« invention du quotidien »,
de son quotidien. Il se réapproprie le monde, creuse peut-être là l’espace qui
lui permet de naviguer entre travail, solitude et maladie. Les carnets de
Monsieur M. relèvent de cette catégorie d’écrits qu’évoquait Jouannais, « qui
ne ressemblent à rien », capables d’« incomplétude »
comme des « pires excès ». Ils sont illisibles, au propre
comme au figuré. C’est bien pourquoi il faut les lire. »
Frédéric Fiolof, La moitié du fourbi n°1, « Lisible illisible, Les carnets de Monsieur M. »
lundi 16 février 2015
samedi 14 février 2015
Vue des hauts plateaux bordelais...
... ma Vie des hauts plateaux vous rend la vôtre pop, wizz et technicolor, si j'en crois ce bel article de la non moins belle librairie Mollat, à Bordeaux. Que j'aime quand les libraires parlent de mes livres comme ça ! Pour lire l'article, c'est ici.
vendredi 13 février 2015
un désert où croiser Sandra Moussempès
VI
Le jeune homme aux yeux bleus et
à la barbe noire s’étant rapproché de la dune, Daria (bis) tremble à l’idée de
n’être plus nue hors cadre, hors cadre, hors script, hors champ
Pour envahir le paysage il aurait
fallu que le jeune homme creuse un sillon de sable chaud à chaque séquence
romanesque
Il a préféré arrêter Daria (bis)
sur la route par le moyen des ailes et le réalisateur s’est lui-même ému de la
ressemblance entre ces deux-là, le film s’est arrêté sur une mécanique
explosive d’objets découpés dans le scénario, ces matières flottaient dans le
ciel, ce décor avait coûté cher, ils avaient « tout foutu en l’air »,
après le flash-back tout était rentré dans l’ordre ensuite tout avait encore
explosé dans la vraie vie mais dans le film c’était une pensée de rêve, le
patron, sa femme, les invités et les domestiques avaient disparu avant de
reprendre place dans le patio
Daria (bis) est devenue
psychologue, s’intéresserait aux pratiques spirituelles, après un mariage raté
avec un réalisateur célèbre, Daria (bis) nous dit-on sur Wikipédia n’a pas
continué le cinéma
Je n’ai jamais su qui était Daria
(bis)
Zabriskie point,
août 2012
Sandra Moussempès, Sunny
girls, Flammarion Poésie, 2015, p. 34-35.
Je me rappelle Zabriskie point
même si je ne l’ai pas revu depuis peut-être trente ans. Je me rappelle Zabriskie
point parce qu’en août 2012 c’est moi qui y ai pris ces photos où il fait
cinquante degrés de chez nous. Le soleil tapait si fort sur les corps nus des
dunes que je n’ai pas vu Sandra Moussempès en train d’écrire et pourtant elle n’était
sûrement pas loin. Avec un peu moins de soleil je l’aurais peut-être reconnue
puisque je l’ai déjà lue là.
jeudi 12 février 2015
Hublot de l'homme (12)
L’homme est un palmipède
amovible.
L’homme est un aptère qui n’assume
pas sa condition.
L’homme est le meilleur ami du
morpion mais aussi le plus ingrat.
mercredi 11 février 2015
Mon jeune grand-père (70)
Le 22 août 1917 Mes chers parents
1917, je lis bien. Le désordre dans
le paquet n’est que relatif. Les premières cartes, cette douzaine de cartes que
je viens de recopier, s’étaient glissées après la carte du 17 août 1917, à
laquelle celle-ci fait suite. Je dirais bien que ce sont les dernières cartes –
mais non, bien sûr.
Je n’ai reçu que très peu de
courrier ces jours-ci. La cause en est sans doute à la fermeture de la
frontière suisse. Il me semble bien
que je lis « suisse ». J’ai reçu la carte de papa du 4
août, la lettre de maman du 5 et la carte de Louis du 6. J’ai été très heureux
de recevoir la carte de (je
n’arrive pas à lire) il est bien gentil de m’avoir écrit un petit
mot (trop petit peut-être !) et je l’en remercie bien. Il doit parler de son frère Louis.
J’ai reçu un colis, le n°13, c’était le dernier colis de la 1ère série, aussi
était-il complètement moisi, mais j’espère que le prochain envoi sera bon car
beaucoup de camarades en reçoivent de cette façon et il arrive en bon état. Si
je lis bien. Maman a eu une bonne idée d’en envoyer (je n’arrive pas à lire) et sera le bienvenu car il
y a déjà quelque temps que je n’ai plus de gâteaux. J’espère que les autres
denrées vont également suivre bientôt. Il n’y a pas grand-chose de neuf en ce
moment, je travaille un peu moins ces jours-ci, je me repose (je n’arrive pas à lire) pas tout
à fait dans mon assiette. L’estomac n’est pas toujours très sage. Voilà : c’est à ce manque de sagesse de
l’estomac que je dois de n’avoir jamais connu mon grand-père, à quelque trente-cinq
années près. Le temps n’est plus très beau en ce moment, il pleut
assez souvent. Mais comme le sol est très perméable, il est sec tout de suite et
on peut continuer aussitôt ses occupations dehors. Je vous quitte mes chers
parents en vous embrassant bien fort tous les 4 ainsi que toute la famille.
Votre fils qui vs aime de tt son cœur. Edmond
mardi 10 février 2015
éloge de la minceur
Appelons lipogramme tout
gramme à perdre grâce à la liposuccion : « Vous avez quelques
lipogrammes sur les hanches. »
Une liposuccion réussie est
parfois appelée disparition, tant le sujet paraît effacé.
La liposuccion n’empêche pas de
faire régime. L’omelette y perdra son nom mais Pascale Petit n’en met
pas un gramme dans la recette de sa tortilla du ciboulot.
lundi 9 février 2015
Parole de zoophile
« Ce grand cheval aurait été
ma poule si j’avais eu le ticket gagnant », disait-il en substance, et
aussitôt de traiter de chameau cette sacrée vache.
dimanche 8 février 2015
samedi 7 février 2015
Hélice à deux
Je ne me l’étais jamais dit aussi
clairement et pourtant c’est vrai que l’histoire de deux brins qui s’enroulent
sur eux-mêmes quasi à l’infini à travers le vivant tout entier c’est non
seulement une histoire d’amour mais l’idée que toute vie en est une, universelle
et singulière. Hélice à deux de Nathalie Léger-Cresson qui
sait de quoi elle parle quand elle dit ADN et n’en est pas moins poète en
déroule la spirale dans une série de contes où l’ADN est à la fois le sujet et
le projet et même, n’ayons pas peur des mots, l’auteur lui-même. Si j’en donne
un exemple, par exemple :
C’était bien fait.
La couleur de leurs oreilles,
leurs hurlements de vélo passaient dans chacune des innombrables.
Donc le code de ses protéines lui
était transmis par deux humains, mouches, pissenlits.
En plus, c’était joli, dans le
même sens que la Terre dans la chambre.
Deux était la clef.
Les savants courbés se
demandaient. Mais Jim Watson leva le nez.
Chaque base était accrochée à
celle d’en face mais ça, et bien, un A qu’à un T, un G qu’à un C, et à cause de
l’ADN s’ouvrait en deux comme un zip. Ses bases à l’air, se fabriquait un
nouveau complémentaire, grâce aux alentours.
Hélice à deux, p. 38.
il faut alors que j’en donne un
autre, car rien n’est plus varié que la vie et le texte aussi varie avec elle :
Et si tout disparaît, toujours
une jeune fille au bastingage s’en souviendra.
Une fille qui n’existera plus
mais saura la forme de l’ADN et celle de nos paroles, de nos chants, de nos
rêves. C’est elle qui par ma voix te parle maintenant.
Hélice à deux, p. 55.
Car il y a une Elle qui parle
dans Hélice à deux, et un amoureux qui différemment lui répond. La
science et la poésie sont deux brins aussi qui me sont chers et que tresse
Nathalie Léger-Cresson dans ce livre paru en 2014 aux éditions des femmes-Antoinette Fouque.
vendredi 6 février 2015
Mon jeune grand-père (69)
Le 26 juillet 1916. Mon cher Papa
Depuis ma carte du 24, j’ai reçu
tes 2 cartes des 13 et 15. 24 est
bien lisible. Pourtant la dernière carte d’Edmond est datée du 22.
J’ai reçu aujourd’hui le paquet n°1. Cette
fois en revanche le « 1 » me paraît douteux. J’ai reçu
aussi un premier envoi de Je suppose
que c’est « provisions » mais cette carte-ci est décidément difficile
à déchiffrer, il y a quelque chose ensuite qui m’échappe, puis qui
étaient en bon état. Le 24 je t’ai envoyé une carte représentant une vue du
château. Voilà, c’est donc la carte
du 24 : une carte postale illustrée. Je ne sais pas où elle est. Je
suppose qu’en voyant le château on ne pense pas à un camp de prisonniers. Ce
n’est pas la même chose, « château » et « camp de
prisonnier ». Ou parfois si. Nous avons le droit d’envoyer de
cette façon des photographies sans rien écrire dessus, et cela ne compte pas
dans le nombre de cartes. Tu ne m’annonces des colis de (je crois lire « 5 ki ». 5
kilos ?) que tous les 10 ou 15 jours. Je me permets de vous
dire que ce n’est pas tout à fait suffisant. Pour
recopier une phrase comme celle-ci, je vais me placer juste sous la lampe et je
la déchiffre à haute voix, sans ça je crois que je n’y arriverais pas. Les deux
lignes suivantes ont été gommées puis surchargées, on dirait du crayon de
couleur violet. La censure ressemble à une grosse rature d’enfant.
Le temps est très bizarre ici, il ne se passe pas une journée sans qu’il fasse
de l’orage. Est-ce la même chose par-là ? Ce serait bien malheureux pour
ce qui se passe en ce moment. Dans
des phrases comme celle-ci je sens avec Edmond par-dessus son épaule le regard
de celui chargé de le lire. La présence du non-destinataire. Cette
pauvre madame Beauger doit commencer à désespérer. Il était question de Beauger et de madame Beauger dans la carte
du 21 avril 1916, que j’ai recopiée il y a longtemps à cause d’un désordre dans
le paquet. Elle a écrit à Madame Gudin (c’est la première fois que je rencontre ce nom), à
Daussy. Dans la ligne qui suit je
ne lis que Elle s’est et
plus loin de Lyon écrit à l’un de nous. Nous ne pouvons que répéter
ce que l’on a déjà dit, bien que cela semble extraordinaire il ne faut pas
qu’elle désespère complètement. Dans notre chambre il y a un sous-lieutenant
qui a été blessé et dont la famille n’a été rassurée que 2 mois ½ après, et
chose plus extraordinaire son chef de bataillon qu’il croyait tué a donné des
nouvelles à sa famille 8 mois après sa disparition ! J’avais bien
l’intention de me faire photographier, mais j’attendais d’avoir reçu ma tenue,
mais je crois que je ne l’attendrai plus maintenant. J’attends avec impatience
des bouquins pour essayer de travailler un peu bien que cela semble difficile,
on s’embête et on n’a pas le courage de faire quelque chose. Mais enfin on a
bon espoir. Nous avons avec nous un aumônier qui est père jésuite, il a
commencé à nous faire des conférences assez intéressantes. Cela fait encore
passer un moment. J’espère que vous êtes toujours en bonne santé et je
t’embrasse bien fort ainsi que maman et toute la famille. Tout cela est tellement pâle, tellement
serré sur la carte brunie par le temps que je me demande comment je le
déchiffre. Ce sont toutes les cartes déjà lues qui m’éclairent. Mais je
n’arrive quand même pas à lire la dernière ligne, sauf la signature :
Edmond.
jeudi 5 février 2015
du fourbi dans la boîte aux lettres
Regardez ce que je viens de
trouver à l’instant dans ma boîte aux lettres ! C’est tout nouveau, ça s’appelle
la moitié du fourbi, et comme je trouve la chose bien appétissante je
vous scanne tout de suite le sommaire en guise d’apéritif.
(Cliquez pour agrandir)
mercredi 4 février 2015
considération zoologique
Contrairement à l’opinion
répandue, la confrontation du poisson et du chat tourne toujours en faveur du
premier, se dit le pêcheur en tirant son silure.
mardi 3 février 2015
lundi 2 février 2015
ma langue-serpent
Et dans ma chambre aussi,
ailleurs aussi, quelle qu’en ait été l’époque, j’ai toujours voulu dire ma
langue, cette chose âpre et sèche qui réclame toujours un peu plus de liquide
sinon à enfler dans ma bouche et à tenir toute la place dans mes bronches. Serpent
qui me revient et qui mord désormais quand je ne le noie pas de vin ou d’alcool.
Serpent d’estomac, nourri des restes du côlon, qu’en sais-je, et quelle
importance cela a-t-il d’ailleurs, sinon à signifier que j’attends ma dose de
pluie, bouche ouverte, et que de radioactivité elle se remplisse, qu’elle racle
la colère, y mette le fuir jusqu’à devenir indépendante d’elle-même, de moi.
Catherine Ysmal, A
vous tous, je rends la couronne, Quidam, 2014, p. 16-17.
dimanche 1 février 2015
hybride
Ainsi donc le croisement entre
chien et loup n’aboutit qu’à cette lueur blafarde qui précède l’aube.
Inscription à :
Articles (Atom)