Je me demande ce qui
m'empêche de vous parler de mon prochain roman, celui qui va
paraître en février. Je pourrais pourtant en faire lire un extrait,
ce serait quand même plus intéressant que ce qui suit, issu d'un
projet qui ne verra jamais le jour.
Plutôt que d’aller rendre son ultime visite à Rayna Popoff, j’ai
préféré l’inviter à la maison. Mais au moment où je prenais
cette décision, les gestionnaires de ce monde m’ont avisé de son
décès. Pourtant, dans les secondes qui ont suivi, Rayna m’a
répondu que ça ne lui posait pas de problème et qu’elle arrivait
tout de suite.
Je suis sorti de la maison pour voir si en effet elle arrivait. Elle
était déjà là, sur le trottoir d’en face, qui tournait le dos à
la maison, sans bouger. Je me suis approché mais il m’était
impossible de lui parler. C’était comme si elle n’était pas là.
Je la voyais mais je me voyais aussi et je voyais bien que je ne la
voyais pas. C’est ça : je la voyais et je ne la voyais pas.
Celui de moi-même qui n’était pas vraiment dans ce monde la
voyait, celui qui y était vraiment ne la voyait pas.
Je l’ai photographiée, deux fois parce que sur la première photo
il y avait mon doigt sur l’objectif. C’était une jolie vieille
dame. Je me suis dit que ces photos d’elle feraient un souvenir.
Sur les deux photos elle est de profil. Sur la première photo le
sujet officiel est « voiture » parce qu’on aperçoit
une voiture qui roule sur la route. Sur la deuxième photo, où on la
voit bien, le sujet est « rien ».
Et puis je suis devenu grand-père encore une fois, je ne sais pas
par qui. Peut-être était-ce Tasha, l’arrière-petite-fille de
Rayna, qui venait seulement d’accoucher.
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