mardi 17 mars 2020

Sonotobio


Obéissant à l’injonction présidentielle, « lisez ! (je le veux) », je me suis lancé illico dans la lecture de Monotobio, le Chevillard nouveau, avec le soutien du coronavirus qui n’existe que pour ça, sachez-le : nous replonger dans nos livres, vous aussi mes chers élèves si vous passez par-là ne faites pas ceux qui ne sont pas concernés – le président l’a dit, obéissez à votre professeur.
On voit comme tout est clair, comme tout est limpide, quand fallacieusement l’on remet des liens de cause à effet entre nos actions en racontant sa vie. Alors qu’en réalité, je l’avoue, les choses ne se sont pas passées comme cela mais plutôt comme ceci : comme j’avais cassé le bracelet de ma montre en raccrochant le téléphone, je suis passé à la librairie acheter Monotobio dont j’ai sur-le-champ entamé la lecture ; c’est pourquoi Emmanuel Macron a jugé bon de déclarer le confinement national et que je n’ai pas retrouvé le sèche-cheveux, puisqu’il était rangé à sa place à côté du sac à charbon.
Oui, c’est bien plutôt ainsi, telles que racontées dans le paragraphe juste ci-dessus que les choses se sont passées ; je n’ai que ma bonne foi pour vous en assurer mais c’est ainsi.
Car dans Monotobio c’est bien son autobio que nous fait Chevillard, du moins les dix dernières années ou un peu plus mais à peine. Or comme il faut tout de même moins de temps à la lire (et l’on soupçonne l’auteur lui-même d’avoir passé une partie de ces mêmes dix années à faire autre chose que l’écrire), il n’a pu y mettre qu’un événement par jour environ, et pourquoi choisir celui-ci plutôt que celui-là ? L’autobiographie est un genre arbitraire qui pose plus qu’un autre la question du sujet : privilégier un événement sur un autre est suspect. Un auteur honnête ne peut en avoir qu’une conscience aiguë, c’est pourquoi celui de Monotobio enfile ses actions comme un collier fantaisie, rajoutant parfois facétieusement ici et là un lien logique qui aurait pu nous échapper. En résulte une autobiographie à la fois intime et vraiment expérimentale, une réflexion sur le choix essentiel qu’on fait de dire ou de taire, et une belle acceptation, souvent émouvante, de l’absurdité de notre destin, auquel on ne saurait toutefois faire la grimace quand il nous adresse deux sourires de fillettes.



2 commentaires:

  1. Voilà bien un article dans l'esprit même du texte commenté. Pour un.e lecteur.rice de Chevillard, il est savoureux de retrouver au fil des pages l'orang outang ou la tortue et touchant de reconnaître dans les gestes infimes d'une vie ordinaire ce que l'auteur met en partage de son humanité et en toute dérision. Exercice de haute littérature, à son habitude. Un régal.

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    1. Oui, il y a cette connivence aussi, j'aurais pu en dire un mot.

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