Dès
lors, Bogdan Tarassiev n’a plus d’éditeur, et d’ailleurs il ne
travaille plus sur des ouvrages de grande dimension. Il souffre
physiquement, sa respiration, en raison d’une inflammation
qui se propage sous le sternum, est de plus en plus difficile, ses
articulations sont douloureuses, transformant l’activité quotidienne en
martyre. Il publie encore quatre récits dans des revues,
mettant en scène des personnages nommés Wlaff, Wolff et Wulwo. Il
s’agit de nouvelles fantastiques, surréalisantes, et toujours en rupture
totale avec le goût, les styles, les marottes à la mode,
les repères idéologiques de la littérature officielle. Sans se
répandre ici en appréciations pompeuses, on peut considérer que ce sont
des textes magnifiques.
L’une de ces nouvelles, intitulée Opus 24,
présente un écrivain, Jacob Wulwo, qui possède plus d’un trait commun
avec
Tarassiev, bien que son destin et ses méthodes de travail soient
différents. Jacob Wulwo fait partie d’une petite organisation armée qui
assassine avec talent des mafieux internationaux, des
maquereaux, des dirigeants politiques et des fabricants de mines
anti-personnel. En parallèle avec cette louable activité de justicier,
il écrit des romans minimalistes dont les personnages
agissent de façon stéréotypée, sans se différencier les uns des
autres, s’habillent de la même manière, ont les mêmes motivations, le
même statut social misérable, disent les mêmes choses,
professent les mêmes croyances, etc. D’un roman à l’autre, Jacob
Wulwo raconte la même anecdote – une histoire d’amour sordide –, sans se
donner le souci de l’agrémenter avec des
variantes.
« Je
pense qu’on a là », commente Bogdan Tarassiev dans un prière d’insérer,
« un procédé littéraire destiné à
poser le problème des limites de l’inventivité dans les œuvres de
fiction, mais c’est aussi l’indicateur d’un mépris actif envers
l’écriture même, une espèce d’auto-mutilation visant à
ridiculiser et à dégrader la notion de livre, la notion d’auteur et
les fausses valeurs qui lui sont associées ; il faut prendre cela comme
une manifestation d’hostilité dans laquelle à
parts égales se mêlent le dégoût de l’écriture et la haine du monde
éditorial officiel. »
Antoine Volodine, Ecrivains, « La stratégie du silence dans l’œuvre de Bogdan
Tarassiev », p. 111 à 113, Seuil, Fiction & Cie, 2010.
(De qui donc mon OCR est-il à la botte ? La fantaisie lui a pris de traduire « minimalistes » par maximalistes. Sans blague. Heureusement que je le surveille.)
(Je retourne à ma lecture.)
Commentaires
Passionnante cette lecture. M'intéresse...
Sinon, en aparté, ici on découpe un "hublot" ce matin;o)!
Sinon, en aparté, ici on découpe un "hublot" ce matin;o)!
Commentaire n°1
posté par
Ambre
le 24/09/2010 à 11h47
C'est formidable, encore une fois ; j'en suis tout déprimé.
(Moi aussi j'ai vu le cambrioleur. Mais que fait la police ?)
(Moi aussi j'ai vu le cambrioleur. Mais que fait la police ?)
Réponse de
PhA
le 24/09/2010 à 18h21
Pour ma part, j'ai un doute sur cette stratégie - si je l'ai bien comprise. (La différence de traduction!!!)
Réponse de
PhA
le 24/09/2010 à 18h23
Un jour, le 3 mars 2012, la fiction fit défection : elle venait d'être formellement interdite par le Ministère de la Culture officielle et
clandestine aussi (MDLCOECA).
La collection Fiction & Cie alla illico rejoindre les monceaux de livres qui s'entassaient déjà quotidiennement dans les bennes vertes du Centre national du pilon (CNDP).
En plus, Volodine, ce n'était pas un nom français.
La collection Fiction & Cie alla illico rejoindre les monceaux de livres qui s'entassaient déjà quotidiennement dans les bennes vertes du Centre national du pilon (CNDP).
En plus, Volodine, ce n'était pas un nom français.
Commentaire n°3
posté par
Dominique Hasselmann
le 24/09/2010 à 19h47
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