25.
S’il y a un espoir de délivrance dans l’idée d’aller sans noms, ce
n’est pas celui d’arriver à une plus grande pureté, mais plutôt celui
d’échapper à certains filtres d’épuration à travers lesquels on
pense habituellement. Evidemment pour le comprendre, il faut avoir vécu
l’usage des substantifs comme une somme de contraintes et
de normes qui nous sont imposées : les noms donnent d’avance,
préjugent, présupposent, obscurcissent, unifient, simplifient,
trahissent, assujettissent, déterminent, limitent, réduisent,
séparent, déforment, endorment… Ils enchantent aussi.
(…)
17.
Notez qu’ils sont bien commodes, les substantifs de paraître
définitifs. Au moins ils nous laissent penser d’eux ce que nous
voulons. J’ai mis longtemps à le comprendre. Ils nous laissent
libres de les penser comme nous le voulons. Mais les verbes ? Ne nous
contraignent-ils pas à penser comme ils veulent dès lors
que nous les empruntons ?
Emmanuel Fournier, L’infinitif
complément, Eric Pesty éditeur, 2008, p. 13 et 15.
Emmanuel Fournier, philosophe, imagine pour penser autrement une
langue à l’infinitif qui croise les préoccupations de l’écrivain –
notamment de celui qui pour tenter de rendre compte d’un
certain sentiment de soi-même a expérimenté l’effacement de la personne grammaticale, sans savoir bien sûr quelle aventure le langage lui promettait.
Craindre de croire en avoir fini, avoir réussi. Craindre de se conduire comme en sachant. Sans le vouloir ni le savoir. Craindre
de ne plus avoir à transformer.
Désirer se tendre pour recevoir et vibrer. Se laisser traverser, se laisser agiter. Désirer n’apparaître qu’en écoutant et en
éprouvant.
Ne pouvant connaître qu’en modifiant, admettre de devoir s’aventurer.
Emmanuel Fournier, Mer à faire, Eric Pesty éditeur, 2005, p. 55.
On ne sera pas surpris qu’il soit publié par un éditeur de poésie.
Commentaires
Sur la grève, pendant les vacances, relire Grévisse : poésie à la page !
Commentaire n°1
posté par
Dominique Hasselmann
le 25/08/2010 à 08h46
Il m'est arrivé autrefois d'être ému aux larmes (j'exagère à peine) à la lecture de certains passages de la Systématique de la langue française, de Gérard Moignet.
Réponse de
PhA
le 25/08/2010 à 10h13
Consentir à se laisser écrire. (J'ai bon ?)
Commentaire n°2
posté par
Gilbert Pinna, le blog graphique
le 25/08/2010 à 09h08
(Tout bon - en ce qui me concerne.)
Réponse de
PhA
le 25/08/2010 à 10h14
Ouessant, c'est dépaysant : sur mon blog aujourd'hui, l'ambiance est
très dunkerquoise. Je ne connaissais ni cet auteur, ni cet éditeur :
merci pour cette double découverte.
Commentaire n°3
posté par
Marianne Desroziers
le 25/08/2010 à 09h39
Eric Pesty est un très bel éditeur de poésie, j'avais déjà fait un bref billet en hommage à Une ligne, d'Anne Parian.
Réponse de
PhA
le 25/08/2010 à 10h11