dimanche 7 décembre 2008

ne pas renaître surtout ne pas renaître



Sur la coupe parfois un silence miraculeux
on aimerait un cri d’oiseau
mais rien
 
Le chef d’équipe n’est pas fameux en bûcheronnage
il a été condamné
pour empoisonnement
 
Après la nuit
plusieurs heures de ciel noir
puis la nuit encore
 
Un mélèze perd l’équilibre
lentement il balaie
la lumière des projecteurs
 
Entre deux flots de sang
l’automutilé raconte au soldat
sa version des faits
 
De la vapeur autour des chiens
la vareuse humide des soldats
nous sommes en route c’est le matin
 
Un autre mélèze qui tombe
l’éclipse des projecteurs
ne dure qu’un instant
 
Souvent quand l’arbre tombe
les étudiants
ne s’écartent pas
 
Ahuri de douleur
l’automutilé regarde les doigts
qui gisent à ses pieds
 
On se rapproche du mélèze abattu
une branche frémit encore comme vivante
puis s’immobilise
 
Le chef de baraque a été fermier
autrefois en Turkménie il conduisait des troupeaux
de centaines de têtes
 
Sur le châlit voisin le Russe fait ses prières
il s’est disputé
avec l’éleveur de vaches
 
Déjà minuit le sommeil du Russe s’interrompt
quelqu’un lui a enfoncé un clou de charpentier
dans l’oreille
 
Après la mort nocturne du Russe
l’éleveur turkmène
peine à trouver des interlocuteurs
 
Le bonze franchit la limite des arbres
sa main caresse une fougère
il a prévu dix secondes avant le coup de fusil
 
Le claquement de la carabine
dans le matin glacial
un corbeau s’envole sans crailler
 
Le bonze s’est effondré en écartant les bras
on dirait
qu’il embrasse la neige
 
Hier soir j’ai promis
de chuchoter près de sa tête
ne pas renaître surtout ne pas renaître
 
Le soldat est blême ses yeux s’embrument
il vient d’assassiner
son premier détenu
 
Les chiens aboient les gardes crient
je ne suis pas allé
parler au bonze



Lutz Bassmann, Haïkus de prison, Verdier, p. 68-71


 

D'autres extraits sur Poezibao, Terres de Femmes, Les Ruines circulaires, Fluctuat et chez Chichinpuipui...




Commentaires

Il faut décidément que je le lise... (c'est effroyablement beau)
Commentaire n°1 posté par Didier da le 07/12/2008 à 11h37
oh oui.
Avec les moines-soldats, aussi. Il faudra que je trouve le temps / les mots pour en parler, dans un prochain billet.
Commentaire n°2 posté par PhA le 07/12/2008 à 12h54

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