jeudi 19 mars 2009

aux anges avec Albert

Repartons en empruntant la rue aux bâtiments bombardés, derrière une pute et son mac en pleine scène. (Là où, un peu plus tôt on avait balancé une bouteille de lait, chacun la nôtre, dans le terrain de jeu au milieu de Wellclose Square ; celle de Terry s’était cassée, pas la mienne ; si on peut même plus compter sur les lois de la physique, de nos jours, avais-je dit d'un ton amer.) Aperce­vons des rangées intactes de bouteilles de lait. Que nous ignorons – bien fait, car juste derrière nous un agent est occupé à parler à ­un poivrot appuyé contre un mur. On continue. Soudaine épiphanie à la vue d’une ligne de toit (un choc, un vrai choc : quelqu’un, une personne, un être humain, avait eu l’idée de cette ligne de toit, l’avait conçue ; ce n’était pas brillant, ou gracieux, c’était juste humain, la main de l’homme, la sueur de ses neurones) et je m’arrête pour prendre des notes. Le policier nous rattrape, me demande que j’ai dans la main, où j’habite. J’interroge son droit à m’inter­roger. Terry me prévient de ne pas être lourd. Un bleu, pas de Londres – Yorkshire ? Lui montre mes papiers – à son plus grand plaisir. Satisfait. Reprenons le chemin de Wellclose Square, encore – Terry pisse à travers la grille en face de l’usine à spaghetti. Suis sur le point de l’imiter, mais un flic à vélo débarque. On passe devant lui, mais on sait qu’il s’est arrêté. On joue un peu au chat et à la souris avec lui en direction du Sq., passant d’un porche à l’autre, et lui, nous suit de près en roulant très lentement. Je trouve un trombone. Ne nous suit pas jusqu’à l’entrée du Sq. M’appuie contre un lampadaire dans le Sq., vois le flic faire circuler deux femmes et un homme, bourrés, hilares. Le flic vient vers nous. Qu’est-ce qu’on est en train de faire. Je papote tranquil­lement d’architecture avec mon pote, je dis, il y a de belles maisons fin dix-huitième par là-bas. Flic plus que raisonnable. Se fout pas en boule. Nous signifie tout simplement que l’heure n’est pas à l’architecture, c’est Stepney, ici, et à tout bout de champ, un poivrot peut débouler d’une maison, armé d’un couteau et le planter dans le premier quidam ; qui pourrait bien être moi.

Albert Angelo
, p. 156-157
   
Notre Prossefeur
Mr ALBERT
 Il est pluto simpa qu’en ton parle avec lui et il nous laise fère ce qu’on voeu cil è bien luné il fé son boulo comme il doigt et il reste a ça place il père pas son sans froi on l'a surnomé mé potes Mick Norm Anglei et moismême CHAS phantasq le poilourci je dirai qu'il fé de sont mieu Mais je pensse qu'il pourré en faire plus mais qu'il vœu pas nous an fère profité il ai asé grand et pluto bien dan sa chair Mais jé pa le droi de parlé dé fois qu’en ton est tous assis a bossé et qu'il nous a a l'oeil les Garçons et j’en fé parti on fait un peu les con et on se fiche de sa poire et aussi dé fois on suis pas et on fé comme cil été pas la et dé fois j’me qu’il doit avoir envi de baiser les bras et de tout laiser tombé mais il père sévère qu'en même,
 
MR Albert 
 
MR Albert est beau joueur parce qu’il prend bien les blagues. Il arête pas de nous séparationner moi et Gloria et jamais les garçons. Avec les garçons, il arête pas de plaîtsanter mais pas avec les fille il pense qu'on nait un peu porté sur la chose. Je pense qu’il est
 
Ce que je pense de Mr. Albère (dit BÉBERT LA MORVE)
 
Je pense que Mr Albère est un gros taré d’empâté plein de graisse, et il nous apprend queue dalle. Mais il peu être réglo quand il veut. Quand il nous traite de paiesants sa me donne envie de lui boter la tronch. Et quand il nous frappe ça me donne envie de le traiter de tous les noms et de l’insulter. Et aussi quand il gueule comme un putois j'ai envie de lui dire : « Ta gueule grosse feignasse, espèce de grosse citerne. Quand il nous fait lire ce bouquin j’ai envie de lui l’faire bouffer. Des fois il dit qu’on lui fait du charme, mais je crois qu’il m’a pas bien regardée dabord. Quand on va devant et qu’on s'appuie sur sont piano il dit "Virez de mon piano," et s’y l’était pas prof j’lui dirais Ta gueule Bébert et ton piano tu peux te l’enfoncer bien profond dans ton trou de Bâle. Ce qui me rend folle aussi c’est qu’il s’en prend tou­jours à Turk le plus petit de la classe, un jour j’espère que Turkey va lui répondre et lui crâcher à la geule. Et hier quand il était en train de sortir de la classe y en a qui se sont mis à gueuler, alors tout de suite il s’est mis à frapper les garçons, pourtant j’ai vu deux filles qui avaient gueulé aussi. Mais si on l’avait dit il aurait juste dit fermez-la et barrez-vous. Aussi, j’aime pas sont style de musique sont compositeur préféré c’est Barh, un vrai jobarh lui aussi. L’autre jour on a eu droit à Beethoven alors on a rebatisé ses morceaux Beethoven blues et la Symphonie en Z+ d’Oliver Tirejus. Et quand il passe d’autres styles de musique il devient tout drôle et alors il se met à siffler, et il fait le chef d’orchestre, COMME LE GROS CRÉTIN D’EMPÂTÉ QU’IL EST.
 
B.S. Johnson, Albert Angelo, Quidam, 2009, p. 162-164
 
––– ras le cul de tous ces mensonges vous voyez si j’essaie d’écrire quelque chose en fait ça n’a rien à voir avec l’architecture j’essaie de dire quelque chose sur l’écriture sur mon écriture je suis mon propre héros absurde comme dénomination mon propre personnage principal donc j’essaie de dire quelque chose sur moi à travers lui Albert un architecte alors que mais à quoi bon cette mascarade oui mascarade cette mascarade qui donne l’illusion l’illusion que je peux tout raconter à travers lui enfin tout ce que je pourrais trouver d’intéressant à raconter
 
––– souveraine aposiopèse
 
––– J’essaie de dire quelque chose pas de raconter une histoire raconter des histoires c’est raconter des mensonges et je veux dire la vérité sur moi sur mon expérience sur ma vérité de ma relation à la réalité sur le fait d’être assis là à écrire et à regarder Clare­mont Square par la fenêtre à essayer de dire quelque chose sur l’écriture et sur le fait qu’il n’y a aucune réponse à la solitude et au manque d’amour
 
Albert Angelo, p. 171
 
––– Et bien sûr, pour vous, ça ne veut rien dire, ce radotage sur la condition du poète et sur l’obligation de gagner sa vie en exerçant une autre activité : mais quid de votre relation à la condition humaine ? Hein ? Hein ? Hé hé hé !

Albert Angelo
, p. 173
   
L’obligation de gagner ma vie (entre autres) m’empêchant de trouver le temps de trouver les mots pour dire tout le bien que je pense de ce livre publié par mon éditeur et ma joie de me trouver dans la même collection, je laisserai pour l’évoquer la parole à Laure Limongi (« Loué soit Quidam éditeur ! » ce n’est pas moi qui dirai le contraire et il faudra d’ailleurs que j’y revienne), à Bartleby, à Anne Sophie Demonchy, aux Lignes de fuite et il y en aurait bien d’autres.




Commentaires

En lisant les pages 162 à 164 notamment, je pense au travail du traducteur ...

Commentaire n°1 posté par pascale le 19/03/2009 à 12h06
Et il y en a quelques pages comme ça, de rédacs variées sur Albert... on s'y croirait ! (notamment grâce à cette variété)
Commentaire n°2 posté par PhA le 19/03/2009 à 13h16
B.S. Johnson précurseur de F. Bégaudeau ?
Commentaire n°3 posté par pascale le 19/03/2009 à 13h43
C'est vrai qu'il y a un travail intéressant sur la langue dans Entre les murs (je pense aux passages en classe, j'ai des réserves sur les passages en salle des profs) qui ne peut pas laisser indifférent quand on connaît bien le milieu ; mais c'est plus un travail sur l'oralité. Dans cet extrait d'Albert Angelo, on est dans le passage "à l'écrit" - lequel, belle ironie, est supposé éviter un éventuel passage à l'acte. Mais l'enseignement n'est qu'un thème, dans ce livre, je ne pense pas que ce soit son sujet.
Commentaire n°4 posté par PhA le 19/03/2009 à 14h09
et bêtement je suis restée, pendant tout le reste, dans le souvenir du toit si humain
Commentaire n°5 posté par brigetoun le 19/03/2009 à 20h41
C'est qu'en effet cette "épiphanie", à cet endroit-là, mérite une pause...
Commentaire n°6 posté par PhA le 19/03/2009 à 21h00

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