dimanche 23 novembre 2008

Seul à voir (je pense aussi à une ecchymose)

Voici les tables disposées, dans le prolongement l’une de l’autre, recouvertes de l’indispensable linge blanc. Cela fait une belle tablée, que nous contemplons avec contentement.
Le décor non plus n’est pas sans charme : admirez plutôt ce hall ancien, aux murs recouverts de peintures aux motifs à demi effacés, aux plafonds moulés. Bien sûr il est ouvert des deux côtés (l’un des côtés donne probablement sur une cour intérieure, l’autre directement sur la rue) : c’est un passage, et en effet il est assez passant. Il ne faut pas cependant se laisser arrêter par de petites nuisances.
J’ai oublié mes victuailles, mes provisions dans la glacière, dans le coffre de la voiture. Elle est garée un peu loin : les places sont chères, par ici, en pleine ville. Quittant la compagnie, je m’y rends, conscient de ma négligence. En effet il n’y avait là que des produits congelés. Dans quel état vais-je les retrouver ?
Voici la voiture – je crois bien reconnaître ma vieille Renault 19 rouge, qu’en pensez-vous ? Juste à côté, sagement attablé à la terrasse d’un café, le petit enfant mécanique est là, oublié lui aussi.
Je récupère les provisions et je les rapporte vite fait (vous comprenez : je ne peux pas tout emporter en même temps). D’ailleurs la décongélation, je le sens d’une simple pression entre mes doigts, est largement commencée. J’ai de quoi m’inquiéter.
Cependant, c’est curieusement une baguette toute fraîche, figurez-vous, comme juste sortie du four du boulanger, que je dépose sur la nappe blanche.
Maintenant, je me dépêche d’aller enfin rechercher le petit enfant mécanique, objet de toutes mes négligences.
Il est toujours là, à côté de la voiture, assis devant une des petites tables rondes dont le cafetier a encombré l’étroit trottoir, en compagnie d’autres enfants apparemment du même âge. Ses cheveux mal peignés sont lisses et très noirs, un peu trop longs à mon goût.
Je me penche gentiment vers lui, je lui parle avec douceur. Une dame, qui assiste à la scène, en sourit, attendrie. Vous devez sans doute la trouver bien indulgente à mon égard.
« Ton cartable est-il bien fermé ? » L’enfant hoche la tête. Je vérifie tout de même : son cartable est sur son dos.
Il est temps maintenant d’y aller. Je le prends par la main pour l’emmener. Un de ses petits compagnons de table proteste dans son baragouin enfantin. C’est un tout petit garçon un peu gros, brun, aux cheveux courts. Il ne doit pas avoir trois ans.
« Téléphoner ! téléphoner !… phoner !… » Il est très énervé, il ne semble pas décidé à laisser s’en aller son nouvel ami sans protester, sans au moins obtenir la garantie de pouvoir le revoir.
Je consulte l’enfant mécanique. Que souhaite-t-il ? Il reste un moment silencieux, il semble réfléchir. Manifestement, lui aussi s’est attaché à l’autre enfant.
Pendant qu’il réfléchit, je regarde sa joue. Elle est marquée d’une grosse tache sombre et brillante. Est-ce de la saleté ? Je pense aussi à une ecchymose. (J’y pense, tout en sachant pertinemment que cela ne peut pas en être une.) Plus gravement et plus simplement, n’a-t-il pas été endommagé ? vous demandez-vous sans doute. Sa matière en effet n’aurait-elle pas fondu sous l’effet d’une chaleur excessive ? Quelle que soit en tout cas la nature de ce dégât, j’y suis forcément pour quelque chose, au moins par ma négligence. Que va dire… ma femme ?

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