mardi 6 janvier 2009

écrit pour s’effacer

Tu sens bien qu’il y a toutes sortes de choses, d’ailleurs, qui persistent autour de toi, dans ta vie, avec ta  bénédiction, ou du moins ton accord tacite, et qui n’ont plus de raison d’être – sinon de rappeler, telles des traces, des fossiles discrets, qu’ici ou là quelque chose a existé et n’est plus. Tu regardes autour de toi, tu cherches vaguement des pendules en panne, des livres lus, des bouquets fanés ; et si elles t’échappent encore, ces traces, c’est parce qu’elles sont plus imperceptibles encore, ou que ton regard n’est pas assez affûté.
Il s’arrête, soudain, ton regard, il croit avoir trouvé sa proie : un dessin de toi, de l’époque où tu dessinais, que tu avais pris la peine d’encadrer, est encore accroché au mur du couloir. Certes il a occupé de meilleures places, dans tes appartements précédents, pourtant nettement moins vastes. Tu te souviens que quand tu l’as accroché ici, au moment de ton emménagement, tu t’es dit que le trait était bien pâle, qu’il fallait pouvoir le regarder de près, que la distance ne lui valait rien. Et c’est vrai qu’il est pâle, maintenant que tu le regardes, vraiment, pour la première fois peut-être depuis que tu habites ici, et peut-être depuis plus longtemps encore : la couleur bleu vif dont tu crois bien te souvenir a viré à une sorte de gris vaguement bleuâtre, la plupart des détails, dont tu te souviens encore nettement, ont presque disparu ; il est clair que l’encre que tu as utilisée était de mauvaise qualité. Cependant, ce n’est pas vraiment l’effacement du dessin qui t’intrigue ; c’est le fait que toi, qui es passé devant tous les jours, tu ne t’en sois pas rendu compte, que tu ne t’en sois rendu compte qu’une fois le processus pour ainsi dire achevé, et le bois doré encadrant une feuille quasi blanche.
 
Par temps clair, p. 79-80
 
 
Parce que celui-là, dernier publié pourtant, je me rends compte à l’improviste qu’il est déjà bien effacé lui aussi, de ma mémoire – conformément (plus qu’une coïncidence) à son propos. Il a déjà cédé la place, il y a longtemps.



Commentaires

Ecrit pour effacer aussi peut-être... Ce qui compte plus encore, c'est que malgré tout il reste habité.
Commentaire n°1 posté par Anne le 06/01/2009 à 22h57
ou s'effaçant à force de dire ce qui s'efface.
Mais l'effacement est le lot commun, plus ou moins partagé, de tous les livres - de plus en plus -, et l'auteur lui-même, passant à un autre, n'y pense plus vraiment.
Commentaire n°2 posté par PhA le 07/01/2009 à 08h38
Non mais c'est pas un peu fini, ces jérémiades à la gomme ?

(très bel extrait)
Commentaire n°3 posté par Didier da le 07/01/2009 à 12h54
Tu as raison : taillons nos crayons !
Commentaire n°4 posté par PhA le 07/01/2009 à 13h14
dans ma mémoire de lectrice, il ne s'est pas encore effacé, et c'est une bonne chose
Commentaire n°5 posté par ms le 07/01/2009 à 14h38
Merci, ms  - votre mémoire est précieuse.
Commentaire n°6 posté par PhA le 07/01/2009 à 14h58
Ah, j'aime mieux ce langage !
(Je fais mon positiviste, mais je n'ai rien contre les plaintes. D'autant que je suis en train de lire les Tristes... (pas la traduction de Darrieussecq, celle de Danièle Robert (Darrieussecq m'a donné envie de le lire, c'est déjà bien)).
Commentaire n°7 posté par Didier da le 07/01/2009 à 18h25
Ovide est grand, et il faudra aussi que je lise les Tristes. (Je ne sais pas où tu trouves tout ce temps, d'ailleurs ; tu dois l'acheter en contrebande !)
En fait, ce n'est pas vraiment de la plainte : mon regard sur l'effacement est plutôt de l'ordre de la curiosité ; c'est comme regarder la neige qui fond, une tragédie de (bonne) compagnie.
Commentaire n°8 posté par PhA le 07/01/2009 à 19h04
Je suis particulièrement sensible à la dernière partie de ce texte. C'est tellement juste.
Commentaire n°9 posté par thibault le 11/01/2009 à 01h52
Merci Thibault, et je me rends compte grâce à vous en me relisant que la page blanche, présentée d'habitude comme un avant, devient ici un après.
Commentaire n°10 posté par PhA le 11/01/2009 à 11h39
La page blanche est ce qui lie l'écrivain et le dessinateur. Elle ne crée pas une angoisse à mon sens, c'est plutôt même un horizon. Forcément point de départ, mais aussi terme. Celui qui inscrit, grave, trace, imprime doit penser à l'effacement. Non pas comme une fin funeste mais plutôt comme une réalité. Tout sort du blanc, tout y replonge, c'est une respiration. Ne pas en prendre ombrage. J'aime beaucoup cet attrait du blanc chez Beckett par exemple.
Juste aussi ce que vous dites sur l'avant et l'après.

http://thibault-balahy.over-blog.com/article-26474025.html
Commentaire n°11 posté par thibault le 11/01/2009 à 12h43
Evoquer Beckett, c'est m'attaquer par mon point faible. C'est peu dire que c'est un auteur qui compte beaucoup pour moi. Son "attrait du blanc", comme vous dites (je ne dirais pas tout à fait attrait, mais il me faudrait plus de mots, alors va pour attrait), contracté à son contact (ou réveillé par, c'était sûrement latent chez moi), m'a quasi empêché d'écrire pendant près de dix ans.
Commentaire n°12 posté par PhA le 11/01/2009 à 15h52
La pureté cristalline de Beckett fait peur, c'est sûr. ça a été une révélation pour moi aussi, et un frein forcément. Je comprend tout à fait cette paralysie. Mais c'est une bonne chose d'avoir fait face à ça.
Commentaire n°13 posté par thibault le 11/01/2009 à 17h20

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire