On pourrait être tenté de croire
que pour dire le monde il suffirait de le regarder, les yeux ouverts,
écarquillés même pour plus de clairvoyance, en pleine lumière. L’esprit lucide.
Mais on sait bien qu’on ne voit que la surface du monde. L’évidence cacherait
l’essentiel s’il y en avait un – on n’en sait rien. Alors autant fermer les
yeux. On le voit quand même, le monde, on s’y voit aussi, même. Et ce qu’on y
voit, c’est autre chose. Ou bien la même chose, mais autrement. En perpétuelle
découverte :
TCHERNOBYL
Nous (qui ? je ne le sais
pas encore) sommes dans une maison crépie sans étage située en périphérie, à l’écart
du surplomb de ce qui doit être une ville du Sud de la France (à moins que ce
ne soit la Crimée) – paysage de basses montagnes rocailleuses à la végétation
rare tout autour de cette villa et, de l’autre côté de la route (il y a à présent
une route), une centrale nucléaire (il fait très chaud) d’un genre spécial
puisqu’elle fonctionne au gaz – nous, c’est moi et ma femme – flamboyante,
neuve, avec des gazoducs et des cuves de stockage de chrome – nous venons
certainement d’emménager après avoir quitté le Nord, ses mers de briques et ses
terrils en guise de montagnes Sainte-Victoire.
p.35
Chicago aussi est dans les
Ardennes et Rome outre-Atlantique. Une descente du narrateur en pirogue parmi
les îles sénégalaises du Saloum vers un secret que doit lui montrer l’imam ami
perdu de vue depuis tant d’années est en même temps l’évocation des avions
percutant les tours du World Trade Center :
Cheik s’est remis à pagayer –
plus un son sinon celui de sa rame qui remue l’onde – derrière nous le feu ne
luit plus – les enfant se sont tus – Cheik navigue à l’instinct sous un ciel
étoilé – je sens les cendres provenant des tours en feu continuer de tomber –
elles se mélangent à l’humidité qui nous ruisselle sur la peau et forme avec
elle une pâte épaisse à l’odeur de poisson laissé à pourrir – d’un doigt je me
dessine à l’aveugle des ronds creux sur les bras et le torse
p. 76
Se dessiner à l’aveugle des
signes sur le corps c’est peut-être aussi tout simplement ce que fait G. Mar dans
ce livre qui vient tout juste de paraître et dont on ne s’étonnera qu’il vienne
côtoyer Quoi faire de Pablo Katchadjian dans la nouvelle et très
onirique collection POC ! des belles éditions Le Grand Os.
Romain Verger aussi a lu Nocturama
– Textes-Rêves & Hypnagogies (le sous-titre est un programme),
faites un détour par sa Membrane.
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