mardi 11 mai 2010

Moi aussi, j’ai psychoté.



PSYCHOTER et TRAVELOTER

Ils sont certainement tout récents, ces deux suffixés en -(o)ter construits sur des formes terminées par un -o. Je les ai repérés tous les deux en 2006, mais bien sûr ils existaient sûrement avant. Pour psychoter, c’était le 26 novembre, à 13 h 47, dans un programme sportif de France 3. Un champion de skate-surf (c’est de la planche à voile acrobatique) émettait un avis plein de bon sens : « Pour gagner, faut pas psychoter. » Pour traveloter, c’était Steevie, à l’émission « On a tout essayé », sur France 2. Le 21 octobre, à 19 h 20, il y faisait un aveu : « J’me travelote pas tous les jours non plus ! » Aucun des deux n’avait l’air de considérer comme insolite le verbe qu’il utilisait.
Depuis, les deux verbes se sont répandus. Ainsi, un site d’actualité télévisuelle annonce, le 6 avril 2009 la diffu­sion de « la dernière adaptation cinématographique de la comédie musicale “Hairspray”, avec un John Travolta ravi de se traveloter », où l’on remarque le beau jeu de mots entre Travolta et traveloter. Quant au sens, il n’est peut-être pas aussi clair qu’il y paraît : se traveloter est-il un équi­valent pur et simple de se travestir, c’est-à-dire, pour un homme, s’habiller en femme ? Ne s’agit-il pas plutôt de se présenter comme un travelo ? Ce n’est pas tout à fait la même chose…
Psychoter n’est pas plus simple. Pour le champion de skate-surf, c’est se laisser aller à de lourds soucis, propres à faire perdre la concentration nécessaire à « la gagne ». Mais voyez le site « actualité-sciences.com » du 15 octobre 2008 :
 
Psychiatre des hôpitaux, Bruno Verrecchia relativise l’impact de la crise financière actuelle sur la santé mentale des citoyens. Et rejette le principe d’un test psychologique lors de l’embauche des traders, comme le suggère le député Nicolas Dhuick. La crise financière ne doit pas faire « psychoter ».
 
Ici psychoter – dûment guillemeté – a le sens de « psychia­triser », explicitement donné comme équivalent de psycho­ter en un autre point de l’article.
 
Michel Arrivé, Verbes sages et verbes fous, Belin, 2010.
 
De boboïser à délinquer, de démathématiser à dousteblazouiller, on finit par arriver à psychoter et traveloter, chez le même Arrivé rencontré il y a peu au seuil d’Un bel immeuble, revenu pour un temps à une linguistique tout public qui traque les Verbes sages et verbes fous, avec quand même une préférence pour les seconds. Dans l’espoir d’un additif à l’article ci-dessus dans une prochaine réédition, j’apporte ma pierre à l’édifice – entendez : je raconte ma vie, laquelle aujourd’hui se résume à un aveu :
MOI AUSSI, J’AI PSYCHOTÉ.
Mais rassurez-vous : c’était il y a longtemps. C’est d’ailleurs là tout l’intérêt de mon témoignage : je suis en mesure d’officiellement confirmer le soupçon de Michel Arrivé - j’ai psychoté bien avant 2006. (D’ailleurs, en 2006, il y a longtemps que je ne psychotais plus. Il n’aurait plus manqué que je psychotasse encore passée la quarantaine !) Non, c’est bien plus tôt, vers la fin des années 80 que, durant quelque trois semaines, j’ai psychoté. En effet, il a bien fallu que je passe (non sans quelque retard) un certain temps sous les drapeaux, et c’est à cette occasion que j’ai appris une autre acception, sans doute assez ancienne, du verbe psychoter, dont j’offre la primeur à notre chasseur de verbes. A l’armée, en effet, psychote tout individu incapable de marcher au pas. L’expression est bien venue, je trouve : elle exprime assez clairement le fait que le psycho (car c’est par ce déverbal régressif qu’on désigne le coupable – à ne pas confondre avec son homonyme abréviation de psychopathe) fait davantage confiance à son esprit qu’à son corps, quoi qu’il fasse, y compris quand il s’agit de marcher au pas – et c’est là qu’il a tort ! Car pour bien marcher au pas, il vaut mieux en effet oublier de penser. (On ne s’est d’ailleurs pas gêné pour me faire savoir que les étudiants avaient une assez forte propension à psychoter.) Toutefois, au bout d’un certain temps, j’ai cessé de psychoter. Il faut dire aussi qu’on nous faisait chanter, et j’aime tellement chanter que j’en oublie de penser (de mémoire, pardon pour les erreurs) :
« … Prends garde si devant si devant sa lunette
Un jour tu passes, il te restera trois secondes
Pour qu’à jamais, ta pauvre vie s’arrête :
Le béret noir t’envoie dans l’autre Monde.
L’éternité te sera moins pénible ;
Tu te diras : "Ce n’est pas le hasard.
C’est sans retour, quand on devient la cible,
Du béret noir, toujours premier des chars." »



Commentaires

Brrr ! Psychoter dans cette acception-là, je préfère encore traveloter. (Heureusement j'ai pu objecter.)
Commentaire n°1 posté par Didier da le 11/05/2010 à 07h10
Heureusement, je n'ai pas psychoté longtemps : au bout de trois semaines, j'ai trouvé ma place en face de petits élèves de seconde vert-de-gris, mais tout à fait "élèves" quand même.
Réponse de PhA le 11/05/2010 à 09h27
Pas très élégant... Ce qui m'énerve c'est de voir des journalistes télé parler n'importe comment... si même eux ne donnent pas l'exemple...
Commentaire n°2 posté par Marc Lefrançois le 11/05/2010 à 10h04
Avec la télé, on peut toujours zapper - à ne pas confondre avec zaper, m'apprend Michel Arrivé : les deux se rencontrent, et ont droit à leur article.
Réponse de PhA le 11/05/2010 à 13h11
Je trouve tout cela "horripilant", ces mots nouveaux... c'est pourquoi j'aime tant la rubrique de Frédérique Pommier sur F. Inter.
Commentaire n°3 posté par Ambre le 11/05/2010 à 12h20
Nouveaux ou pas, les mots, ce qui compte, c'est ce qu'on en fait. (Vous savez que, personnellement, je les regarde toujours avec méfiance, même les anciens.)
Réponse de PhA le 11/05/2010 à 13h16
Pour bien marcher ne pas penser... je me tue à le dire! et pour danser alors!
(car c'est ce que je retiens de plus important de ce billet... pardon!)
Commentaire n°4 posté par Aléna le 11/05/2010 à 13h11
Mais vous avez bien raison : cette sagesse militaire n'est pas sans fondement. Moi-même j'ai pris l'habitude, dans certaines circonstances particulières, de m'empêcher de penser - ça continue à penser tout seul à l'intérieur, sans moi, c'est merveilleux.
Réponse de PhA le 11/05/2010 à 13h20
Avec le recul, je regrette de ne pas avoir bachoté! (Cela fait partie de la formation du soldat d'apprendre à ne plus penser. Plus tard, on lui apprend à penser soldatement.)
 
Commentaire n°5 posté par DepluloinQuell le 11/05/2010 à 13h37
Alors, elle est pas chouette, ma chansonnette ?
Réponse de PhA le 11/05/2010 à 15h07
Penser, puisqu'on en parle. Employé dans le sens d'avoir une opinion, le plus souvent, c'est à dire le contraire d'une pensée. La loi d'ailleurs accorde le droit d'opinioner. Quant à celui de penser, comment le pourrait-elle.  
Commentaire n°6 posté par albin le 11/05/2010 à 19h52
Dans l'une de ces deux activités, je manque vraiment de compétences. Autrefois j'en étais presque complexé.
Réponse de PhA le 11/05/2010 à 21h14
Bon,oui évitons de psychoter,parlons plutôt,disons les choses. et dans plusieurs langues (quelle richesse!) c'est encore mieux.J'ai cru ,en voyant ce beret qu'on parlerait du CHE! Manquait l'étoile rouge.
Plus je lis Mahmoud Darwich,tellement bien traduit par Elias Senbar,ou Gabo(Gabriel Garcia Marquez) traduit par Annie Morvan,etc... plus je me dis que rien ne vaut la façon de dire ,plus que le dit lui même.
Quant aux ordres, quelsqu'ils soient,c'est sûr qu'ils sont des empêcheures de discuter en rond. demandez à Sitting Bull comment ça discutait dans sa tente?....Véronique
Commentaire n°7 posté par veronique cotet chastelier le 11/05/2010 à 23h23
Ce béret (ou son jumeau), je l'ai porté (pas longtemps) - mais je n'ai jamais croisé le Che !
Réponse de PhA le 12/05/2010 à 18h19
Je repense au verbe tirlipoter, qui apparut dans l'émisssion "Le Schmilblick" avec Guy Lux et dont Coluche fit une impayable parodie.
A l'armée, je n'ai pas entendu, en revanche d'Algérie française, un seul mot avec la racine "psycho" (seul "moteur" pouvait s'en rapprocher...).
Quant aux chansons en marchant : "France, ô ma France très granannnnnnnnnnnnnde...", c'était entraînant, y'a pas à dire !
Commentaire n°8 posté par Dominique Hasselmann le 12/05/2010 à 07h04
Et tu as vu la mienne ? Elle était croquignole, non ?
Réponse de PhA le 12/05/2010 à 18h17
PhA, te souviens-tu du verbe "lanceloter" apparu sur le blog de tor-ups ?
Commentaire n°9 posté par tor-ups le 13/05/2010 à 09h56
Mince, je ne le retrouve plus ! Il était où ? (Il était beau !)
Réponse de PhA le 13/05/2010 à 15h56
Commentaire n°10 posté par tor-ups le 13/05/2010 à 19h59
Où l'on voit en direct, en l'espace de quelques heures, toute l'histoire d'un mot, depuis son origine, les différentes acceptions qu'il assume successivement et même sa réinterprétation étymologique - puisque le Lancelot sous-jacent n'est pas celui auquel le plus souvent les usagers songent.
Ce blog, décidément, c'était tout l'univers dans une boule à neige !
Réponse de PhA le 13/05/2010 à 20h51
Oui - et au pays de torups, Sisyphe fait son bonhomme de neige et s'appelle Depluloin.
Commentaire n°11 posté par tor-ups le 14/05/2010 à 09h02

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