Que dois-je faire ? On ne m’a rien dit. On ne m’a pas dit si j’étais autorisé ou si je n’étais pas autorisé. Comment savoir ? Est-on supposé le savoir tout seul ? Est-on supposé savoir si on est autorisé ou est-on supposé savoir si on n’est pas autorisé ? Car si je ne le sais pas, c’est qu’une des deux catégories de personnes, les autorisées ou bien les non-autorisées, l’une de ces deux catégories disais-je, ne sait pas si elle est autorisée ou non-autorisée puisque je ne le sais pas, puisqu’on ne m’a rien dit à ce sujet – si toutefois je suis bel et bien une personne ; il m’arrive d’en douter, même si la plupart des personnes que j’ai croisées depuis que j’existe m’ont toujours donné l’impression de me considérer comme une personne. Peu importe donc que je sois bel et bien une personne ou non ; ce qui compte, c’est que je sois considéré comme une personne. Comme c’est en effet le cas, cette annonce, « Entrée interdite aux personnes non-autorisées », me concerne, soit en tant que personne autorisée, soit en tant que personne non-autorisée. Que dois-je donc faire ? Si je suis une personne non-autorisée, la chose me paraît simple : il ne faut pas que j’entre (mais suis-je vraiment une personne non-autorisée, je n’en sais rien). Il paraîtrait donc plus sage, a priori, de ne pas entrer. Mais si je suis une personne autorisée à entrer, puis-je me permettre de ne pas entrer ? Comme je ne sais pas si je suis une personne autorisée, je ne sais pas non plus si les personnes autorisées peuvent se permettre de ne pas entrer alors même qu’elles y sont autorisées. Peut-être alors qu’en n’entrant pas je commets une faute. Il faudrait savoir alors quelle faute est la plus grave : entrer sans être autorisé ou bien ne pas entrer alors même qu’on est autorisé et qu’on a peut-être, qui sait, l’obligation, l’obligation ou le devoir – voire la mission – d’entrer ? Après tout, entrer sans être autorisé n’est peut-être qu’une infraction de peu d’importance, une simple inconvenance sans conséquences, alors que ne pas entrer alors qu’on est autorisé constitue un manquement grave, une défaillance essentielle, une faute fondamentale ?
C’est là qu’on se rend compte à quoi tient la vie. Il aurait suffi que je passe mon chemin sans tourner la tête – ça aurait très bien pu être le cas si j’avais été, par exemple, victime d’un torticolis, la tête bloquée dans une minerve ; il aurait suffi que j’oublie mes lunettes à la maison et que ma myopie m’eût rendues indéchiffrables les caractères de l’inscription ; il aurait suffi qu’on m’adresse la parole au moment où je passais devant l’inscription et que mon attention ait été détournée ; j’aurais passé mon chemin, je serais rentré chez moi l’esprit paisible et la conscience tranquille.
Je serais rentré chez moi l’esprit tranquille alors même que, peut-être, j’étais, je suis une personne autorisée à entrer, une personne dont, encore maintenant, à l’instant où je parle, on attend désespérément l’entrée. Qui sait quelles conséquences peut avoir ma non-entrée ? Quelles conséquences pour moi, sans doute, mais surtout pour combien d’autres personnes dont le sort est directement lié à mon entrée ? Vous-même, n’êtes pas passé devant cette inscription, « Entrée interdite aux personnes non-autorisées » ? Vous ne savez plus ? Vous n’avez pas fait attention ? Ou bien, tout simplement, vous ne l’avez pas vue ? Comment pourriez-vous assurer que vous n’êtes pas passé devant ? Et vous vous étonnez que tout aille mal ? De plus en plus mal ? Vous ne vous sentez pas responsable ? Vous ne vous sentez pas responsable de tout ce qui va mal alors même que vous ne pouvez pas assurer ne pas être passé devant cette inscription ?
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