Bleu éperdument est un
recueil de nouvelles signé Kate Braverman et édité par Quidam qui avait déjà
publié Lithium pour Médée il y a quelques années, de la même Kate
Braverman que pour ma part je découvre seulement maintenant. Bleu éperdument
est aussi la première nouvelle qui donne son titre au recueil et annonce la
couleur, ou les couleurs car tout n’est pas bleu, non, mais tout est
éperdu : un état de la couleur au-delà de la couleur qu’on peine à
regarder tant tout dans ce livre est sensible. A fleur de peau fine comme
pellicule sensible. Les femmes de Bleu éperdument finissent parfois par
s’appeler Laurel Sloane, Suzanne Cooper ou Diana Barrington mais la plupart du
temps elles peinent à s’incarner simplement dans un nom même quand – et c’est
le cas le plus fréquent – elles ne sont pas la narratrice, parce qu’elles sont au
bord de. Le gouffre que dessine Kate Braverman juste aux pieds de ses
héroïnes peut prendre le nom de l’alcool ou de la drogue ou de celui – le
gouffre – qui fait plus que séparer les générations et ne peut se résoudre que
par la mort de l’autre, cette mère que l’on vit comme un fardeau, cette
poétesse sans lecteurs qui fait honte à sa fille qui aimerait tant être comme
les autres filles de Beverly Hills ; ou bien par la mort de l’autre, ce
bébé que personne n’avait souhaité et qui n’a pas de nom, dont on ne saura pas
même le sexe et qui pourrait si facilement disparaître dans la rivière dans un
vertige d’inadvertance. En plus d’un recueil de nouvelles c’est donc une série
de variations autour d’elle, et de L.A. aussi en guise de décor, avec plus ou
moins d’espoir, ou plutôt avec plus ou moins pas d’espoir, mais bleues quand
même, ces variations, d’ailleurs l’une d’elles s’intitule Blues d’hiver,
qui n’est pas celle dont je ne résiste pas à vous citer un passage, juste pour
vous donner une idée de l’abîme.
— Tu es ravissante, dit Lenny. Tu
savais que je viendrais. C’est pour ça que tu t’es peinturluré la figure.
T’avais pas mis toute cette daube, hier. Arrête ça, tu veux. Ça sert à rien. Ces
pouffiasses de Beverly Hills en ont peut-être besoin. Mais pas toi. T’es prof.
Ça me plaît. Assieds-toi.
Il souleva les roses.
— Assieds-toi à côté de moi. T’es
contente de me voir ?
— Je ne crois pas.
Elle s’assit. Lenny lui tendit
les roses. Elle les posa au sol.
— Mais si, t’es contente de me
voir. T’espérais que je me pointerais. Et hop, j’suis là. Tu veux que je te
traque ? Je te traquerai. Puis je t’attraperai. Je t’apprendrai ce que c’est
que perdre pied.
Kate Braverman, Bleu
éperdument, « Tu veux que j’te raconte le Mékong ? », traduit par Morgane Saysana, Quidam
éditeur, 2015, p. 48.
Et l’avis de Claro, tiens.
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