L’autre jour j’étais en voiture
et je me disais que j’avais de la chance. « Je », je veux dire celui
qui en moi écrit ; j’ai sans doute de la chance ailleurs aussi mais c’est
un autre sujet. Et puis je tombe sur une interview de Volodine (c’est dans
Livre-Hebdo mais il faut être abonné ; je ne sais pas d’ailleurs comment
j’y ai eu accès, là je ne peux plus) dont le titre est parlant : « Le
commerce actuel du livre est une manière de transformer la censure » ;
ainsi d’ailleurs que le chapeau : « Pour le prix Médicis 2014, la pression exercée par le marché du livre sur
les écrivains les incite à s’autocensurer. » Et c’est pour
ça que j’ai de la chance – en fait. Entendons-nous. Je suis entré non pas dans
l’écriture mais disons dans la littérature officielle par, allez, une grande
porte : éditions du Seuil, rentrée littéraire et tout le toutim ; et
avec un texte que j’aime toujours mais qui avait été écrit très consciemment pour
qu’il soit publié. C’est d’ailleurs pour ça qu’il a été publié aussi
facilement. J’avais parfaitement conscience qu’à côté des qualités qui font que
je l’aime toujours, il avait aussi un peu celles d’un produit assez facilement
commercialisable. Ce livre était aussi une manière de franchir le Rubicon. Après quoi, me
disais-je, je pourrais écrire ce que je veux – c’est-à-dire à chaque fois autre
chose, à chaque fois un premier livre, non pas seulement mon premier livre,
mais le premier livre, comme si tout restait à faire, carrément, comme si on
pouvait tout remettre en jeu. Les choses n’ont pas marché comme je l’imaginais,
proposer autre chose est un risque (de perdre des lecteurs, disons-le)
que toutes les maisons d’édition ne sont pas prêtes à prendre – il faut dire aussi
que je n’en avais déjà pas tant. Mais là où j’ai de la chance, c’est que
désormais libéré des contraintes qui pèsent sur un auteur dont on attend que
chaque titre se vende à plusieurs milliers d’exemplaires et qui vont
nécessairement, comme le dit Volodine, influer sur son travail, l’inciter à
renoncer à tel projet trop risqué qui pourtant le tenterait bien, je peux me
permettre de proposer à des éditeurs courageux (ou fous, ou ivres, ou de bon goût,
c’est selon) ce qui me tient à cœur, ce qui me fait envie de lire (car c’est
cette envie aussi qui me fait écrire : être le premier lecteur d’un texte
qui s’écrit sous mes yeux et dont l’écriture même est ma propre aventure) sans
me soucier d’impératifs commerciaux. C’est ce que je me disais en voiture
l’autre jour : honnêtement, si le Seuil avait accepté (en plus c’est passé
à un cheveu, à ce qu’il paraît) de publier Par temps clair (mon vrai
deuxième livre publié plus tard dans des circonstances défavorables hors sujet
dans ce billet), je n’aurais sans doute jamais écrit Chroniques et la
plupart des livres qui ont suivi. En tout cas pas sous cette forme. Et c’est
particulièrement vrai de Vie des hauts plateaux, et aussi de mes deux
prochains livres, dont il est encore trop tôt pour parler. Et quand j’y pense,
je trouve que ça aurait été dommage.
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