vendredi 24 septembre 2010

la notion d’auteur et les fausses valeurs qui lui sont associées

Dès lors, Bogdan Tarassiev n’a plus d’éditeur, et d’ailleurs il ne travaille plus sur des ouvrages de grande dimension. Il souffre physiquement, sa respiration, en raison d’une inflammation qui se propage sous le sternum, est de plus en plus difficile, ses articulations sont douloureuses, transformant l’activité quotidienne en martyre. Il publie encore quatre récits dans des revues, mettant en scène des personnages nommés Wlaff, Wolff et Wulwo. Il s’agit de nouvelles fantastiques, surréalisantes, et toujours en rupture totale avec le goût, les styles, les marottes à la mode, les repères idéologiques de la littérature officielle. Sans se répandre ici en appréciations pompeuses, on peut considérer que ce sont des textes magnifiques.
L’une de ces nouvelles, intitulée Opus 24, présente un écrivain, Jacob Wulwo, qui possède plus d’un trait commun avec Tarassiev, bien que son destin et ses méthodes de travail soient différents. Jacob Wulwo fait partie d’une petite organisation armée qui assassine avec talent des mafieux internationaux, des maquereaux, des dirigeants politiques et des fabricants de mines anti-personnel. En parallèle avec cette louable activité de justicier, il écrit des romans minimalistes dont les personnages agissent de façon stéréotypée, sans se différencier les uns des autres, s’habillent de la même manière, ont les mêmes motivations, le même statut social misérable, disent les mêmes choses, professent les mêmes croyances, etc. D’un roman à l’autre, Jacob Wulwo raconte la même anecdote – une histoire d’amour sordide –, sans se donner le souci de l’agrémenter avec des variantes.
« Je pense qu’on a là », commente Bogdan Tarassiev dans un prière d’insérer, « un procédé littéraire destiné à poser le problème des limites de l’inventivité dans les œuvres de fiction, mais c’est aussi l’indicateur d’un mépris actif envers l’écriture même, une espèce d’auto-mutilation visant à ridiculiser et à dégrader la notion de livre, la notion d’auteur et les fausses valeurs qui lui sont associées ; il faut prendre cela comme une manifestation d’hostilité dans laquelle à parts égales se mêlent le dégoût de l’écriture et la haine du monde éditorial officiel. »
 
Antoine Volodine, Ecrivains, « La stratégie du silence dans l’œuvre de Bogdan Tarassiev », p. 111 à 113, Seuil, Fiction & Cie, 2010.
 
(De qui donc mon OCR est-il à la botte ? La fantaisie lui a pris de traduire « minimalistes » par maximalistes. Sans blague. Heureusement que je le surveille.)
(Je retourne à ma lecture.) 


Commentaires

Passionnante cette lecture. M'intéresse...
Sinon, en aparté, ici on découpe un "hublot" ce matin;o)!
Commentaire n°1 posté par Ambre le 24/09/2010 à 11h47
C'est formidable, encore une fois ; j'en suis tout déprimé.
(Moi aussi j'ai vu le cambrioleur. Mais que fait la police ?)
Réponse de PhA le 24/09/2010 à 18h21
Pour ma part, j'ai un doute sur cette stratégie - si je l'ai bien comprise. (La différence de traduction!!!)
 
Commentaire n°2 posté par Depluloin le 24/09/2010 à 13h16
Qu'est-ce que vous d

Réponse de PhA le 24/09/2010 à 18h23
Un jour, le 3 mars 2012, la fiction fit défection : elle venait d'être formellement interdite par le Ministère de la Culture officielle et clandestine aussi (MDLCOECA).
La collection Fiction & Cie alla illico rejoindre les monceaux de livres qui s'entassaient déjà quotidiennement dans les bennes vertes du Centre national du pilon (CNDP).
En plus, Volodine, ce n'était pas un nom fraais.
Commentaire n°3 posté par Dominique Hasselmann le 24/09/2010 à 19h47

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