lundi 5 janvier 2009

Seul à voir (la guerre me rajeunit)

La guerre me rajeunit. Du moins celle-ci, dans un tel paysage : petites montagnes pelées et rocailleuses enneigées çà et là sous le ciel bleu.
Seul, je dois gagner un point précis, au-delà de quelques sommets. Il n’y a rien là-dedans qui me rebute. Au contraire, je suis débordant de motivation, d’enthousiasme juvénile. Probablement, je fais du zèle : regardez-moi donc ! Me voici en pleine ascension de l’un de ces sommets intermédiaires, que sans doute j’aurais pu me contenter de contourner. L’escalade se révèle d’ailleurs plus périlleuse qu’elle ne le semblait : les quelques derniers mètres sont presque à-pic et recouverts d’une neige abondante où mes membres s’enfoncent jusqu’à y disparaître. Mais vous me connaissez : je ne suis pas prêt à m’arrêter pour si peu !
C’est plus tard sans doute que je parviens tout de même au point de ralliement, sur une autre hauteur. Deux ou trois camarades d’ailleurs sont là, terminant l’installation de toutes petites choses sombres disposées en cercle à même le sol, qui constitueront notre habitat provisoire et rudimentaire. Ils me demandent ce que j’ai vu de  l’explosion. Je ne suis pas au courant, je m’informe. Une bombe, paraît-il, a été lâchée dans le secteur, qui a fait des dégâts considérables. Il est étonnant que je n’aie rien vu. Sans doute cela a-t-il eu lieu tandis que j’escaladais l’autre versant de la montagne, qui me bouchait la vue. C’est une bombe d’un modèle nouveau, qui laisse tout le monde un peu perplexe. Relativement volumineuse, il semblerait qu’elle soit d’un poids négligeable : un homme seul peut facilement la porter d’une main et la lancer à une bonne distance ! J’émets l’hypothèse qu’elle a pu être lâchée par un avion, mais les autres ne sont pas d’accord.
Cependant il est temps de partir. Tout le monde est parfaitement équipé, je suis le seul à ne pas avoir de skis – d’ailleurs je ne sais pas en faire. Les autres descendent la pente abrupte l’un après l’autre, à une vitesse que je ne pourrais évidemment jamais approcher. Je descends le dernier, en glissant sur mes chaussures. Bien sûr ils sont obligés de m’attendre, mais ils doivent reconnaître que je suis allé beaucoup plus vite qu’ils ne l’auraient jamais cru – que je ne l’aurais jamais cru moi-même –, à peine moins vite qu’eux somme toute.
Plus tard encore sans doute, dans une zone ou poussent tout de même quelques arbrisseaux aux branches nues, nous devons cesser notre progression pour nous cacher : juste devant nous vient de tomber l’une de ces nouvelles bombes d’un modèle mystérieux ! J’ai eu le temps de bien la voir : elle ressemble à un inoffensif jerricane en plastique orange foncé, une espèce de gros cube aux angles arrondis, d’environ soixante-dix centimètres de côté. Elle est en tout point semblable à celle qui a déjà causé tant de dégâts, à la couleur près : l’autre était en effet d’un orange plus clair. A la façon dont elle est tombée, je devine une trajectoire parabolique qui donne raison à mes camarades : elle n’a manifestement pas été lâchée par un avion. Mais, vous vous en doutez, toutes ces remarques n’ont duré qu’une fraction de seconde. La bombe est tombée à moins de deux mètres de moi ; j’ai immédiatement bondi en arrière et fait signe aux autres d’en faire autant. C’est cependant une précaution bien dérisoire : quand je pense aux ravages occasionnés par l’autre bombe, je vois mal quel abri pourrait nous sauver. Cependant, à cause d’un probable défaut de conception, celle-ci n’explose pas.
Et me voici à force dans l’enceinte du camp ennemi, où je me suis introduit silencieusement. Je n’y vois personne et n’y entends pas un bruit. J’ai beau fouiller quelques pièces exiguës d’une ancienne construction en pierres de taille, je n’y découvre rien. Un possible excès de zèle me pousse cependant à recommencer mes fouilles et je suis tout surpris d’entendre soudain un ronflement régulier, là où tout à l’heure régnait un parfait silence. En effet il y a là un ennemi, paisiblement endormi. Son uniforme est soigneusement plié sur une chaise au pied du lit, le calot bien accroché au dossier de la chaise. L’ensemble est taillé dans un tissu bleu gris sans doute à base de laine, qui doit désagréablement piquer la peau de celui qui le porte. Je lui subtilise silencieusement ses vêtements, ainsi que son pistolet et son fusil qu’une fouille plus approfondie de la pièce me fait découvrir, et je m’éclipse sans le réveiller.

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