Une chiffe
Je
n’interviens jamais dans une bagarre, surtout si c’est ma gueule qu’on
défenestre. Je me borne à essuyer les
coups, comme d’autres à relater les faits. Je n’ai pas l’esprit de
compétition, si vous voulez savoir, et j’aime garder mon quant-à-soi :
sous ce rapport, je peux me targuer de n’avoir
jamais baissé ma garde. Bien sûr, il m’arrive de mettre discrètement
la clé sous la porte, à l’occasion, quand l’avalanche est par trop
rude ; mais fuir, je veux dire, physiquement, ça –
jamais ! Je ne braverai pas, à la première incartade, la plus
élémentaire des politesses. J’admets volontiers qu’on puisse avoir à
mon encontre quelque grief, quelque rancœur, quelque motif
de vengeance, – à défaut, je veux bien jouer l’agent de service.
Certes, j’ai pris de fouet bien des grêlons, à saboter ainsi la hargne
réciproque, à tendre les deux joues pour le prix d’une, au
nez et à la barbe d’un quidam qui beugnait. J’ai dans ma main
quelque peu moite la collection quasi-complète de mes dents ; j’aime les
faire rouler dans ma paume, comme des osselets, tandis
qu’un bougre me besogne.
C’est
là ma gymnastique et c’est là mon refuge. Ce petit geste ressassé
réveille en moi de doux souvenirs
d’enfance, d’amour, de pluie – des souvenirs de paix, imperméables
aux trempes… Ces souvenirs-là, pensé-je devant ma glace, ne sauraient
prendre une ride, quand aujourd’hui ma tête n’est plus
qu’un vieux chiffon, tout juste bonne à essuyer les coups, à éponger
la crasse du monde.
Julien Grandjean, les grandes manœuvres, L’Arbre vengeur 2010, p. 66-67.
Et il y en a toute une brochette comme ça, de longueur variée, dans
ce deuxième livre de Julien Grandjean – « un jeune auteur vivant »
(c’est comme ça que me l’a présenté son éditeur
quand je faisais mes courses au Salon du Livre).
Il aime les coups, non ?
Balma ? Je serais venu bien volontiers (même si ça n'aurait pas été très raisonnable).
Merci.
Commentaire n°4 posté par Depluloin le 07/05/2010 à 18h50
Un beau texte, en effet.
Quel plaisir, ce blog!
Commentaire n°6 posté par Depluloin le 08/05/2010 à 01h36
(Dans la même veine j'avais songé à Oui-oui sauve le monde.)