jeudi 2 janvier 2014

Mon jeune grand-père (21)

Le 3 mars 1917. Ma chère Maman C’est la première fois je crois bien que je tombe sur une carte adressée seulement à mon arrière-grand-mère.
Ma petite boîte est terminée C’est une petite boîte en effet, une jolie petite boîte en bois ornée de motifs sculptés, des rosaces notamment, ou gravés, je n’y connais rien, je n’avais jamais rencontré avant la carte du 26 février ce mot de Kerbschnitt qui apparemment désigne cette technique ; en revanche je connais très bien cette petite boîte, sa taille dans la main, le contact du bois et son vernis assez mat, à moins que ce ne soit la patine du temps : un objet ancien, un souvenir pour nous et un cadeau pour une maman qui ne l’a pas encore, qui sentira le neuf encore quand elle le recevra, alors que son fils ne sera pas près encore de rentrer, quelque chose de lui donc à voir et à toucher comme moi-même je l’ai fait, je le fais parfois à l’occasion en visite chez mes parents, à la différence que pour moi c’était l’œuvre difficilement concevable d’un grand-père abstrait que mon père lui-même n’a pour ainsi dire pas connu et qui en réalité n’a jamais été grand-père et j’ai commencé ton cadre ça ne va pas trop mal et je m’attarde sur ces formules d’atténuation, cette propension à l’euphémisme qui caractérise l’écriture de mon jeune grand-père, c’est bien de l’euphémisme en effet car en réalité « ça » va beaucoup mieux que « pas trop mal », son travail, je n’y connais rien mais je dirais volontiers que c’est de la belle ouvrage et que l’euphémisme ici n’est que modestie comme ailleurs il est là pour rassurer les parents sur la santé. Mais je ne vais pas très vite car je ne travaille qu’une paire d’heures par jour. Comme courrier j’ai reçu les cartes de papa des 15.16.17.19 et 20 et la lettre de maman du 18 févr. Comme paquets postes, ça ne va pas encore très bien. Je n’ai reçu que les n°s 22 et 25 et le colis de pain du 23 février. Jusqu’à présent ça n’a pas d’importance, nous avons ce qu’il nous faut. D a reçu un jambon entier et cela nous fait faire des économies de conserves. Le temps est assez beau en ce moment, il gèle encore un peu la nuit mais dans la journée c’est le dégel et avec lui la boue. Mais maintenant que nos chaussures vont être réparées ça n’a pas d’importance. Hier quelques camarades nous ont quittés pour desserrer un peu le camp. C’est bien « desserrer » qui est écrit. Parmi eux il y avait je n’arrive pas à lire le nom le lt de notre régiment. Je me doute bien ma chère maman des difficultés que tu dois avoir et de tout le mal que tu te donnes pour me faire mes colis et je t’en remercie de tout cœur. Les farines sont très bonnes. D en met dans les potages et ça fait de la bonne soupe. Je ne sais pas si je vous ai accusé réception des pantoufles je ne crois pas mais le 26 janvier elles n’étaient pas encore arrivées, elles vont très bien. Vous n’êtes pas les seuls à ne pas recevoir régulièrement notre correspondance en ce moment. Beaucoup de parents de camarades se plaignent également. Je te quitte ma chère maman en t’embrassant bien bien fort ainsi que mon cher papa, Geneviève et Louis, Madeleine et Jean et toute la famille.
Ton fils qui t’aime de tout son cœur. Edmond

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