vendredi 9 janvier 2009

lecture à cheval sur un tandem derrière Richard Morgiève

Cheval est un nom propre assez commun. Il sonne mal cependant quand on le met au pluriel : « les Cheval », franchement, de quoi ça a l’air ! Et justement, Cheval, c’est au pluriel qu’il faut le lire ; au duel plutôt si le nombre existait en français : parce qu’ils sont deux, les Cheval, deux en un seul nom, père et fils, et ce pluriel pour le fils narrateur est une souffrance – au moins dans l’instant. Inséparables, les Cheval, pédalant à l’occasion sur le même « gentleman » – c’est comme ça qu’ils appellent leur tandem, pas fichus d’avoir deux vélos. Et même quand il est tout seul, le fils Cheval dans ses virées, à cheval sur son tandem ; même tout seul il n’est jamais seul. C’est aussi qu’ils vivent à la marge, les Cheval, à la marge de Saint-Ambert ; ça a beau s’appeler les Quatre Saisons, chez eux ; ça tombe en ruines, et à côté c’est la décharge. La saison, la bonne, elle commence en juin : c’est celle du manège, car les Cheval sont forains, de père en fils. Pour le coup, ça tomberait bien, de s’appeler Cheval ! Pas de chance, Papa a remplacé les chevaux de bois par des soucoupes volantes, pour suivre la mode ; de toutes façons, les manèges ça tourne en rond.
Au-delà de la question du nom, qui personnellement me touche (mettre ou ne pas mettre un nom sur la chose la personne et lequel, ça reste ma question) (et du prénom, tiens : déjà un qui veut ne pas s’appeler Philippe – pourtant on n’est qu’en 1960), Cheval est aussi un beau roman, émouvant. J’en oublierais facilement de dire (je ne le remarque qu’après coup, j’ai pourtant eu des cours là-dessus) que c’est un roman de formation ; l’histoire d’un jeune gars qui devient adulte – après l’avoir déjà été enfant, nuance bonne à préciser. Et tout ce que ça implique bien sûr dans le rapport au père, à la mère ignorée ; le rapport au sexe aussi ; je passe mais ça donne de beaux passages. J’oublierais presque de parler de l’écriture, au service d’une proximité avec le personnage ; grâce à la première personne, grâce au présent, et à un jeu entre parole et pensée souligné par la typographie ; sorte d’oralité plate pour les dialogues brefs très vrais comme superposés au récit, celui-là devenant par contraste pensée parlée qui s’emballe (la virgule sait disparaître juste quand il faut) ; c’est un brin lyrique même comme notre  adolescence, cet âge qui n’en est pas un – Cheval qui ne veut pas s’appeler Philippe ignore le sien. Mais pour moi qui ne suis pas trop un lecteur d’histoires racontées (sauf tout de même parfois à l’occasion si…), ce qui fait que ça marche ; c’est peut-être aussi parce qu’on sent beaucoup de plaisir dans cette voix derrière la voix (une impression comme en écoutant un chanteur de soul) ; un plaisir triste et beau qui se communique. Bon ; c’est vrai qu’on pourrait trouver qu’on reste un peu sur sa faim à la fin (ouverte, forcément), peut-être… mais somme toute, est-ce que ça n’est pas bon signe ?




Commentaires

Tiens, les Cheval sont comme vous : en remplaçant les chevaux de bois par des soucoupes volantes, ils démontrent leur attrait pour les mondes parallèles.
Commentaire n°1 posté par Christophe Borhen le 09/01/2009 à 22h44
Je note... au demeurant, tu es sacrément intéressé par les histoires de filiations il me semble, dans des mondes parallèles ou pas.
Commentaire n°2 posté par Pascale le 09/01/2009 à 23h37
@ Christophe : Ces soucoupes-là restent bien de ce monde - même si elles peinent à y survivre...
@ Pascale : Et ce n'est pas mon prochain Liquide qui te démentira...
Commentaire n°3 posté par PhA le 10/01/2009 à 11h15

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