samedi 17 août 2024

Souvenirs de mon père, 1

Il y a une quinzaine d’années, j’ai demandé à mon père de noter ses souvenirs. Nous avons travaillé à quatre mains. Puisqu’il a décidé que c’était le moment, j’en posterai un extrait chaque samedi sur ces Hublots. Voici le début. Le père de mon père, dont il est question dans ce passage, c’est bien sûr « mon jeune grand-père », qui a été prisonnier de guerre durant la Première Guerre Mondiale et dont j’ai recopié la correspondance dans Mon jeune grand-père, publié aux éditions Lunatique en 2018, cent ans après la fin de cette correspondance.


Ton souvenir le plus ancien, c’est la vision fixe de ton père sur son lit de mort en noir et blanc. Tu es assis sur une chaise, tu balances tes jambes. C’est dans la grande chambre de la maison de Gretz. « Tu ne peux pas t’en souvenir, tu étais trop petit quand elle a brûlé. » « Quand elle a brûlé, je n’étais pas né. » La maison de Gretz, elle appartenait à Tata. Elle l’avait achetée pour les vacances. Elle la prêtait aussi à son frère, pour les vacances. Il y faisait des travaux. Des travaux épuisants.

Sa vésicule – il est mort des suites d’une péritonite vésiculaire – aurait pu être opérée si cela avait été pris à temps. Mais les médecins le soignaient pour le cœur.

Non, tes parents ne voulaient plus d’enfants. Ton père avait trente-quatre ans, Mamie vingt-huit. C’était en 1928. (Ils avaient déjà deux enfants, fille et garçon.)


Mamie t’a souvent parlé de ta naissance. Ça s’est fait à domicile, comme souvent à l’époque, comme pour Milou à Amiens. Toi, tu es né à Paris, rue de la Convention.

Tu as failli mourir. Tu as fait une hémorragie interne pendant quinze jours. On te nourrissait avec de l’eau sucrée. C’était la faute du médecin, d’après Mamie ; parce qu’il t’avait soulevé par le cordon ombilical. Il passait te voir tous les jours. Tu étais soigné par une infirmière à domicile à laquelle il demandait, chaque fois qu’il arrivait : « Il n’est pas encore mort ? » Et Mamie, couchée dans son lit, entendait ça.

Contre toute attente, tu n’es pas mort. L’hémorragie a cessé. Le docteur a fini par dire : « On pourrait peut-être le donner à sa mère pour qu’elle l’allaite. » Tu as ressuscité en peu de temps.

Mamie te racontait souvent cette histoire.

Plus tard, à chaque fois que ce médecin te voyait, il disait : « Ah ! C’est lui, mon fils ! » Il t’avait, à l’entendre, sauvé la vie. Cela te mettait hors de toi. Tu t’en souviens bien. Mystérieusement, Mamie l’avait gardé comme médecin ; même après qu’il eut soigné ton père pour le cœur alors qu’il mourait d’une péritonite vésiculaire.

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