vendredi 6 mars 2009

Seul à voir (à quoi ma mort est préférable)

A quoi ma mort est-elle préférable, je l’ignore. Ainsi cependant a-t-elle dû apparaître, préférable, puisque je m’y suis résigné. Cela d’abord n’a été qu’une simple idée, une proposition ; peut-être la source en a-t-elle été en moi-même, peut-être pas : on a aussi pu m’en faire la suggestion – une jeune voix féminine, bienveillante, de longtemps familière. C’est elle bien sûr qui se charge de l’exécution. Dans son attente déjà je suis allongé, entre les corps des miens qui ne sont plus. L’arme est un pistolet, banal et classique : une arme à faire des trous. La cible précise sera cet espace entre les deux yeux, où le crâne aminci par les orbites joue la cathédrale. Fracasser cette manière de colonne devrait être un plaisir. A moins que l’arme insensiblement dévie vers l’œil lui-même, tellement prédisposé.
Quoi qu’il en soit le coup a dû partir, pendant toutes ces supputations : j’entends la voix bénigne qui ne me parle plus, qui s’adresse à d’autres, qui commente ma face. « C’est noir », a-t-elle dit un peu surprise, et je m’étonne de l’entendre encore puisque je suis mort ; mais cela ne dure pas, en effet sans aucun doute je suis mort, ce trou dans ma face est bien celui dans lequel je glisse, happé par la violence de l’inertie, déjà disparu.
 
 
 
(Il paraît que ce n’est pas si grave, que ce n’est pas sans remède ; il paraît que mes données – comme celles de chacun – sont enregistrées sur de petits supports magnétiques, ou numériques, comme vous voudrez ; de tout petits supports qui nous contiennent tout entiers. C’est revivre même qui me fait redire les propos de la bonne dame : on est vraiment peu de chose.)


Commentaires

Ah ! Cette peur d'être Liquide(r)...
Commentaire n°1 posté par Christophe Borhen le 06/03/2009 à 18h02
Même pas peur !
Commentaire n°2 posté par PhA le 06/03/2009 à 18h05
C'est ton amie la rose qui te l'a dit ce matin ? :o)
Commentaire n°3 posté par Loïs de Murphy le 06/03/2009 à 21h01
C'était comme une douce voix dans le creux de mon oreille.
Commentaire n°4 posté par PhA le 06/03/2009 à 21h04
I would prefer not to
Commentaire n°5 posté par ms le 06/03/2009 à 21h46
just an idea
Commentaire n°6 posté par PhA le 06/03/2009 à 21h58
Très étrange: j'ai fait un rêve qui ressemble beaucoup à ce récit (conclusion comprise) lorsque j'étais dans le coma, il y a huit ans. Mais aujourd'hui je ne pense plus tant que mourir soit ceci ou cela (c'est vrai qu'on peut disposer d'un corps de rechange ou de «données») mais que vivre n'est vraiment pas grave (au contraire de ce que nos psychodrames voudraient nous faire croire)
Commentaire n°7 posté par jc le 07/03/2009 à 11h42
Comme vous (mais sans coma !) c'est une leçon que je reçois des ombres, et dont je ressors tranquille.
Commentaire n°8 posté par PhA le 07/03/2009 à 12h19
si peu et tant à la fois...
Commentaire n°9 posté par pascale le 07/03/2009 à 13h04
"vivre n'est vraiment pas grave", raison de plus pour en profiter!
Je n'ai pas peur de la mort mais de l'agonie, lente et douloureuse, car on a beau dire, on a beau pondre des lois, des services d'accueil, la réalité est terrifiante.
Commentaire n°10 posté par Pascale le 07/03/2009 à 19h37
Bien d'accord pour en profiter, Pascale(s) !
Commentaire n°11 posté par PhA le 07/03/2009 à 20h59
"Si je me mets à réfléchir, je vais rater mon décès." Beckett
Commentaire n°12 posté par Pascale le 08/03/2009 à 15h52
C'est tiré d'où ? (je devrais reconnaître, mais je sèche)
Commentaire n°13 posté par PhA le 08/03/2009 à 15h56
Comment, toi qui connais Beckett sur le bout des doigts, tu sèches ;-)?
J'étais en train de picorer dans "Les jongleurs de mots" de Patrice Delbourg quand je suis tombée sur cette citation (p. 404) dont il ne situe pas l'origine dans l'oeuvre de Beckett. En la déposant ici, j'espérais que, du tac au tac, tu allais me le dire !
Commentaire n°14 posté par Pascale le 08/03/2009 à 16h23
Je suis d'autant plus impardonnable que c'est évidemment à la page 13 de Malone meurt ! (j'ai triché, j'ai fait marcher Google). Du coup, j'ai ressorti mon vieil exemplaire dans lequel j'avais laissé, comme marque-page, une autorisation de sortie de territoire pour mineur, à mon nom - la première lecture ne date pas d'hier !
La citation exacte est: "Si je me remets à vouloir réfléchir je vais rater mon décès." (sans virgule) ; c'est sûrement pour ça que je ne l'ai pas reconnue !
Commentaire n°15 posté par PhA le 08/03/2009 à 17h40
A ton nom ?... ;-)
Je m'envole sauvée, à bientôt!
Commentaire n°16 posté par Pascale le 08/03/2009 à 18h41
je trouve ça pas mal de trouver une autorisation de sortie de territoire dans un livre de Beckett
(autrement j'ai cru que j'étais dans la chambre des officiers)
Commentaire n°17 posté par pascale le 09/03/2009 à 09h29
Tiens, Pascale !
Oui, c'est depuis ce temps-là peut-être que je me sens autorisé à visiter des territoires ignorés.
Commentaire n°18 posté par PhA le 09/03/2009 à 10h00
 

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