samedi 3 janvier 2015

De retour d’Œsthrénie



Je me suis fait plus rare parce que j’écrivais (ce n’est pas fini). Et le temps que je n’ai pas passé à écrire, je l’ai passé en Œsthrénie. L’Œsthrénie est un pays qui, miné de l’intérieur et attaqué de toutes parts, depuis des siècles n’en finit pas de disparaître, au point que j’avais complètement oublié son existence, ses coutumes, ses dialectes, ses pratiques religieuses, son Histoire et sa géographie. Et vous aussi sans doute, vous souvenez-vous de l’Œsthrénie ? La voix d’Aszhen Zelenka, la fille de leur baron, m’est d’abord arrivée du fond de l’Europe Centrale et du XIXe siècle avant que cette jeune fille ne devienne mère et rebelle et légende à son tour, évoquée à l’aube d’une guerre nouvelle, ou bien toujours la même, même si nous autres plus à l’ouest serions tentés de l’appeler seconde et mondiale, évoquée dans la voix de ses descendants Akhmat puis Lucian, qui à leur tour… Car il n’y a pas d’espoir possible en Œsthrénie, ou peut-être seulement dans la disparition du pays, l’oubli de ses montagnes, ses Hauts plutôt où volent les aizes, ces rapaces dont j’avais aussi oublié l’existence. C’est Anne-Sylvie Salzman, prenant la suite de Finlay, historique historien venu d’ailleurs, qui nous fait revivre ainsi l’Œsthrénie, nous livres ses dernières nouvelles dont le titre, une fois le livre refermé, est plein d’une ironie noire.

« Ainsi vîmes-nous bientôt, debout sur l’échafaud, les chefs de la révolte des Hauts, Stinae tremblant, Musch impassible (comme il était petit, mince et joli de visage, on le croyait travesti) et Rostinec tombé sur le chemin, le front saignant. Les Autrichiens lui donnèrent un mouchoir dont il se tamponnait le visage. Il y en avait deux autres dont je ne sais plus les noms, et le cousin de Nies, Matec. La foule empêchait les chevaux d’avancer et nous vîmes pendre les hommes, Finlay et moi. Ma mère pleurait dans les bras de Seban et le baron s’était couvert les yeux. Il est vrai que Rostinec ne trembla pas. Son front continuait à saigner et sa chemise était tachée. Il y avait des oiseaux gris sur les toits des maisons de la place.
– Des aizes, dit Finlay. »

Anne-Sylvie Salzman, Dernières nouvelles d’Œsthrénie, Dystopia, 2014, p. 90.

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