Et
voici donc à présent sa première vraie carte. Elle est encore tenue
horizontalement mais l’écriture d’Edmond, au crayon à papier, y occupe tout
l’espace. Je la retourne et constate que l’Offiziergefangenenlager n’est pas
encore Reisen in Posen mais, en lettres majuscules, MAINZ. Mayence, donc. On
est bien loin encore de la Pologne.
Le 29 mai 1916. Mes bien chers parents. La ligne, horizontale, est longue. Il y a la place pour
« bien ». Edmond espace même les mots.
Je puis enfin aujourd’hui vous
donner de mes nouvelles. Vous pouvez vous rassurer sur mon sort. J’ai échappé à
la fournaise et je suis encore en excellente santé. « Fournaise », c’est la première fois que je vois ce
mot sous la plume d’Edmond. C’est vrai aussi que je n’ai pas pris les cartes
dans l’ordre. Je sais très peu de choses de mon grand-père. Avant de lire ces
cartes, de la guerre, je savais qu’il avait été prisonnier en Allemagne après
que la tranchée où il se trouvait avait été passée au lance-flamme. Est-ce
comme ça qu’on dit ? Ils seraient deux à avoir survécu et à avoir été
faits prisonniers. L’autre soldat n’étant pas officier s’est forcément retrouvé
ailleurs. J’ai bien pensé à vous tous ces jours-ci. Dans quelle
inquiétude vous avez dû vivre ! Inquiétude
inversée. Je suis prisonnier avec mon commandant, cinq autres
officiers du bataillon, les 2 majors et l’aumônier. Gillet est également prisonnier
mais il n’est pas avec nous, car les soldats ont été dirigés sur un autre camp.
Gillet. C’est sans doute le soldat
de la tranchée brûlée. Je me souviens que plus tard dans sa correspondance ce
nom de Gillet reviendra. Une madame Gillet, et une Lolotte Gillet. En même
temps, c’est un nom courant. Je ne sais pas ce qu’est devenu
Beauguez (si je lis bien).
Depuis que je suis prisonnier, j’ai passé (je
n’arrive pas à lire si c’est « six » ou « dix », c’est
raturé) jours à Stencey (ça
ne doit pas être ça, ça ne fait pas très allemand) et nous sommes
maintenant à Mayence dans la citadelle. Aussitôt
dans mon esprit les tours de la Grande Illusion, je crois que c’est le Château
du Haut-Kœnigsbourg qui a servi au tournage. Nous sommes en
quarantaine pour cinq ou six jours. Nous avons pris un bain et nos effets sont
désinfectés. Nous sommes bien traités. Les officiers allemands sont très
corrects avec nous. La nourriture n’est pas trop mauvaise ici. Un « ici » prémonitoire ?
Mais ce qui manque surtout, c’est le pain. Nous avons le droit d’écrire 6 fois
par mois. Voilà. Ça correspond à la
régularité des cartes d’Edmond. 2 lettres et 4 cartes. Il y a en effet des lettres à côté des
cartes d’Edmond, mais comme elles sont à part j’ai commencé par les cartes.
Nous pouvons recevoir tous les colis que nous voulons. Comme adresse vous
n’avez qu’à copier ce qui est dans le cadre de l’autre côté de la carte. Dans
le prochain colis mettez-moi C’est
écrit de plus en plus serré, je n’arrive pas à lire sauf le derniers
mots : mouchoirs. Nous avons pu nous procurer quelques objets
de première nécessité. J’avais sur moi un peu d’argent. Pour l’instant je crois
que j’en aurai assez. Les officiers qui J’ai
beau me mettre en plein sous la lampe, je n’arrive pas à lire, c’est écrit de plus
en plus serré. Il y a une bibliothèque. On pourra tout de même vivre
en attendant la victoire. Il y a
une bibliothèque. On pourra tout de même vivre en attendant la victoire.
Je vous embrasse bien bien fort et de tout mon cœur ainsi que toute la famille.
Votre fils qui vous aime de tout son cœur. E (et
le reste de la signature est vraiment illisible).
oui, des bibliothèques (ici dans un camp de prisonniers français en Allemagne)
RépondreSupprimerhttp://louisevs.blog.lemonde.fr/2011/11/14/lextraordinaire-voyage-dun-livre-memorial-de-novembre-epilogue/
Belle réflexion avec l'Iliade en point d'orgue.
SupprimerJe me souviens dans la Grande Illusion du prisonnier lecteur de Pindare.