vendredi 23 août 2013

(ne pas) limiter un être à l’accident de sa naissance


DIMANCHE 20 NOVEMBRE
 
Ecoute… suppose que l’histoire commence ainsi : le cousin de Sarah est retardé de deux heures en plein milieu de son voyage… bloqué dans la ville où lui et Sarah sont nés… bloqué à l’aéroport… de nombreuses années après l’affreuse guerre qui a si profondément marqué les cousins quand ils étaient enfants… oui, suppose… cela lui donnerait le temps de penser… le temps de se préparer pour les retrouvailles en terre promise après des années de séparation… ça fait trente-cinq ans que les deux cousins ne se sont pas vus… oui, suppose… puis, quand aura pris fin le combat avec les mots, je me retirerai pour regarder les mensonges s’installer et donner forme à une vérité, ignoblement obtenue de haute lutte, en surface du papier
 
 
Voici comme je vois cette histoire… ses grandes lignes… sa géographie. D’un côté, une terre de fausse représentation où le cousin de Sarah vit depuis trente-cinq ans. De l’autre, une terre de fausses promesses, un morceau de désert plein de mirages, où Sarah vit son propre exil depuis le même nombre d’années. Et, entre les deux, comme mis entre parenthèses, le pays où les deux cousins sont nés et où s’est commise une impardonnable atrocité durant la guerre. Cet endroit restera encre crochets. Il se profilera à jamais au plus profond du passé des cousins. Après la guerre ils sont partis. Lui vers l’ouest, Sarah vers l’est.
 
 
Faut-il donner un nom à ce cousin ? Un nom, c’est si encombrant, si réductif. Ça limite un être à l’accident de sa naissance, ça lui impose une identité civique. Peut-être que pour l’instant on peut simplement dire le cousin de Sarah. Oui, c’est ça, LE COUSIN DE SARAH. Même si plus tard, son nom à elle aussi, il faudra l’effacer.
 
Raymond Federman, A qui de droit, Al dante, 2006, p. 11-12.
 
Voilà, c’est le début d’A qui de droit. Ce qu’il y a de bien avec les écrivains, c’est que même quand ils sont morts il nous reste des livres d’eux qu’on n’a pas encore lus, et que même quand on les a tous lus on pourra toujours les relire, ce sera forcément autre chose. Là quand c’est moi qui le lis forcément je réagis à « Un nom… ça limite un être à l’accident de sa naissance », et puis aussi comme en fait je ne le commence pas vraiment, ce livre, il y a parfois un peu de différé sur ce blog et en fait je l’ai déjà terminé, il y a aussi « regarder les mensonges s’installer et donner forme à une vérité » parce que ce matin j’ai ouvert Chalut de BS Johnson, et vous savez comme lui aussi se pose aussi (avec des réponses différentes) la question du mensonge dans l’écriture, ou bien peut-être que vous ne le savez pas, peut-être qu’il vous reste tout BS Johnson et tout Federman à découvrir, sacrés veinards que vous êtes*.
 
* Auquel cas vous pouvez regarder en bas à droite, par le hublot droit, et cliquer au hasard sur tous les liens Federman et Johnson pour vous mettre en appétit.
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