dimanche 21 décembre 2008

Mon père s’est perdu au fond du couloir

J’oubliais souvent mon père au jardin municipal. Des semaines entières, assis sur un banc face aux toboggans et aux balançoires, il attendait, sans trop désespérer, que je vienne le récupérer. J’avais entre cinq et sept ans et l’esprit facilement occupé ailleurs. Il fallait donc que quelque chose, une association d’idées, me rappelle l’existence de mon père. Une miette de pain, un journal déchiré. Pourquoi une miette de pain, pourquoi un journal déchiré ? Je ne sais plus. Parfois la présence d’un membre de ma famille suffisait à provoquer le déclic. Et aussi la présence de ma mère. Car il arrivait que la présence de ma mère me rappelle l’existence de mon père.
Alors, pris de panique, je me ruais vers le jardin, parfois au milieu de la nuit. Et là, je trouvais une petite chose ratatinée qui attendait mon retour dans un demi-sommeil. Mon père avait une capacité de survie extraordinaire. Il n’attirait pas l’attention. Personne n’aurait eu l’idée de lui demander ce qu’il faisait là, et pourquoi il restait sur son banc après la fermeture des grilles. Il bénéficiait d’une sorte d’immunité qui lui aurait permis, par exemple, de passer la nuit dans un musée ou dans une banque. Mais il n’en a jamais tiré parti.
Me voyant apparaître, mon père se levait et nous rentrions à la maison sans prononcer un mot. Jamais un reproche de sa part. Pas même une tentative d’explication. Ce n’est que plus tard, par des allusions et des sous-entendus, que je compris qu’un fossé se creusait entre nous. Car bien qu’il me fût toujours difficile de me souvenir de mon père, je partais à sa recherche aussitôt que son existence me revenait à l’esprit. Lui, au contraire, ne cessait jamais de penser à moi, son fils, dont il attendait le retour, mais en souhaitant confusément que ce retour ne se produise jamais.
 
Philippe Garnier, Mon père s’est perdu au fond du couloir, Melville, 2005, p. 9-10.
 
 
 
C’est le caractère « familial » de la troisième partie de Mon suicide – celle qui donne son titre au recueil – qui m’a rappelé cette lecture plus ancienne, familiale aussi ; décalée aussi, avec élégance. Ci-dessus la section liminaire, la plus courte (il y en a onze, les choses allant ensuite s’aggravant ; au cours d’un texte qui – je le précise, un simple extrait pouvant prêter à confusion – n’a rien d’un roman ; c’est plutôt la déclinaison d’un thème).
Philippe Garnier en a publié un depuis, précisément, de roman ; et même un roman « de plage », qui vaut aussi le détour (on peut d’ailleurs ici en lire deux extraits). Roman vraiment, mais de plage juste par le décor – juste et ironique contrepoint au thème obsédant de l’enfermement (le livre peut accessoirement servir d’argument à opposer aux éventuels désirs filiaux ou maritaux de club de vacances). L’enfermement, on l’a déjà, dans Mon père s’est perdu au fond du couloir. C’est à l’évidence un motif essentiel chez Philippe Garnier, et un thème qui me parle aussi, sans doute.





Je vois que j'ai lu plusieurs livres traduits par lui (Offutt, Salter, Fante) mais rien de lui... Je note...
Commentaire n°2 posté par cathe le 21/12/2008 à 11h35
En fait, je crois qu'il s'agit d'un homonyme, Cathe (regardez le lien vers Lignes de fuite, les commentaires). Des Garnier, il y en a beaucoup ; quant aux Philippe, c'est une véritable calamité !
Commentaire n°3 posté par PhA le 21/12/2008 à 12h55
Oui en effet ;-)
Commentaire n°4 posté par cathe le 21/12/2008 à 17h28
N'est-ce pas ? Vous trouvez, vous aussi, que les Philippe sont une calamité ?
Commentaire n°5 posté par PhA le 21/12/2008 à 18h22
Mais non, j'ai plusieurs amis qui s'appellent Philippe ;-)))
Commentaire n°6 posté par cathe le 21/12/2008 à 20h11
Plusieurs ! J'en étais sûr. C'est un nom propre bien commun...
Commentaire n°7 posté par PhA le 21/12/2008 à 20h26
j'ai lu "pendu" au fond du couloir : je sais bien qu'il faut que je change mes lunettes
Commentaire n°8 posté par ms le 22/12/2008 à 13h33
A propos des Philippe (si vous ne voyez pas trop d'inconvénient à ce que je m'immisce dans votre conversation), comme il en croisait partout en grande quantité, Renaud Camus avait choisi de les appeler dans son Journal Philippe I, Philippe II, Philippe III, Philippe IV, etc. Ça finissait par former une dynastie très impressionnante. (Et, bien entendu, le lecteur s'y perdait complètement...)
Commentaire n°9 posté par François Matton le 22/12/2008 à 13h59
C'est la contamination d'un livre par un autre : c'est Mon suicide de Jean-Luc Caizergues, qui, par association d'idées, m'a ramené à Mon père s'est perdu au fond du couloir - et justement, je viens d'en citer "La corde" http://hublots.over-blog.com/article-25901241.html - laquelle n'est jamais très loin. (Voir flou, est-ce voir moins bien ?)
Commentaire n°10 posté par PhA le 22/12/2008 à 14h05
Au contraire, François, bienvenue ! - d'autant plus que vous ne vous appelez pas Philippe. (Mon précédent commentaire était pour ms.) Ce qui est terrible, pour nous autres Philippe, c'est que ce prénom, si commun des les années 60, est aujourd'hui complètement délaissé, au point que pendant l'un de mes cours, un élève ayant à un propos quelconque employé l'expression "vieux prénom", tout le monde s'est retourné vers un malheureux petit gars que des parents inconscients ont affublé de ce prénom, faisant de lui aux yeux de ses petits camarades une curiosité d'un autre temps, une sorte de fossile vivant. Quand on s'appelle Philippe, on fait d'emblée partie d'une génération bien définie (sinon finie) ; ni lifting ni silicone n'y pourront rien.
Commentaire n°11 posté par PhA le 22/12/2008 à 14h26
et imaginez un seul instant ce que c'est que de s'appeler Martine : on vous colle d'emblée 10 ans de plus (et le drame c'est que vous les avez !)
Commentaire n°12 posté par ms le 22/12/2008 à 15h14
Tout de même, des Martine, j'en ai eu dans ma classe, en tant qu'élève - mais c'est vrai que, passé de l'autre côté du bureau, je n'en vois plus.
Commentaire n°13 posté par PhA le 22/12/2008 à 15h56
Je ne suis pas d'accord avec ms : s'appeler Martine c'est rester éternellement jeune par association à "Martine à la plage", "Martine au cirque", etc.
Tapez "Martine" dans Google, c'est la première chose qui apparaît.
Quant à "Philippe", je pense que c'est un peu comme pour "François" : classique et indémodable.
(Mais d'où me vient cet optimisme à propos des prénoms ?)
Commentaire n°15 posté par François Matton le 23/12/2008 à 13h21
C'est bien vrai que Martine aura éternellement le teint frais et les joues rondes, et aussi que François est un indémodable : les petits François sont, me semblent-ils, aussi nombreux que leurs aînés - les Philippe, en revanche, sont vraiment en voie de disparition, et cette catastrophe passe complètement inaperçue, nul ne s'en soucie ; certains même peut-être s'en réjouisse - je ne suis d'ailleurs pas loin de soupçonner là l'existence d'un complot, que dis-je, j'en suis sûr !
Commentaire n°16 posté par PhA le 23/12/2008 à 14h27
Comme je vois que la discussion continue, j'aimerais que vous preniez aussi en compte les Catherine dont je suis ;-) 
Comptez le nombre de Catherine que vous connaissez autour de vous.....

Même quand je téléphone à des amis proches, je n'oublie pas de donner mon nom de famille sous peine de quiproquos ;-))
Commentaire n°17 posté par cathe le 24/12/2008 à 11h29
Et les petites Catherine non plus ne courent plus les rues ni les cours de récréation, hélas... Haut les coeurs !
Commentaire n°18 posté par PhA le 24/12/2008 à 11h53

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