mardi 9 décembre 2014

Nocturama de G. Mar



On pourrait être tenté de croire que pour dire le monde il suffirait de le regarder, les yeux ouverts, écarquillés même pour plus de clairvoyance, en pleine lumière. L’esprit lucide. Mais on sait bien qu’on ne voit que la surface du monde. L’évidence cacherait l’essentiel s’il y en avait un – on n’en sait rien. Alors autant fermer les yeux. On le voit quand même, le monde, on s’y voit aussi, même. Et ce qu’on y voit, c’est autre chose. Ou bien la même chose, mais autrement. En perpétuelle découverte :

TCHERNOBYL

Nous (qui ? je ne le sais pas encore) sommes dans une maison crépie sans étage située en périphérie, à l’écart du surplomb de ce qui doit être une ville du Sud de la France (à moins que ce ne soit la Crimée) – paysage de basses montagnes rocailleuses à la végétation rare tout autour de cette villa et, de l’autre côté de la route (il y a à présent une route), une centrale nucléaire (il fait très chaud) d’un genre spécial puisqu’elle fonctionne au gaz – nous, c’est moi et ma femme – flamboyante, neuve, avec des gazoducs et des cuves de stockage de chrome – nous venons certainement d’emménager après avoir quitté le Nord, ses mers de briques et ses terrils en guise de montagnes Sainte-Victoire.

p.35

Chicago aussi est dans les Ardennes et Rome outre-Atlantique. Une descente du narrateur en pirogue parmi les îles sénégalaises du Saloum vers un secret que doit lui montrer l’imam ami perdu de vue depuis tant d’années est en même temps l’évocation des avions percutant les tours du World Trade Center :

Cheik s’est remis à pagayer – plus un son sinon celui de sa rame qui remue l’onde – derrière nous le feu ne luit plus – les enfant se sont tus – Cheik navigue à l’instinct sous un ciel étoilé – je sens les cendres provenant des tours en feu continuer de tomber – elles se mélangent à l’humidité qui nous ruisselle sur la peau et forme avec elle une pâte épaisse à l’odeur de poisson laissé à pourrir – d’un doigt je me dessine à l’aveugle des ronds creux sur les bras et le torse

p. 76

Se dessiner à l’aveugle des signes sur le corps c’est peut-être aussi tout simplement ce que fait G. Mar dans ce livre qui vient tout juste de paraître et dont on ne s’étonnera qu’il vienne côtoyer Quoi faire de Pablo Katchadjian dans la nouvelle et très onirique collection POC ! des belles éditions Le Grand Os.
Romain Verger aussi a lu NocturamaTextes-Rêves & Hypnagogies (le sous-titre est un programme), faites un détour par sa Membrane.


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