Noir et blanc
La guerre est finie. Tous veulent y croire et font tout pour y croire. Et reprennent lentement le chemin des
habitudes anciennes.
Sanja
est invitée demain soir à une réception. Elle veut y paraître belle.
Aussi décide-t-elle d’aller s’acheter
une nouvelle robe. Elle pense à une robe blanche, avec peut-être un
motif discret. Elle ne s’est plus habillée de blanc depuis si longtemps.
Sanja
entre dans un magasin, essaye les robes blanches, se regarde dans les
miroirs, retrouve les attitudes, les
gestes. Mais soudain elle bafouille, bredouille, hache les mots et
demande à essayer une robe noire. Peut-être, souffle-t-elle, avec un
discret motif blanc. Elle ressort avec une robe noire avec
un léger moucheté blanc.
Le lendemain, à la réception, toutes ses amies, lumineuses dans leurs teintes claires, s’étonnent de cette
nouvelle robe.
Elle
boite encore dans les phrases, entre les mots, elle hache les mots Les
taches – les – taches – de – sang – se
voient – moins – moins – sur une – robe – noire. Elle veut clouer
une planche devant sa bouche. Ses amies forment un rempart clair entre
elle et la réception. Elles disent, avec un petit rire
qu’elles veulent réconfortant, Viens Sanja, nous allons te guider,
te montrer le chemin, il est normal que tu boites encore un peu.
Marie Frering, L’ombre des
montagnes, Quidam, 2010, p. 79-80.
C’est à Sarajevo, pendant la guerre, et après, comme ici.
Déjà le premier livre de Marie Frering était comme une promesse.
Je (re)lisais encore votre livre "Liquide "ce matin, le noeud persiste ...Belle écriture et émotion forte qui ne laisse personne indifférent (je tenais à vous le dire ).
(Merci. Sous mes airs de brave je suis un grand sentimental.)
(http://pagesperso-orange.fr/calounet/resumes_livres/rudan_resume/rudan_rage.htm)