samedi 14 juin 2025

Souvenirs de mon père, 44 (Arras, 1943)

A la radio, il a constaté que tu avais une très forte pleurésie enkystée. Il t’a dit que normalement, il devrait t’envoyer dans un « prévent ». Le problème, pour lui, c’est qu’à ce moment-là, les préventoriums étaient très mal ravitaillés. Sachant que Tata avait des accointances dans les fermes des environs, il a préféré que tu restes chez elle et qu’elle s’occupe de toi. (En fait, Victorine, l’infirmière devenue plus tard assistante sociale qui vivait avec ta tante avait été adoptée par une fermière, à Cravant, près d’Arras, et elle restait en rapport avec sa mère adoptive. Là, il y avait beaucoup de ravitaillement. Victorine y allait régulièrement et en rapportait de la farine blanche, du lait, du beurre, des œufs… Victorine était une « miraculée » de Lourdes. Miraculée de fait, puisqu’elle a été guérie de plaies – tu ne t’en rappelles plus l’origine – qui ne se guérissaient pas – elle en a d’ailleurs gardée les cicatrices. Du jour au lendemain, à Lourdes, ses plaies se sont refermées spontanément. Mais ils sont très méfiants, à Lourdes, pour déclarer réel un miracle, ils font de longues enquêtes, et le sien n’a pas été considéré comme un miracle officiel. Tata suivait tous les pèlerinages de Lourdes en tant qu’infirmière, c’est comme ça qu’elle a connu Victorine. Ta grand-mère, qui a l’époque vivait encore et Tata ont recueilli Victorine à Arras, parce qu’elle voulait faire ses études en ville. Victorine était donc très redevable à Tata, et par la suite elle s’est bien occupée d’elle jusqu’à sa mort. Tata avait un diplôme d’infirmière de la Croix Rouge mais n’exerçait pas d’emploi permanent. Elle faisait aussi parfois des gardes de malades de nuit.) Comme Tata pouvait avoir du ravitaillement et que le docteur Château le savait, il lui a dit : « Le mieux, c’est que vous le gardiez avec vous et que vous vous en occupiez vous-même ; je suis sûr que là, il sera bien soigné. » De fait, en y repensant, dans l’était où tu étais, tu crois bien que Tata t’a pour ainsi dire sauvé la vie, et que si étais retourné à Paris sans être soigné, tu ne t’en serais pas sorti vivant.

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