Voici les faits : sur le site du Figaro, un article intitulé Marc Levy contre Guillaume Musso : qui est le plus nul ? Réactions diverses et notamment de soutien, sur Twitter bien sûr, notamment par Tatiana de Rosnay : « Le plus nul », c’est bien votre article et sa condescendance. Soutien à Marc Levy et Guillaume Musso ! » C’est repris par le Point, qui se prend parfois pour le Poing : « "Musso ou Levy, qui est le plus nul ?" : "Le Figaro" heurte le milieu littéraire. »
C’est à ce moment-là que les bras m’en sont tombés sur le clavier, vous lisez le résultat.
Car personnellement, bien que devant censément faire partie du « milieu littéraire » s’il existe (voir l’entrée « Milieu littéraire » dans mon petit DIRELICON), je me sens autant concerné par une comparaison entre Levy et Musso que s’il s’agissait de mettre en concurrence « Les Reines du shopping » et « Un dîner presque parfait ». Moins, même, car il m’est arrivé de rester assis plus d’une minute devant ces émissions, et pourquoi pas ? (De même, pourquoi ne pas lire Musso ou Levy ? il y a d’autres passe-temps aussi absurdes en attendant la mort, puisqu’on en est tous là.)
Donc un organe d’information poste un article sur la nullité comparée de Levy et Musso. Heureusement que ça revendique davantage la provocation que l’information car immédiatement, même quand on est soi-même convaincu qu’il n’y a de littérature ni chez l’un ni chez l’autre et que si l’on évite de les lire, c’est juste par une crainte toute personnelle et qui n’engage que soi de mourir d’ennui avant la retraite – le risque s’accroît à chaque jour qui passe –, immédiatement disais-je nous est soufflée par notre démon intérieur la question nuls en quoi ? Il faudrait préciser. Pas en vente en tout cas, et peut-être est-ce là un talent.
Voici donc Levy et Musso attaqués, agressés dans leur personne ; car c’est bien leur nom qui est ainsi traîné dans la boue, peu importe que ce nom soit plutôt une marque, ils n’avaient qu’à faire comme le Nutella, prendre un pseudo pour éviter la confusion. Heureusement les soutiens sont là. On n’a pas le droit, on n’a plus le droit de nos jours de dire du mal. Tout ce qui se vend est bon puisqu’il y a des gens pour acheter ; et tous, j’imagine, ne le font pas par pur masochisme. Personnellement j’aurais plutôt tendance à penser qu’il est sain de dire clairement ses détestations et même de se taper gentiment dessus quand on n’est pas d’accord : on a le droit de ne pas être d’accord, et aussi pourquoi pas, à l’occasion, pour le plaisir, celui de se taper dessus (façon village d’Astérix s’entend). Mais ce n’est pas l’avis général. Ainsi donc Tatiana de Rosnay prend chevaleresquement la défense des deux victimes, Levy et Musso, qui risquent gros en effet dans cette affaire, rendez-vous compte.
C’est toujours drôle de voir vers qui vont les soutiens. Car la littérature française, même si dans ce qu’elle fait de mieux elle n’a peut-être jamais été aussi bonne qu’aujourd’hui – encore faudrait-il la lire – se porte très mal ; ceci explique cela. Elle aurait bien besoin de soutien. Mais non : soutenons Musso et Levy. D’ailleurs le Point réagit : le Figaro a heurté « le milieu littéraire ».
Le milieu littéraire. Nous tous, du milieu littéraire, nous voici heurtés.
De fait, si je m’interroge un peu, je me sens vaguement heurté. La bêtise, ça heurte.
Pourtant Levy et Musso ne me heurtent pas, eux, et leur succès pas davantage. Leurs éditeurs ne prétendent pas vendre de la littérature, rien que l’esthétique des couvertures l’annonce clairement. Les lecteurs non plus ne s’y laissent pas prendre, savent très bien que ce qu’ils lisent est destiné à la consommation rapide ; rien à voir avec la littérature, que nul n’est tenu à lire, il n’y a pas de crime à l’ignorer. Lire qu’ils sont nuls ne me heurte pas non plus, même si je ne vois aucun intérêt à le lire. Les réactions que ça suscite, en revanche, oui, ça me heurte un peu. Le « soutien à Marc Levy et Guillaume Musso », le titre du Point, ça me heurte un peu. Sans parler de la rengaine sur les grosses ventes qui permettent de publier de la bonne littérature ; qui croit encore de nos jours à la théorie du ruissellement ?
Quand j’ai commencé ce blog, il y a plus de treize ans, je l’ai sous-intitulé « parce que la visibilité est mauvaise » en pensant à l’image qu’on a de la littérature contemporaine. La visibilité ne s’est pas améliorée.
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