samedi 1 mai 2010

il ne comprend pas pourquoi ses parents l’ont expulsé du vaisseau principal

Le garçon se lève et demeure indécis et confus. Il est dans sa capsule, les commandes bloquées, il atteint les confins de la galaxie, il va basculer au-delà des voies repérées, d’un index crasseux il tapote l’aiguille du niveau d’oxygène, la situation est grave, dans l’espace personne ne capte ses appels au secours, il ne com­prend pas pourquoi ses parents l’ont expulsé du vaisseau principal,
le sentiment d’abandon est le pire à supporter,
plus jeune, il avait entendu cette histoire à la radio un enfant abandonné par ses parents, enfermé à clé dans sa chambre, sans nourriture, qui avait survécu en grignotant la tapisserie, le papier et la colle, plus d’une semaine. Que des parents laissent mourir de faim leur enfant l’avait terrifié et il ne s’était jamais débarrassé d’une question : quel est le goût d’un morceau de tapis­serie ? La question l’obsédait, il est tenté d’arracher un bout du papier pour assouvir sa curiosité mais il renonce. Il faudra qu’il fasse l’inventaire du frigidaire, des placards et du congélateur. Ses parents étant plutôt du genre prévoyant, il pourra manger à sa faim plu­sieurs semaines, il en est sûr. Et il ne manquera jamais d’eau potable. La tapisserie, il la garde au cas où la situation se prolongerait trop longtemps,
il sursaute,
du coin de l’œil, il lui semble surprendre un mou­vement du côté du téléphone, un grimacement sur le visage du combiné. La diode pulse régulièrement,
il regarde la fenêtre,
les rues dehors, les immeubles, les pavillons, il se demande comment c’était avant que l’on construise tout cela. Il voit le château d’eau, son antenne. Il ne sait pas à quoi sert un château d’eau, est-ce possible que toute l’eau des robinets vienne de là-haut ? Il approche le pouce et l’index de son œil, le bâtiment tient dans un petit centimètre, si petit. Combien d’autres ques­tions ne s’est-il jamais posées ? Sans émotion, il écrase le château d’eau.
 
Eric Pessan, Un matin de grand silence, les éditions du Chemin de fer, 2010, p. 21-22.
 
D’Eric Pessan, j’avais aimé, à sa sortie, Chambre avec gisant, cette histoire d’un homme qui sans raison apparente un jour ne se lève plus, laissant en plan les travaux d’intérieur entrepris – et sa famille. Du coup, quand je l’ai rencontré à Bordeaux récemment, j’ai eu envie de lire Un matin de grand silence. Là encore, un grain de sable dans les rouages d’un quotidien bien lisse et tout bascule. Un matin, un jeune garçon, de l’âge du collège, se réveille trop tard : on ne l’a pas réveillé, ses parents ne sont pas là. Une même absence d’explication est la trappe par laquelle on glisse à l’intérieur, là où tout se passe, dans un temps arrêté.
C’est Marc Desgrandchamps qui voit ce qu’Eric Pessan veut dire, puisqu’au Chemin de fer les livres sont à deux voix, une qui se lit et l’autre qui se regarde. Bien du beau monde déjà à leur catalogue – et les livres qui plus est y sont vraiment de beaux objets. 


Commentaires

Mais fichez-lui la paix, à Loïs !
Commentaire n°1 posté par Anna de Sandre le 01/05/2010 à 09h15
Vous savez ce que je lui dis, à Loïs ?
Réponse de PhA le 01/05/2010 à 22h31
Oh je sens que ça me plaire! Rien à faire, j'aime les histoires! Merci Philippe!
 
 
Commentaire n°2 posté par Depluloin le 01/05/2010 à 14h01
Et celle-ci sonne très juste (Chambre avec gisant aussi, d'ailleurs).
Réponse de PhA le 01/05/2010 à 22h33
Oui, hélas, je le sais :o)
Commentaire n°3 posté par Anna de Sandre le 01/05/2010 à 22h40

Réponse de PhA le 01/05/2010 à 22h42
Oh, vous l'avez dit avec des fleurs ! Merci...
Commentaire n°4 posté par Anna de Sandre le 01/05/2010 à 22h46

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