jeudi 13 novembre 2008

dix secondes parfaitement exquises

Mettons-y un e derrière et un la devant, et la LaureLie me devient un petit pays où l’on retourne, sûr de la variété de ses étonnants paysages. On peut, cet automne, y rencontrer d’héroïques figures. Sam assurément en est une autre, non des moindres ; jugez plutôt :
 
« On aurait pu compter ses côtes et, avec un peu de patience, ses cheveux. Blonds et fins ils folâtraient, autour d’une tonsure naturelle. Un nez long et rouge, des dents courtes et bistres, un front large et rose, des yeux brefs et gris : son visage dans les grandes lignes, une carte plus détaillée aurait compris les chemins de traverse d’une quarantaine plus trop lointaine mais, dans cette faible lumière nocturne, on se contentait d’un schéma ; Sam, coquet, ne s’en plaignait pas, le caleçon mité bouf­fant à l’entrejambe, les pieds écartés rappelant le canard, la légère voussure dénonçant l’indolent, bien assez pour ne pas pavoiser. Non, non, il n’enviait pas ce foutriquet barbu qui exhibait ses pectoraux sous un marcel et une écharpe en lin kaki, pas la peine de lui offrir d’intervertir leurs corps il n'aurait pas voulu. Ni de son âge, surtout pas. À vingt ans il ne comprenait rien à rien alors qu’aujourd’hui, pardon, posez-lui n’importe quelle question. Un peu plus loin on pouvait se glisser dans l’eau sans risquer de se rompre le cou et comme il y gagnait aussi d’en­tendre moins les rires et les guitares de ces petits cons, il n’hésita pas plus longtemps et rampa vers la mer – tiède et un peu grasse, ce qui le surprit. Qu’il y serait bien. Ça le remuait toujours autant de bar­boter dans la matrice, il marchait à fond dans cette histoire de mère nourricière et qu’elle fût téné­breuse et scintillante, quoique d’huile, échevelait un peu plus encore son délire. Bienfaisante nuit des origines ! Il y fit trois brasses et se fatigua, se convertir en planche était plus dans ses cordes. Seules les plus grosses étoiles perçaient le brouillard de gazole qui plombait la ville et pour tout dire ce ciel simplifié le réconfortait, il fallait être mieux armé qu’il ne l’était en cet instant pour affronter un vrai ciel étoilé tout vibrant d’éclats innombrables, imbitable et vaste. Le silence se fit peu à peu, les babs en bois pliaient bagage.
Il flotta pendant dix secondes parfaitement exquises.
(Les yeux clos, un autre espace glacé s’ouvrait, au-delà du claquement mat et irrégulier de l’eau contre les oreilles une autre eau plus épaisse et sourde à la rumeur du monde se mouvait, s’écou­lait, attendait, caressait continûment du sable comme en témoignait ce son, frêle et curieusement proche, de grains glissant les uns sur les autres.)
Puis un courant froid vint saisir son dos tel un steak un feu, un paquet d’algues poisser son coude, une lichette d’eau saler ses lèvres. Il bascula à la ver­ticale, toussa, cracha, nagea vers la rive. »
 
Didier da Silva, Treize mille jours moins un, LaureLi Léo Scheer, p. 31-32.
 
Rappelons que ce même Sam eut l’an dernier un ancêtre fameux, autre grand aventurier urbain, rencontré précisément sur ces Lignes de fuite – lequel eut la bonne idée de me présenter son auteur. Santé !



 Commentaires
merci pour ce double lien et (puisque c'est mon premier commentaire) bienvenue dans l'océan de la blogosphère (pour filer la métaphore) !
Commentaire n°1 posté par cgat le 14/11/2008 à 01h03
C'est à moi de vous remercier pour cette découverte - et pour d'autres... ainsi que pour vos voeux océano-blogosphériques (je crains en effet la noyade - à moins que je ne la désire ?)
Commentaire n°2 posté par PhA le 14/11/2008 à 13h18

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