Ils
identifient une voix familière, qui exprime des pensées ou des morceaux
de pensées qui ne les choquent pas, des pensées avec
lesquelles ils se sentent spontanément d’accord, ou encore cette
voix débite des mensonges ou des fragments de mensonges qui les
arrangent. Et ils en déduisent qu’ils sont en train de parler, il
y a de l’agitation au niveau de leur bouche et ils en déduisent que,
probablement, ils sont en train de parler. Ils reconnaissent une voix
qui semble correspondre à ce qu’ils ont toujours imaginé
être la leur, et ils font le pas, ils surmontent leur hésitation et
ils décident que c’est bien leur voix qu’ils entendent, leur voix qui
soupire des banalités ou des mensonges au cœur de
l’obscurité, au cœur de l’épaisse obscurité. Il arrive cependant que
le doute s’insinue en eux. Cette situation se produit en particulier
quand la voix qu’ils voudraient revendiquer pour
eux-mêmes sonne quelque part dans leur crâne alors qu’ils ont la
bouche fermée et alors que tout indique qu’ils sont silencieux, endormis
ou morts.
Antoine Volodine, Ecrivains, « La théorie de l’image selon Maria
Trois-Cent-Treize », p. 137 à 138, Seuil, Fiction & Cie, 2010.
Je pourrais dire que j’ai souvent pensé à l’Innommable avec Maria Trois-Cent-Treize et les autres
« écrivains », les autres Ecrivains plutôt. Ça ne veut pas dire grand-chose mais je le dis quand même pour donner la mesure de l’effet produit sur le lecteur.
Commentaires
Effet instantané garanti. (Je sens des picotements du côté de l'hémisphère gauche, et j'entends les doux couinements du potamochère.)
Commentaire n°1
posté par
Gilbert Pinna
le 25/09/2010 à 09h22
Etes-vous sûr, Gilbert, de reconnaître votre voix ?
Réponse de
PhA
le 25/09/2010 à 10h52
La dernière phrase de ce texte sonne furieusement dans mon crâne.
C'est tellement ça la révolte intérieure... la révolution silencieuse...
Commentaire n°2
posté par
Ambre
le 25/09/2010 à 12h01
Cette Marie Trois-Cent-Treize devrait tellement vous toucher, Ambre, que je n'ose même vous en recommander la lecture.
Réponse de
PhA
le 25/09/2010 à 12h29
Je ne suis pas sûre de comprendre. Est-ce à dire que nous sommes parlés par d'autres ? On nous donne de la voix ?
Commentaire n°3
posté par
Zoë
le 25/09/2010 à 16h19
Personnellement (et du coup cet adverbe ne veut plus rien dire -
sinon que bien sûr je ne parle pas à la place de Volodine), je nous vois
encore comme des organes à deux orifices, une entrée une
sortie pour faire court ; on crache d'un côté ce qu'on a ingurgité
de l'autre en espérant qu'il s'est passé quelque chose entre les deux
pour que ce ne soit pas exactement la même chose.
Réponse de
PhA
le 25/09/2010 à 16h36
Ces deux orifices (essentiels nous sommes d'accord) sont détournés
de leur premier office pour bien d'autres choses... Ne peint-on pas avec
la bouche ? Et le pétomane ne prétend-t-il pas à une
forme d'art ?
Commentaire n°4
posté par
Zoë
le 25/09/2010 à 18h08
La voix de Beckett rôde, en effet.
Commentaire n°5
posté par
albin
le 25/09/2010 à 21h13
"Croient-ils que je crois que c'est moi qui parle ? ça c'est d'eux aussi." (L'Innommable)
Réponse de
PhA
le 25/09/2010 à 21h41