Messerschmied était en avance. Il était arrivé chez Brunnen avec cinq minutes d’avance, parce qu’il était comme ça, Messerschmied ; il fallait que les choses avancent. Il était très élégant, comme d’habitude, malgré son embonpoint léger ; il portait son complet bleu, assorti à sa cravate d’un bleu à peine plus clair, laquelle disparaissait sous un gilet grenat – il faisait encore frais ; d’ailleurs il avait aussi sorti son pardessus tout neuf, son chapeau, ses gants et un élégant foulard à motifs fleuris. En attendant Monsieur Witz, qui n’était pas encore là – sans pour autant être en retard et d’ailleurs Messerschmied ne s’impatientait pas, peut-être même appréciait-il ce court instant de tranquillité –, en attendant Monsieur Witz, Messerschmied se débarrassait de son pardessus, de son chapeau, de son foulard ; il y avait là, contre le mur, un porte-manteau d’un goût douteux prêt à recevoir les affaires de Messerschmied. L’esthétique de l’objet lui paraissait bien un peu incongrue mais enfin, Messerschmied ne prétendait pas s’y connaître en design, aussi le regardait-il avec une vague curiosité ; c’est ainsi qu’il remarqua que ce porte-manteau était pourvu d’un fil électrique. La fiche n’était pas branchée à la prise toute proche. La tentation était trop forte pour Messerschmied ; sa curiosité, qu’il aurait volontiers qualifiée de scientifique, l’emporta sur toutes les considérations de sécurité qui auraient dû retenir son geste : il brancha le fil dans la prise. Aussitôt le porte-manteau s’anima ; c’était un objet articulé, manifestement mécanique mais quasi doué de vie, et aussi d’une intention mauvaise car en quelques secondes le pardessus de Messerschmied, ainsi que son foulard et son chapeau furent réduits en charpie sous les yeux exorbités, les nôtres le seraient à moins, de leur propriétaire.
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